Que ceux à qui le cœur en dit donnent donc quelques euros à la sébile que tend ce malheureux. Dieudonné, plusieurs fois et depuis plusieurs années condamné à des peines pécuniaires, n’a pratiquement rien payé, car il est trop pauvre pour le faire. Oui, je sais, les temps sont durs, mais pas pour les habiles avocats qui organisent soigneusement sa misère dorée, pied de nez exposant cruellement les failles de notre législation.
De quoi Dieudonné parle-t-il au journaliste iranien? Des valeurs. Car c’est avant tout un moraliste, en quelque sorte un Montesquieu qui serait venu raconter directement aux Persans les turpitudes de la France. À la télévision de cet Iran modèle, Dieudonné se plaint de l’absence de liberté d’expression dans notre pays. Et le journaliste commente que la vie dans ces conditions doit être bien difficile.
À titre de comparaison, il y a moins d’une semaine, Shahim Najafi, rappeur d’origine iranienne réfugié en Allemagne où il est devenu célèbre, a reçu deux fatwas qui vont l’obliger de mener une vie clandestine : dans une de ses chansons il a commis un crime épouvantable, il a cité de façon inappropriée le neuvième imam de la tradition chiite, celui qu’on appelle l’imam Naghi, pour les spécialistes Ali al Hadi al-Naqi. Une vie brisée, parce qu’il a intitulé sa chanson « Al Naghi ». Liberté d’expression ?
Mais Dieudonné n’en a cure, de ces fatwas et des crimes du régime. La France, dit-il, va mal, les valeurs sont en déperdition, les églises sont vides. La France devrait prendre exemple sur l’Islam. Malheureusement, elle ne peut pas, car elle est dominée par un groupe qui lui impose son matérialisme grossier et violent.
Quel est ce groupe ? Histoire connue, dites-vous. Les Juifs, une fois de plus… Erreur ! Dieudonné est un esprit ouvert, le modèle des démocrates modérés. Il n’en a qu’après les sionistes. C’est effectivement beaucoup moins dangereux. Diffamer les Juifs est légalement répréhensible, insulter les sionistes est tellement tendance ! Il suffit de « baptiser » les Juifs de l’histoire en « sionistes » et le tour est joué. Et d’ailleurs, il y a de bons juifs, tels les fidèles amis des Netourei Karta.
Chacun sait que ce sont les sionistes, dit-il sans rire, qui ont tué le Christ. Et lui-même, Dieudonné, est aussi une de leurs victimes. Oh, pas au même niveau, précise-t-il avec modestie. Quand on voit ce qu’ « ils » font aux Palestiniens, il peut s’estimer privilégié. Mais quand même, il a été physiquement victime de leurs attaques. À ce propos, les sionistes sont aussi des lâches, Dieudonné, qui a étudié les arts martiaux, en a mis quatre en déroute qui voulaient lui faire un mauvais sort…
Etc, etc., etc. J’ai rarement entendu une interview aussi grotesque.
Tout cela sans jamais élever le ton : Dieudonné, comme son collègue (parti antisioniste) Yahia Gouasmi du centre Zahra, sait que l’invective impressionne moins un public qui y est quotidiennement habitué, que cette conversation de salon où le calme de l’expression garantirait la véracité des propos.
Dieudonné ne restera pas comme un négationniste. Cela, c’est l’affaire de son ami Faurisson. Il restera, ce qui est pire peut-être, comme l’homme qui, le premier en Europe, a fait rire sur les victimes de la Shoah. Il y a peu d’abjections de ce niveau.
C’est ce message moral élémentaire de rejet qu’a voulu signifier ces jours-ci Mme Hélène Mandroux, maire de la ville, ainsi que tous ceux qui ont empêché que Montpellier reçoive le spectacle d’un individu pareil. Nous espérons que les villes où Dieudonné veut se produire auront la même détermination, quelle que soit in fine la décision du tribunal administratif s’il est mis à contribution.
Le spectacle de Dieudonné charrie le mensonge et incite à la haine. La marge entre la liberté d’expression et la défense contre la diffamation collective est certes délicate, mais elle existe, car la tradition de notre pays est celle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et pas celle du Premier Amendement américain.
Et quoi qu’il en soit la France n’a pas en cette matière de leçon à recevoir de la part d’un homme qui fait de l’Iran actuel le parangon des vertus démocratiques.
Richard Prasquier
Président du CRIF