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Il est aussi un moment rare d’échange, parfois d’interpellation et toujours de confiance. Il vient nous rappeler le lien entre la France et sa communauté juive. Un lien qui remonte jusqu’au plus haut Moyen-Age et qui fut scellé par la Révolution française.
C’est en effet sous la Constituante, le 27 septembre 1791, que les juifs, pour la première fois en Europe, sont devenus des citoyens. Persécutés pendant des siècles, ils accueillirent alors, avec bonheur, cette déclaration : « L’Assemblée nationale révoque tous arguments, réserves et exceptions insérés dans les précédents décrets relativement aux individus juifs ».
Ce fut le début d’une longue histoire, celle du judaïsme dans la République. Une histoire marquée par quelques hautes figures.
Edmond Fleg, le philosophe, qui sut dire le lien essentiel entre l’universalisme juif et l’universalisme républicain, entre le « peuple des droits de l’Homme » et le « peuple des dix commandements ».
Jules Isaac, ce grand professeur, qui –à travers les manuels « Malet-Isaac »- enseigna à des générations d’écoliers français le récit de leur pays.
René Cassin, vice-président du conseil d’Etat, auteur de la déclaration universelle des droits de l’Homme, prix Nobel de la paix -qui fut pendant trente ans le président de l’Alliance israélite universelle, cette institution dédiée à la diffusion à la fois de la culture juive et de la langue française.
Simone Veil, dont la vie témoigne d’un attachement irréductible à la France mais aussi des souffrances dont la France n’a pas su la protéger.
Car cette histoire des juifs en France connut ses moments de fracture.
Il y eut, à la fin du XIXème siècle, l’affaire Dreyfus et l’hystérie antisémite à laquelle elle donna lieu. Mais c’est précisément en faisant allusion à cette affaire Dreyfus qu’en Lituanie, le père d’Emmanuel Levinas put s’adresser ainsi à ses enfants : « Un pays où l’on se déchire sur le sort d’un petit capitaine juif est un pays où il faut aller sans attendre ».
Cette confiance allait, hélas être, trahie, en 1940. Ce fut le statut des juifs, puis la déportation de 76.000 juifs de France avec la complicité active de l’Etat français. Je l’ai rappelé, après le président Jacques Chirac, le 22 juillet dernier, sur les lieux mêmes de la rafle du Vel’ d’Hiv : la France, il y a 70 ans, manqua à sa parole et à sa grandeur. L’honneur fut sauvé aussi par la France, celle de la Résistance ; des Justes ; et des anonymes qui, sans même mesurer leur propre héroïsme, tendirent la main aux innocents.
Mais d’autres blessures allaient suivre, rendues plus insupportables encore par le souvenir de la Shoah. Vous en avez évoqué quelques-unes, Monsieur le président, et chacune est une douleur. Je pense à l’attentat de la rue Copernic, le 3 octobre 1980, quand une bombe tua quatre personnes, un vendredi soir, devant une synagogue, pendant l’office de shabbat. Je pense aussi au massacre qui coûta la vie à 6 personnes, le 9 août 1982 devant le restaurant Goldenberg, rue des Rosiers. Je pense au supplice plus tard infligé à Ilan Halimi, enlevé et torturé à mort, dans la région parisienne, en février 2006, parce qu’il était juif.
A chaque fois nous avons espéré que cette liste sinistre s’arrêterait. Jusqu’à ce 19 mars 2012 à Toulouse, à l’école Ozar Hatorah, où un attentat antisémite tuait le rabbin Jonathan Sandler, ses fils, Gabriel, et Arieh, et Myriam Monsonego, la fille du directeur de l’école. Le Président Nicolas Sarkozy s’était immédiatement rendu sur place. Le 1er novembre dernier, j’ai tenu à accueillir Benjamin Netanyahu sur les lieux mêmes où s’était produite la tragédie. Et dimanche, à Toulouse, un an après, j’ai présidé une cérémonie à la mémoire des victimes, auxquelles nous avons associé nos soldats, Imad Ibn Ziaten, Mohamed Legouad, Abel Chennouf, assassinés lâchement par le même terroriste.
Pour la communauté juive, comme pour la République tout entière, il y a un avant et un après Toulouse.
C’est pourquoi j’ai voulu que soient tirées toutes les leçons de cette tragédie.
Le gouvernement a renforcé partout où c’était nécessaire la sécurité de la communauté juive -de ses centres d’études, de ses écoles, de ses synagogues. 500 bâtiments ont fait l’objet de mesures. C’est la responsabilité de l’Etat : la République est garante de la liberté de conscience et donc du libre exercice des cultes. Mais comment admettre que la police ait à protéger, au début du XXIème siècle, des écoles ! Que des enfants puissent redouter de s’y rendre et des parents de les y envoyer ! La République sera en paix avec elle-même lorsque cette peur-là aura disparu. C’est notre honneur autant que notre devoir.
Depuis dix mois, les services de police sous l’autorité de la Justice ont démantelé plusieurs groupes terroristes – comme à Sarcelles, à Torcy et très récemment à Marignane- qui s’apprêtaient, de façon imminente, à passer à l’acte.
Une réforme des services de renseignement a été engagée pour renforcer la coordination entre la direction centrale et les services territoriaux, créer une véritable inspection interne, améliorer le partage de l’information, établir une relation simple entre la Justice et la police.
Une loi a été adoptée en novembre dernier et votée à l’unanimité. Elle permet de poursuivre et de condamner en France ceux de nos ressortissants qui, à l’étranger, se livrent à des agissements terroristes et à des entrainements.
Mais il y a une autre leçon de Toulouse, vous l’avez évoquée, Monsieur le Président. Nous la connaissions, mais elle s’est rappelée à nous de façon terrible : c’est que l’horreur ne décourage pas la haine. Depuis un an, les actes antisémites n’ont pas cessé.
Les chiffres sont implacables et encore sous-estiment-ils la réalité. Car toutes les victimes ne portent pas plainte et trop de plaintes sont classées sans suite. Les procédures seront donc simplifiées, avec la possibilité d’un dépôt de plainte sans constitution de partie civile pour les injures, diffamations et provocations racistes et antisémites. Nous serons sans faiblesse.
Car l’antisémitisme n’est pas seulement la haine des juifs. Il est la détestation de la France.
La France est la patrie des droits de l’Homme. Elle est le pays qui, dans sa devise, a inscrit le mot « fraternité ».
C’est cet esprit qui doit inspirer nos lois et nos actes. C’est lui encore qui doit irriguer la formation de nos fonctionnaires, la culture de nos citoyens, et d’abord l’éducation de nos enfants.
Eduquer, c’est avant tout ne pas oublier. 70 ans après la Shoah, la connaissance de ce qui s’est passé est, une exigence. Ce crime, unique dans l’histoire, ne peut être comparé à aucun autre. La Shoah doit pouvoir être enseignée, et ses leçons méditées, partout, dans tous les collèges et les lycées de la République, dans nos villes, nos villages, nos banlieues, nos cités.
L’éducation, c’est aussi la transmission de disciplines et de repères. C’est le sens de l’enseignement de la « morale laïque » que le ministre de l’éducation nationale instituera, tout au long du parcours scolaire.
Mais je veux aussi mettre un terme à ce qui se passe sur Internet. Dans cet univers virtuel où tous les écrits, toutes les images circulent librement, la haine peut aussi se glisser et se répandre.
La diffusion massive de « tweets » antisémites à l’automne dernier en a été une illustration. Il a donc été demandé aux réseaux sociaux de retirer ces messages racistes et antisémites dès qu’ils sont signalés par une association. Des tribunaux les ont, depuis, enjoint de transmettre les données permettant l’identification des auteurs de ces messages. J’ai demandé à la Garde des Sceaux de faire exécuter ces jugements. Il ne peut y avoir d’impunité pour leurs auteurs, ils doivent savoir qu’ils seront poursuivis et condamnés.
Lutter, lutter sans relâche contre le rejet des autres, contre tous les racismes, contre toutes les intolérances : voilà notre mission pour un pays uni et fort.
Mais combattre toutes les haines, ce n’est pas les confondre.
L’antisémitisme est une haine très particulière, qui plonge loin dans l’histoire. Il s’est toujours nourri de mythes et il a constamment réanimé ses obsessions à force de fables ou de mensonges.
L’antisémitisme a bien des formes. Celles d’hier n’ont pas disparu. D’autres ont pris une dimension nouvelle avec l’islam radical. L’antisémitisme ne se réduit pas à lui et l’islamisme radical ne se réduit pas à l’antisémitisme. Mais cette menace existe, et nous devons l’affronter.
Cet extrémisme n’est pas l’islam. Il dévoie, il pervertit l’islam. Les musulmans en sont les victimes. Ils souffrent de voir leur foi, leurs textes sacrés, leurs traditions, ainsi atteintes. Ils souffrent aussi des confusions, des amalgames et des caricatures.
Je salue les responsables du culte musulman qui sont ici ce soir. Leur présence a un sens. Elle a une portée qui n’échappe à aucun d’entre nous.
Ils participent au sein de la République à la lutte contre l’extrémisme et je les remercie d’avoir soutenu dès le premier jour la décision que j’ai prise d’intervenir au Mali.
Ce qui était en jeu, c’était l’intégrité d’un pays ami, un pays musulman à 90%. C’était aussi l’équilibre de l’Afrique de l’ouest.
Notre intervention a permis d’obtenir, en deux mois, des résultats importants. L’offensive des groupes terroristes a été enrayée, puis les villes du nord du Mali, libérées. Et désormais la quasi-totalité du territoire.
Je salue le courage de nos soldats. Comme vous, je rends hommage à nos cinq militaires, tués au combat. Ils sont morts pour la plus juste des causes. Je pense à nos otages, tout doit être fait pour les libérer. Les peuples libres ne sont jamais des peuples faibles.
Cette leçon doit valoir partout dans le monde.
Je sais que vos regards se tournent en particulier vers Israël.
Ce pays porte le nom d’un peuple longtemps persécuté. Il a ressuscité l’hébreu, qui était une langue endormie depuis deux mille ans. Il a été créé au lendemain du génocide pour accueillir tous les juifs qui, d’où qu’ils viennent, auraient à souffrir de ce qu’ils sont.
Votre attachement à Israël est légitime. Léon Blum, en 1950, avait su en exprimer la force: « Juif français, ne parlant que la langue de mon pays, nourri principalement de sa culture, je participe cependant à l’effort admirable, miraculeusement transporté du rêve à la réalité, qui assure désormais une patrie digne, également libre, à tous les juifs qui n’ont pas eu comme moi la bonne fortune de la trouver dans leur pays natal ».
Aujourd’hui, pour Israël, le grand défi, c’est la paix. Elle passe par la reconnaissance et le respect de la souveraineté de chacun. Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. Le peuple palestinien a trop longtemps attendu. Il est temps qu’existe, aux côtés d’Israël, un Etat palestinien. C’est l’intérêt même d’Israël : tant que la Palestine n’aura pas de frontières reconnues, Israël n’en aura pas non plus.
Une paix durable ne pourra provenir que d’un accord juste et négocié entre Israéliens et Palestiniens, avec le soutien de la communauté internationale. Il ne faut plus perdre de temps. Dès lors que la seule solution est celle de deux Etats voisins et souverains, vivant en sécurité dans leurs frontières, rien ne doit être fait qui aille contre cet objectif.
J’ai eu l’occasion de recevoir à Paris le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, le premier ministre d’Israël, Benjamin Netanyahou, ainsi que –il y a deux semaines- le président Shimon Peres. A tous, la France tient le même langage, celui de la confiance et de la responsabilité. A chacun, elle demande de prendre sa part des décisions courageuses.
Mais la paix ne se limite pas à l’enjeu israélo-palestinien, c’est tout le Moyen Orient qui est en cause.
La France est attentive à la situation du Liban, où les religions et les communautés cohabitent après de terribles déchirements. Et où les pressions s’exercent de l’extérieur mais aussi de l’intérieur avec le Hezbollah dont les liens avec la Syrie et l’Iran sont établis et même revendiqués. Les autorités bulgares ont dit qu'elles avaient les preuves de l'implication des membres du Hezbollah dans l'odieux attentat de Burgas, qui a visé des touristes israéliens, en juillet dernier. L’Europe doit être prête à en tirer toutes les conclusions.
Je comprends aussi les interrogations qu’inspirent les changements en cours dans les pays arabes de la région. Les révolutions de 2011 se prolongent. Elles ont soulevé des promesses, elles suscitent des craintes. Je pense aux incertitudes en Egypte, aux difficultés de la Libye.
Mais c’est en Syrie que nous devons porter bien plus que notre regard, et exprimer plus que notre condamnation ou que notre compassion. Bachar-al-Assad mène une guerre massive contre son propre peuple avec au moins 70000 morts depuis 2 ans. Cette guerre est périlleuse aussi pour les voisins de la Syrie pour le Liban, pour Israël, pour nous tous avec la présence
d’une arme chimique. La poursuite de la guerre ne profite qu’à Bachar al-Assad et aux groupes extrémistes. Il est donc urgent d’accélérer la transition politique en Syrie, et d’amener le régime à le comprendre. C’est pourquoi la France veut renforcer l’alternative démocratique d’abord en la reconnaissant sur le plan politique et en lui prodiguant une aide matérielle et mais aussi humanitaire et demain militaire, dans des conditions que nous devons maîtriser.
Attendre plus longtemps n'offre aucune solution.
Mais la plus lourde menace pour la sécurité d’Israël, l’une des plus grandes aussi pour la paix du monde, c’est le nucléaire iranien. Les autorités de ce pays multiplient les déclarations appelant à la disparition d’Israël. Ce dessein revendiqué, associé à la volonté affichée de poursuivre un programme nucléaire, hors de tout contrôle international, est donc une menace majeure. Il ne peut être question que l’Iran puisse accéder à l’arme atomique.
Ce n’est pas seulement la sécurité d’Israël qui est en cause, c’est celle du monde entier.
Les dirigeants iraniens doivent se conformer à leurs engagements internationaux, aux résolutions de Conseil de sécurité, à celles de l’A.I.E.A. Et il est plus que temps sinon ils feront face à de nouvelles sanctions et aussi à toutes les conséquences de leur aveuglement. Et les autorités iraniennes auraient tort de compter sur la faiblesse supposée de leurs interlocuteurs. Qu’elles réfléchissent et pèsent avec soin les conséquences de leurs actes et du défi permanent qu’elles lancent à la communauté internationale.
La France assumera ses devoirs, elle ne manquera pas à sa parole.
Voilà ce que je tenais à vous exprimer ce soir, simplement, franchement, sincèrement. C’est l’intérêt d’une telle rencontre. C’est la marque du respect que je porte aux institutions fédérées par le CRIF. Vous allez célébrer son 70ème anniversaire dans les prochains mois. Je veux souligner son rôle dans la République : celui d’un représentant des institutions juives, et d’un interlocuteur constructif des pouvoirs publics.
Je salue Richard Prasquier, qui quittera ses fonctions au mois de mai. Je le remercie d’avoir été, au long de ses six années de présidence, la voix exigeante de la communauté juive et fidèle à la République. Je lui adresse mes voeux pour la poursuite de ses engagements, au service des causes qui lui sont chères et notamment de celle qui a fait l’unité de toute sa vie : la mémoire.
Cette mémoire, celle de la souffrance et de l’espérance juives, c’est celle de l’humanité.
De même, l’histoire et l’avenir des juifs de France, ce ne sont pas l’histoire et l’avenir des juifs, mais ceux de la France.
Toutes les identités, toutes les trames singulières, toutes les histoires personnelles, toutes les mémoires blessées qui composent la conscience nationale appartiennent solidairement à la France. La France est faite de nombreuses influences mêlées d’immigrations successives, d’innombrables apports particuliers dont chacun est irremplaçable.
Parmi ces apports, celui des Français juifs, ces « enfants d’Abraham et de Marianne », héritiers d’une parole et d’une tradition, et qui n’ont jamais cessé de faire à leur patrie le don de leurs talents.
Ils l’ont défendue quand elle était menacée. Ils ont produit des chefs d’oeuvre de son patrimoine culturel. Ils ont contribué à sa prospérité. Et ils l’ont fait sans jamais oublier les racines profondes qui les rattachent au judaïsme.
Notre pays a besoin de tous.
Sans vous, la France ne serait pas la France. Avec vous, elle peut être plus grande encore.