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Découvrir l'Etude du Crif n°58
Le sionisme comme réalité historique et comme fantasme ou La réinvention de la judéophobie
par Georges-Elia Sarfati et Pierre-André Taguieff
Encore un numéro exceptionnel de la Revue des Études du Crif que dirige avec brio et discernement le dynamique Marc Knobel. Et un numéro double, cette fois, autour d’un sujet qui ne cesse pas de faire polémique, le sionisme, terme largement galvaudé par des malfaisants et des corrupteurs de la langue. Car le sionisme, mot qui renvoie à Sion, une fameuse colline de Jérusalem et qui n’est rien d’autre que la manifestation du peuple juif à vouloir disposer, comme tous les autres ensembles humains, d’un État qui lui soit propre, État qui fut, il y a des milliers d’années, détruit et qui a, miraculeusement réussi, en 1948, à renaître de ses cendres, un mot très simple donc et qui, au fil des ans, a été dénaturé par de mauvais esprits au point d’être parfois considéré comme une injure, un vocable ordurier.
Le président du Crif, Francis Kalifat, dans sa préface à cette étude remarquable, est ferme et sans ambages dans son propos : « Au quotidien, l’antisémitisme se développe de façon inquiétante. Il y a une libération de la parole et de la haine anti-juives dans notre pays ». Dès lors, « pour mener une lutte efficace contre ce nouvel antisémitisme, les déclarations n’ont de valeur que si elles se traduisent par des actes ». Et, notamment, « mettre en perspective historique le sionisme et en rappeler la genèse ». Bref, « Mieux comprendre le sionisme pour mieux combattre l’antisionisme, cette forme réinventée de l’antisémitisme, voilà l’objet de ce numéro-double des Études du Crif ».
Il était donc utile et salutaire de mettre les points sur les « i ». Pour nous expliquer le sionisme et redonner son sens plein et digne à ce beau vocable, les Études ont fait appel à Georges-Elia Sarfati. professeur des universités, linguiste, philosophe et psychanalyste.
Et mettre les points sur les « i », c’est rappeler les faits, rien que les faits et l’Histoire qu’on a tendance à oublier et à déformer. L’Histoire, c’est que malgré le saccage et le pillage de leur terre ancestrale par les Romains en 70, les Juifs n’ont jamais perdu l’espoir de rentrer un jour chez eux. L’Histoire, c’est que la terre d’Israël a continué, à travers les siècles et malgré des envahisseurs successifs, à abriter une population juive. L’Histoire, c’est Yohanan Ben Zaccaï obtenant de Vespasien l’autorisation de maintenir une académie à Yavné. L’Histoire, ce sont ces 300 rabbins, venus de France et d’Angleterre, qui, en 1211, décident de s’établir à Jérusalem pour y renforcer la présence juive. Plus tard, avec le développement irrépressible du sionisme, les Juifs ont littéralement racheté leur propre terre, par le biais d’espèces sonnantes et trébuchantes, pour lui redonner vie et prospérité.
En 1917, la fameuse Déclaration Balfour, plus tard entérinée à la Conférence de San Remo, qu’elle ait voulu récompenser l’apport décisif des découvertes scientifiques de Haïm Weizmann pour la victoire des armées britanniques ou qu’elle ait tout simplement voulu officialiser un état de fait irréversible, donne à l’État juif une consistance physique et un statut légal.
Georges-Elia Sarfati nous rappelle, à juste titre que ce sont 111 500 km2 qui sont alors assignés au futur État juif. La perfidie et le revirement britanniques, la publication répétée de l’infâme Livre Blanc, réduiront peu à peu comme une peau de chagrin le territoire alloué aux Juifs. On passe très vite à seulement 27 000 km2, on crée de toutes pièces la Transjordanie pour céder aux pressions arabes et on nomme Hadj Amine El Husseini, admirateur d’Hitler et du nazisme, Grand mufti de Jérusalem. Pour les Anglais, il s’agissait avant tout « to keep the Arab sweet and the oil flowing », de « contenter les Arabes pourvu que le pétrole coule à flot ». Un troc lamentable et immoral. Puis c’est le plan de partage du 29 novembre 1947. Israël n’a plus droit cette fois qu’à 14 700 km2 ! Et les Juifs, David Ben Gourion en tête, acceptent. Il vaut mieux tenir que courir ! Les Arabes, on le sait, pratiqueront la politique du pire, agresseront militairement le jeune État, ne ratant jamais, comme se plaisait à le dire Abba Eban, une occasion de rater une occasion. Non, toujours, non, non aux Juifs et à Israël ! Et, avec l’aide de l’Union Soviétique, on inventera le « peuple palestinien ».
Parallèlement à son travail historique, qui a le mérite de remettre nombre de vérités en place, Georges-Elia Sarfati nous brosse un tableau saisissant et très enrichissant des différentes tendances du mouvement sioniste : le sionisme socialiste, tout d’abord, celui d’Abraham David Gordon, de Dov Ber Borochov, de Berl Katznelson et, bien entendu, de David Ben Gourion. Le sionisme traditionaliste, ensuite, avec la figure tutélaire du rabbin Abraham Isaac Kook et du philosophe Martin Buber. Le sionisme intégral, dit « révisionniste », enfin, celui de Vladimir Zeev Jabotinsky.
En conclusion, Georges-Elia Sarfati, qui considère le terme de « Palestine » comme un palimpseste, estime que « le sionisme n’est pas un crime, mais une entreprise de libération, un élan de justice restaurative ».
La seconde partie de cette étude magistrale, qui traite, cette fois de l’antisionisme a été confiée, elle, à Pierre-André Taguieff, philosophe, politiste et historien des idées, spécialiste incontesté de la question.
Avec pertinence, l’auteur démontre la véritable machination qui, à force de diabolisation effrnée , sur fond d’islamisation de la judéophobie, l’une des plus belles idées de libération et d’émancipation qui ait jamais été créée par l’Homme, le sionisme, a été insidieusement transformée en crime associé au colonialisme et à l’esclavagisme. Quand ce n’est pas au cancer, voire au sida si l’on en croît une déclaration de Dieudonné faite en 2005 à l’AFP: « Pour moi, le sionisme, c’est le sida du judaïsme ». On nage en pleine confusion. On affirme que les vrais sémites se sont les Arabes, on assène les arguments éculés des Protocoles des Sages de Sion. On ressort les discours naphtalinés du Mufti de Jérusalem dans les années 30. On assiste, comme dit Taguieff, à une « diabolisation d’un sionisme fantasmé ». On oppose de manière simpliste et manichéenne, les Palestiniens-victimes aux Israéliens-bourreaux. On marche véritablement sur la tête et, pourtant, comme le dit l’adage populaire, plus c’est gros, plus ça marche ! On est en plein délire et la magie le dispute à l’irrationnel. « Le principal moteur de cette judéophobie refondue n’a cessé d’être le nationalisme palestinien, un nationalisme mythologisé dont l’imprégnation islamiste est devenue de plus en plus déterminante ».
Certes, comme le précise Pierre-André Taguieff, les mots ont un sens et la sémantique peut venir à notre secours pour distinguer entre « antijudaïsme », « antisémitisme », « judéophobie » et « antisionisme ». Car il convient, c’est vrai, de bien définir les termes qu’on utilise. Mais, in fine, dans l’esprit des détracteurs du judaïsme et d’Israël, qu’importent les distinctions et les finesses du langage. Ce qui est sûr, c’est que « le projet de détruire Israël prend chez ses promoteurs une signification apocalyptique et rédemptrice ». « On est, nous dit Taguieff, face à une haine véritablement ontologique. Sur fond de déligitimation forcenée, d’actions du BDS, de dénonciation d’un complot sioniste international, « la judéophobie islamiste est désormais la matrice de la judéophobie mondialisée ». Il convient donc d’être plus vigilants et plus combatifs car « du présent surtout quand il contredit nos convictions et nos attentes, il est toujours dangereux de faire table rase ».
Il n’y a qu’un mot pour résumer l’impression qui est la nôtre en achevant la lecture de ce numéro double des Études du Crif : « Remarquable ! ». Un grand bravo !
Jean-Pierre Allali
(*) N°58 des Études du Crif. « Comprendre le sionisme : aperçu historique et philosophique » par Georges-Elia Sarfati suivi de « L’antisionisme : origines, composantes, fonctionnements » par Pierre-André Taguieff. Février 2020. 132 pages. 10 €.