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Publié le 6 décembre 2021 dans La Provence
L'appartement est coquet, niché au 4e étage d'un immeuble discret du quartier Saint-Lambert (7e). "Ne faites pas attention au désordre", invite Paulette Payan. À 97 ans et des poussières - "J'aurai 98 ans le 24 décembre, le soir de Noël", précise-t-elle - la nonagénaire porte beau. Et parle bien. Même si aujourd'hui, c'est son visage qu'on est venu admirer. Sa peau n'est pas un parchemin, plutôt les pages d'un livre qui témoigne de l'histoire du XXe siècle et de son événement le plus tragique, inextricablement noué au conflit le plus terrible que fut la Seconde Guerre mondiale.
Paulette est juive. Et elle a échappé à la Shoah. "Je suis une survivante sans être une survivante", s'excuse-t-elle presque, car Paulette n'a pas connu les camps de la mort. Hier, elle a ouvert la porte de son trois-pièces nimbé du soleil d'une fin d'après-midi de décembre pour un projet important.
Luigi Toscano est là pour faire son portrait. Un des 42 visages - parmi lesquels cinq Marseillais (es) - que l'on pourra admirer au jardin du Luxembourg, en juillet prochain, à Paris. Travail au long cours pour le photographe italo-allemand qui, depuis 2014, parcourt le monde pour capturer les visages des survivants des camps de la mort, 400 jusqu'ici. "Principalement des personnes juives, mais aussi des Tziganes, des homosexuels...", détaille-t-il. En grand format, ses tirages ont déjà eu les honneurs du siège de l'Unesco, début janvier.
Ce projet-ci, baptisé "Lest We Forget", a été imaginé à l'occasion du 80e anniversaire de la rafle du Vél' d'hiv par l'Association fonds mémoire Auschwitz (Afma) et le Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), assisté en l'espèce par sa représentation locale, le Crif Marseille-Provence. Pour le fameux cliché, Paulette s'assoit sur une de ses chaises en bois. En toile de fond, un simple drap noir. Et le contraste de ses traits apparaît sous les rayons d'une lampe circulaire. La voici prête à raconter son histoire.
Née en 1923 à Kaunas (Lituanie) dans une famille ashkénaze, arrivée en France à l'âge de 18 mois, elle vit à Bagnolet (Seine) au début de la guerre avec ses parents et deux soeurs. En juillet 1942, son ami de l'époque, mis au courant par un policier, la prévient de l'imminence d'une "rafle monstre" le lendemain. Son père et sa soeur aînée sont déjà dans le Sud de la France, en zone libre. Sa mère, sa plus jeune soeur et elle se cachent, puis fuient, après avoir ôté l'étoile jaune de leurs vêtements, vers la zone libre. En sécurité avec sa famille proche ; plusieurs tantes seront déportées.
Avant la guerre, son père était "préparateur en soie de porc, pour faire des brosses et des balais". Un travail de grossiste qui l'obligeait à faire le tour de France pour récupérer les précieux poils auprès des triperies. "C'est ça qui nous a sauvés, philosophe Paulette. La personne qui nous fait venir et cachés pendant trois ans dans le Vaucluse, à Vaison-la-Romaine, était un de ses clients." M. et Mme Guigue seront reconnus - appuyés notamment par Paulette et sa famille - Justes parmi les Nations, en 1990.
Assis à la table du salon avec elle, Luigi Toscano écoute religieusement, même s'il ne parle pas bien français. Lorsqu'il s'adresse à Paulette, c'est en allemand. La nonagénaire lui répond en yiddish. Même si son mari, Jean Payan (aucun lien avec le maire de Marseille), était "goy", la culture juive ne l'a jamais quittée. Une étoile de David autour du cou, elle triture ses mains, toujours alerte, pendant qu'elle déroule son récit.
Après avoir élevé ses deux fils, Paulette a voulu faire ce que la guerre lui avait interdit. Des études. Et de quelle manière : à 59 ans, elle devient docteur en lettres, mention très bien. Sa plus grande fierté. Objet de sa thèse : "Le mot description, qui englobe énormément de choses. Il comporte en épaisseur tout ce qui peut vivre, toute la vie."
Dans sa tête, la mémoire de sa "mère, quelqu'un de très pieux et très large d'esprit malgré son peu d'éducation. Elle ne m'en a jamais voulu de m'être mariée avec un goy". Pour Hanouka, la fête des lumières, il y a quelques jours, elle a tenu à faire allumer son chandelier.
Aiguillée par les questions de Johana Mechaly, du Crif, Paulette livre le message qu'elle voudrait transmettre : "L'esprit de survivance. Quoi qu'il nous arrive, notre fil de vie doit persister et ne doit pas disparaître. On est sur terre pour laisser une trace." Comme celle de son visage, bientôt, sur les grilles du jardin du Sénat.