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Cet article avait été publié dans le newsletter du 11 janvier 2022. Il est l'article de presse que vous avez le plus lu cette semaine.
Israël - Les espionnes, l’arme secrète d’Israël : quatre destins de femmes au service du Mossad
Publié le 8 janvier dans Le Parisien
« Je rêve qu’une femme me succède à la tête du Mossad. » C’est ce que Yossi Cohen a glissé à l’oreille de Michel Bar-Zohar, historien israélien spécialiste des renseignements, alors qu’il travaillait à l’écriture de son livre « Les Amazones du Mossad », publié aux éditions Saint-Simon. Avec cette confidence, celui qui a dirigé, jusqu’en juin 2021, les services secrets les plus réputés du monde, écornait l’image machiste des espions toujours associés au mythe d’un James Bond à la virilité tout en misogynie.
Cette femme, il l’a, un temps, identifiée. Elle s’appelait Liron (un prénom de couverture) et elle avait été recrutée à l’âge de 20 ans, au début des années 1990. Elle avait pris part à 146 missions, dont certaines lui ont valu les félicitations du chef du gouvernement. Première femme à diriger une équipe, elle s’était vu confier la section opérationnelle du département technologique, un tremplin vers le commandement du Mossad… Avant de démissionner quelques années plus tard, « car la petite étincelle de l’aventure s’était éteinte », justifiera-t-elle.
La révolution attendra. Finalement remplacé par son bras droit, David Barnea, Yossi Cohen n’est pas parvenu à ses fins. Pourtant, le monde a changé. En 2020, 47 % des recrues du Mossad étaient des femmes, et une sur trois dirigeait une unité. Leur profil aussi a évolué. Le cliché de la femme fatale recueillant des informations sur l’oreiller a vécu. Si certaines ont encore recours à cette ruse, aucun supérieur hiérarchique n’a le droit de la leur imposer.
Toutes sont aujourd’hui à égalité avec leurs collègues masculins. « Elles ont les mêmes qualités : la témérité, le sérieux, l’intuition, la créativité et la réactivité. Mais elles ont un atout supplémentaire. Contrairement aux hommes, elles n’ont pas d’ego », estime Michel Bar-Zohar. Dévoilant les coulisses des opérations qui ont tissé la légende du Mossad, et dont certains détails n’ont jamais été révélés, il leur rend ici hommage. Voici leurs histoires, bientôt adaptées à l’écran par l’actrice et productrice américaine Anne Hathaway.
Le charme de Cindy
24 septembre 1986, Londres. Une jeune femme blonde patiente devant un kiosque à journaux, à Leicester Square. D’origine américaine, elle ressemble à Farrah Fawcett, la star de la série « Drôles de dames ». Pour sa première mission au nom du Mossad, Cindy (un prénom de couverture) doit observer sa cible : Mordechaï Vanunu, un Israélien qui a démissionné de la centrale de Dimona, où sont produites en secret, au sud de Jérusalem, des armes nucléaires. Il emporte avec lui des photographies compromettantes qu’il a l’intention de vendre 100 000 dollars au Sunday Times.
Mais, alors qu’elle s’apprête à le prendre en filature, il engage la conversation. Elle lui dit être esthéticienne, originaire de Philadelphie et en vacances en Europe. Ils prennent un verre, passent l’après-midi ensemble. Il se dévoile. Le soir venu, à la lecture du rapport de Cindy, ses supérieurs décident de réviser leur plan : elle servira d’appât pour l’enlèvement du traître.
Pendant six jours, l’espionne flirte donc avec le technicien de la centrale nucléaire. Ensemble, ils vont au cinéma voir « Hannah et ses sœurs », de Woody Allen, et « Witness », avec Harrison Ford, assistent à la comédie musicale « 42e Rue » et arpentent les musées. Mariée dans la « vraie » vie, Cindy s’efforce de contenir les élans de Vanunu sans le froisser pour autant. Elle lui rend ses baisers et se laisse enlacer, mais refuse d’aller plus loin. Devant son empressement, elle lui propose un week-end à Rome, où sa « sœur » lui prête son appartement. Un « honey trap » (littéralement, « piège à miel »), selon le terme utilisé par les services secrets.
Accueilli à l’aéroport par un chauffeur, le couple est conduit devant une maisonnette où Vanunu entre en premier. À peine a-t-il franchi le seuil de la porte que deux agents se ruent sur lui et le ligotent, tandis qu’une autre lui administre un sérum pour l’endormir. Transféré dans un van vers le port de La Spezia, près de Gênes, il est embarqué dans un hors-bord, puis à bord d’un navire spécialement affrété, direction Israël. Reconnu coupable d’espionnage et de trahison, il est condamné à dix-huit ans de prison, dont onze en isolement.
Rentrée à Tel-Aviv, Cindy ne repartira jamais en mission. Sa véritable identité – Cheryl Bentov – fuite dans les journaux britanniques, l’obligeant à renoncer au Mossad, qui l’a mal préparée à son rôle dans l’arrestation de Vanunu. Traumatisée par cette relation intime, elle obtiendra des dommages et intérêts de la part de l’agence israélienne.
Les doutes de Sylvia
Ce jour de janvier 1974, alors qu’il ouvre son journal au petit-déjeuner, le roi Hussein de Jordanie n’en revient pas. Cette jeune femme brune, épinglée en une sous le nom de Sylvia Rafael, une « agente du Mossad » ! Il l’a reçue plusieurs fois au palais, où elle a photographié son fils, l’héritier du trône. Mais, pour lui, elle s’appelle Patricia Roxburgh, elle est canadienne et photoreporter à Paris. Une couverture qui vient de tomber, après le fiasco de sa dernière mission à Lillehammer, en Norvège.
Cette star du renseignement israélien avait voulu en être, pourtant. Le 5 septembre 1972, quand onze membres de la délégation israélienne aux Jeux olympiques de Munich sont tués dans un attentat, elle se promet de ne pas laisser ce crime impuni. Première volontaire à prendre part à l’opération baptisée « Colère de Dieu », elle remporte quelques succès.
Mais un homme lui échappe, le cerveau de l’attaque : le Palestinien Ali Hassan Salameh, surnommé « le Prince rouge ». En juillet 1973, il est localisé à Lillehammer, à partir d’une photo floue. Sylvia s’envole aussitôt pour la Norvège. Dès les premiers briefings, le doute la taraude. L’homme pris pour cible est glabre, quand Salameh a l’habitude de porter la moustache. Il parle français, alors que la maîtrise de cette langue n’est mentionnée dans aucun rapport sur le Palestinien. Surtout, tout va trop vite. La mission s’emballe et les vérifications d’usage sont bâclées.
Le 21 juillet, un commando du Mossad fait feu à quatorze reprises sur la cible, dans une rue en apparence déserte. Dissimulé dans la pénombre, un couple a aperçu les tueurs et relevé les numéros de plaque d’immatriculation. Deux agents sont immédiatement arrêtés. Novice, Marianne Gladnikoff parle. Claustrophobe, Dan Arbel lâche les noms de ses collègues. Tous sont interpellés. Le lendemain, ils apprennent qu’ils se sont trompés de cible ! Ils ont tué un innocent.
Condamnée à cinq ans et demi de prison, Sylvia tombera amoureuse de son avocat norvégien et finira sa vie avec lui, dans un kibboutz. Ali Hassan Salameh sera, quant à lui, tué par le Mossad en 1979, à Beyrouth.
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