- English
- Français
Crif : Pouvez-vous nous parler de la communauté juive du Chili et de votre organisation ? Quelle est votre relation avec Israël ? L'Aliyah est-elle importante pour les Juifs chiliens ?
Gerardo Gorodischer : La communauté juive chilienne compte 18 000 membres actifs, c'est la seule communauté de la région qui s'est agrandie ces vingt dernières années, grâce à l'immigration régionale en provenance d'Argentine, du Venezuela et du Pérou principalement. La majorité de la communauté est basée à Santiago, même s'il y a des juifs dans chaque ville du Chili, comme Viña de Mar Concepcion et Temuco.
Les juifs sont arrivés au Chili en 1635. Au milieu des années 1800, a commencé une importante immigration en provenance d'Allemagne, de Russie, de Salonique, de Grèce et de Monastir, ils cherchaient un endroit sûr où vivre. Ils ont aidé à bâtir ce pays à ses débuts en tant que nation. Après cette immigration, le Chili a reçu une deuxième vague de Juifs fuyant l'Europe avant la Seconde Guerre mondiale et la Shoah.
Au Chili, il y a plus de 80 000 Chiliens d'origine juive.
Notre organisation centrale est la CJCH - Comunidad Judía de Chile. Elle représente plus de 30 institutions juives au Chili, 3 écoles juives, plus de 10 synagogues (Chabad, Aish ha Torah, Réformés et mouvement Massorti), un club etc. Je peux dire que la communauté offre une vie juive très large et diversifiée et que les relations au sein de la communauté sont bonnes. Nous avons un objectif commun : assurer la sécurité et la possibilité de vivre librement son judaïsme pour chaque membre de la communauté.
Nous sommes une communauté juive sioniste, le lien avec Israël est permanent et nous travaillons ensemble pour donner la meilleure image d'Israël, surtout en sachant que nous vivons dans le pays qui accueille la plus grande communauté palestinienne (400 000), et celle-ci est très active dans la défense de la cause palestinienne.
Auparavant, une personne qui vivait au Chili n'avait jamais pensé à quitter le Chili et vivre à l'étranger, ou il est toujours revenu au Chili. Depuis 2019, avec l'émergence des mouvements sociaux, la communauté juive a commencé à penser à faire son Aliyah, passant de 20-25 personnes par an à environ 100 par an.
Crif : La communauté palestinienne au Chili est considérée comme la plus importante en dehors du monde arabe. Quelle influence a-t-elle dans la politique du Chili, en particulier dans les relations chiliennes au Moyen-Orient ?
Gerardo Gorodischer : La communauté palestinienne est très nombreuse au Chili, environ 400 000, soit la plus importante en dehors du Moyen-Orient. Ce sont principalement des catholiques venus pour fuir l'Empire ottoman où les chrétiens étaient persécutés.
Cela dit, il y a une partie de la communauté palestinienne qui est très radicalisée et plus proche du Hamas que de l'Autorité Nationale Palestinienne et avec ce groupe il y a toujours eu des tensions. Au cours de cette période électorale, nous avons vu des actions anti-israéliennes promouvoir le BDS au congrès et faire pression sur les différents pouvoirs d'influence, essayant d'engager les différents candidats à adopter leurs positions et à soutenir le boycott d'Israël entre autres. Ils sont très influents et leurs pressions se font sentir en permanence.
Crif : Il semble que le choix dans cette élection ait été difficile pour la communauté juive, entre l'extrême droite et l'extrême gauche. Aviez-vous rencontré les deux candidats ? Les connaissiez-vous ?
Gerardo Gorodischer : L'élection a été difficile pour toute la société chilienne et pas seulement pour nous. La grande question est d'essayer de comprendre pourquoi le Chili a dû trancher entre les extrêmes et non quelqu'un du centre auquel appartient la majorité des Chiliens. Alors, en tant que juif vivant au Chili et faisant partie de la société locale, la réponse est la même ; oui ce n'était pas le scénario idéal.
Lorsque nous avons réalisé que les deux candidats avaient des possibilités de passer au second tour, nous avons commencé à travailler avec leurs comités afin d'ouvrir des canaux de communication notamment avec les équipes de Gabriel Boric. Dans le cas de José Antonio Kast, nous le connaissions très bien, il était membre du groupe de la chambre des députés Chili-Israël. Je pense qu'il n'est pas approprié d'institutionnaliser les élections ou les positions politiques, cela pourrait être très dangereux pour la communauté juive, donc nous ne l'avons jamais fait.
Crif : Le nouveau président a exprimé une position très anti-israélienne. Quelle est sa position vis-à-vis de la communauté juive ?
Gerardo Gorodischer : La vision d'Israël de Gabriel Boric est très critique et est très influencée par sa proximité avec certains membres de la communauté palestinienne. Il n'a pas été facile pour la communauté juive d'écouter ces discours, dont les mots étaient parfois très durs en se référant à l'État d'Israël. Nous avons eu le sentiments que la communauté juive et son sentiment envers Israël n'étaient pas compris, mais récemment nous avons travaillé afin de développer des canaux de communication et le nouveau président a fait preuve d'ouverture pour mieux connaître et comprendre la situation.
Nous avons eu un zoom il y a quelques mois, et il a déclaré que sa vision pour le Chili était un État laïc, avec la liberté religieuse, le respect des groupes minoritaires, la liberté d'éducation et aucun discours de haine. Par ses mots, nous concluons que Gabriel Boric nous respectera, de la même façon que tous les autres chiliens. Nous devrons trouver les canaux pour partager avec lui notre vision de notre vie au Chili et de notre espoir de relation entre le Chili et Israël.
Crif : Les Juifs chiliens se sentent-ils en sécurité au Chili ? Quel avenir envisagez-vous pour les Juifs du Chili ?
Gerardo Gorodischer : Nous nous sentons globalement en sécurité pour l'instant, même si l'antisémitisme et les sentiments anti-israéliens se sont accrus.
Nous devons être prudents, afin de ne pas institutionnaliser des positions politiques au sein de notre communauté, ce qui pourrait créer une polarisation entre nous. Aujourd'hui, nous devons être plus unis que jamais, travailler pour la communauté juive dans son ensemble, quelle que soit la couleur politique de chacun. Notre devoir est de prendre soin de tous les Juifs du Chili.
Les Juifs du monde ont besoin les uns des autres, où que nous soyons. Notre communauté ne fait pas exception. C'est pourquoi je vous invite à la prudence et à comprendre que chaque juif, quelle que soit sa pensée politique ou religieuse, est précieux pour notre peuple et, plus encore, pour notre communauté.
Pour en savoir plus sur la communauté juive du Chili :