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Propos recueillis par Robert Ejnes, Directeur exécutif du Crif
Crif : M. Habib, vous avez initié et présidé cette commission sur les dysfonctionnements de l'Affaire Sarah Halimi. Pourquoi avoir pris cette initiative ? Comment s'est organisée cette commission d'enquête ? Qui y a participé ?
Meyer Habib : Le soulèvement, l’émotion, les manifestations dans le monde entier qui suivirent la décision incroyable de la Cour de Cassation du 14 avril 2021, jusqu’à la décision des avocats de la famille de saisir une juridiction étrangère – israélienne en l’occurrence –, m’ont convaincu qu’il fallait trouvait un moyen de continuer le combat en France, là où le meurtre avait eu lieu et pour éclaircir les zones d’ombre que je pressentais.
Pour rappel, en 2017, trois jours après le meurtre, je reçois un appel de William Attal, le frère de Sarah Halimi. Totalement désemparé, il s’est immédiatement confié à moi. Après qu’il m’eut donné les premières informations sur ce crime abject, j’ai immédiatement eu la conviction qu’il s’agissait d’une affaire antisémite ! La communauté organisée s’interrogeait elle-même sur le caractère antisémite après avoir rencontré le procureur et pris connaissances des premiers éléments du dossier, tout cela dans une quasi-indifférence médiatique.
Il a fallu attendre ma question au gouvernement en juillet 2017 et la reprise des travaux parlementaires, où je parle à l’époque déjà de déni (ici), pour que l’opinion commence enfin à s’intéresser à cette affaire.
L’affaire a ensuite suivi son cours, vous la connaissez. Nous tous à cette époque tenions à ne pas interférer dans le processus judiciaire, tant qu’une décision finale n’était pas rendue. Pourtant, l’absence initiale du caractère antisémite du meurtre, incontestable, nous paraissait incompréhensible. Il m’a même rapidement semblé évident que la décision de la Cour d’Appel fût prise sur la base d’une enquête lacunaire, voire d’un excès de compréhension du meurtrier par la juge d’instruction, au détriment à la fois de la victime et de la vérité.
Même le Président de la République est sorti exceptionnellement de sa réserve, s’exprimant dans ma circonscription, devant les Français d’Israël, pour manifester le besoin de procès.
A l’instar de l’Affaire d’Outreau, j’ai donc eu l’idée d’entamer le long processus d’initiation d’une commission parlementaire afin de savoir si oui ou non il y avait eu des dysfonctionnements de la part des services de l’État dans cette affaire, et si c’était hélas le cas, quels étaient ces dysfonctionnements.
À mon initiative s’est rapidement jointe ma collègue Constance Le Grip, députée des Hauts-de-Seine, à qui je tiens à rendre hommage.
Le chemin fut néanmoins très long et parsemé de difficultés. Il a fallu d’abord rédiger la demande de résolution pour la création d’une commission d’enquête, la faire cosigner (quatre-vingts députés l’ont cosignée), que mon groupe parlementaire UDI utilise son unique droit de tirage annuel pour cette commission afin de l’inscrire à l’ordre du jour (il y avait sept demandes de commission parlementaire dans le groupe), que le garde des Sceaux ne s’y oppose pas et enfin que la commission des Lois se prononce sur sa recevabilité.
Notre assemblée a alors définitivement adopté la proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête parlementaire sur les dysfonctionnements de la police et de la justice dans cette affaire.
Le Président de l’Assemblée nationale avait quant à lui fait part de sa réticence à l’existence de cette commission ainsi qu’au fait que je la préside. Je tiens d’ailleurs à préciser dans la Newsletter du Crif que je remercie mes collègues du groupe UDI et particulièrement son président Jean-Christophe Lagarde. Sans eux, cette commission ne serait pas allée au bout.
Je m’attendais ensuite, une fois la commission enfin votée et constituée, à ce que chacun dépasse les clivages partisans pendant un temps. Or, aucun élu de gauche n’a daigné nous faire l’honneur de sa présence. PCF, France Insoumise, Parti Socialiste… Aucun d’entre eux n’est venu à la commission, ne serait-ce qu’une minute. Aucun n’a non plus signé la demande de commission d’enquête, alors que même les députés du Rassemblement national, dont Marine Le Pen, l’ont signée. Quant aux députés LREM, seulement trois d’entre eux l’ont à l’époque signée. Pourquoi ?
Si je n’attends rien des insoumis, où étaient les socialistes, héritiers de Jaurès et de Clémenceau, hérauts de la justice et de l’antiracisme ? Où étaient les communistes ? Sont-ils à ce point insensibles au rétablissement de la vérité dans l’affaire de la mort d’une juive ? Cela n’émeut-il plus la gauche qu’une femme juive se fasse massacrer par un islamiste ? L’affaire Sarah Halimi n’est pas une affaire politique ! La recherche de vérité et la lutte contre l’antisémitisme sont des impératifs dans lesquels chacun se doit d’être investi et ce quelle que soit sa sensibilité politique.
A gauche, il semble qu’il existe une sorte d’hémiplégie lorsqu’il s’agit du meurtre d’une femme juive. Peut-être qu’il y a dans le subconscient de certains, l’idée que 75 ans après la Shoah, il est normal ou du moins dans la logique des choses, du fait de la politique d’Israël, qu’on tue des Juifs en France, parce que juifs. Délirant et inquiétant !
Crif : Comment peut-on accepter que malgré la présence immédiate d’une dizaine de policiers, une femme se fasse massacrer, torturer puis défenestrer chez elle sans qu’aucun policier n’intervienne ?
Votre question est fondamentale. C’est en effet invraisemblable et évidemment inacceptable !
C’est un dysfonctionnement majeur, évident, que nous avons prouvé mais hélas qui n’a pas été mentionné dans le rapport. La rapporteure a conclu que l’intervention de police n’a pas présenté de dysfonctionnements majeurs ! Absolument incroyable !
Président des travaux de cette commission, j’ai établi, détail après détail et avec certitude que les policiers présents immédiatement sur place avaient, non pas un vigik comme déclaré dans les rapports de police, mais bien le trousseau de clés des Diarra ! Les Diarra ont avoué devant notre commission le leur avoir immédiatement jeté par la fenêtre !
Les policiers pouvaient d’abord tout simplement ouvrir la porte pour interpeller Traoré pendant qu’il faisait ses prières et ses ablutions chez les Diarra, qui ne subissaient d’ailleurs aucune séquestration (les policiers croient d’abord intervenir pour une affaire de séquestration). Après, ils devaient surtout aller au contact d’un individu non armé qui martyrisait une femme à poings nus pendant près de quinze minutes avant de la défenestrer. Pire, alors qu’une femme commence à hurler de souffrance et d’agonie et que la salle de commandement donne l’autorisation à la police de pénétrer dans l’appartement des Diarra, les policiers n’interviennent toujours pas ! Devant notre commission, comment ont-ils pu affirmer n’avoir pas entendu des cris de femmes que tout le voisinage a entendus ? Sept témoignages clairs que je cite dans ma contribution au rapport l’attestent, mais bien au-delà en réalité ! C’est un mensonge sous serment. La vérité, c’est que le fait qu’un policier reconnaisse ne pas intervenir lorsqu’une femme hurle à mort constitue une infraction de non-assistance à personne en danger. C’est pourtant ce qu’il s’est passé.
Les policiers présents ont sans doute été tétanisés dans le climat terroriste par les cris « Allah Akbar » et les sourates du Coran. Vous le savez sans doute, Traoré avait fait ce soir-là ses ablutions et s’était changé avant de savoir parfaitement où il allait, c’est-à-dire chez Sarah Halimi, sa voisine du haut que lui et ses sœurs harcelaient, insultaient, terrorisaient depuis des années. Cela démontre -s’il le fallait un peu plus- la thèse de la préméditation, thèse que je développe longuement dans ma contribution que vous pourrez lire. Vos lecteurs doivent comprendre qu’on ne peut à la fois préméditer minutieusement son acte depuis plusieurs jours et subir une abolition totale du discernement suite à une bouffée délirante.
Face à une telle accumulation d’erreurs, la police et la Justice ont sans doute voulu classer cette affaire le plus rapidement possible, afin qu’elle soit rapidement oubliée de tous. Habile manière de dissimuler leurs manquements…
Crif : Comment se sont passées les auditions ? Les témoins ont-ils contribué spontanément et quel était le comportement des membres du comité ? Ont-ils été assidus, intéressés, concernés ?
Meyer Habib : Je me suis ensuite très vite rendu compte de la difficulté que j’aurai à pouvoir présider et donc auditionner librement un très grand nombre de personnes dont l’écoute me paraissait indispensable, comme c’est pourtant le cas dans toutes les commissions d’enquête. Alors qu’à peine un tiers des auditions ont initialement été validées par Didier Paris, ancien magistrat et premier rapporteur de la commission, ce dernier m’a reproché d’en avoir commentées pour leur supposée confidentialité. Dans la réunion constitutive, il avait pourtant été convenu que toutes les auditions se tiennent en audition publique, à l’exception notoire de celle du meurtrier qui n’a finalement jamais eu lieu.
Le rapporteur a trouvé le prétexte d’une information que j’avais donnée sur ma page à propos de l’audition de la famille Diarra, qui devait être publique, et qui a dévoilé de façon certaine que les policiers étaient bien en possession de leur trousseau de clés !
J’ai mieux compris la réticence initiale du Président de l’Assemblée nationale qui m’a été rapportée. Il n’était pas en faveur de cette commission et il ne souhaitait pas que je la préside.
La démission regrettable et peut-être même programmée de l’ex-rapporteur qui s’ensuivit portait en germe le manque de coopération de la part de certains membres, qu’ils ont ensuite confirmé tout au long de ces mois de commission d’enquête.
Après un mois perdu, nous avons enfin pu véritablement commencer nos travaux.
La nouvelle rapporteure, Florence Morlighem, sans doute heureuse d’être nommée, a d’abord validé un grand nombre d’auditions auxquelles s’opposait Didier Paris. Mais rapidement, la pression de LREM a repris le dessus et les blocages se sont à nouveau multipliés. Le refus absolu et incompréhensible, malgré mes appels personnels et insistants, des membres du bureau LREM de la commission de nous accompagner lors de notre deuxième déplacement chez la victime, a révélé leur insuffisance et leur négligence.
Lors de ce deuxième déplacement nocturne chez la victime, j’ai tenu à faire venir un expert judiciaire. Ce fut un moment crucial, lors duquel nous avons fait constater que la porte fenêtre de Sarah Halimi avait été forcée et qu’elle était donc auparavant fermée. Si la juge s’était rendue sur les lieux, elle aurait pu constater que Traoré n’avait pas pénétré le domicile de Sarah Halimi par hasard en se faufilant par une fenêtre ouverte, théorie suggérée par la juge dans la version officielle (elle lui demande : « la fenêtre était un peu ouverte ou très ouverte ? » !!). Elle n’a au contraire jamais voulu faire de reconstitution, ni même se rendre sur les lieux, ce qui est incroyable dans une affaire de meurtre. Cette préméditation évidente n’a jamais été retenue par la justice. Pourquoi ?
La commission n’a également pas validé, de manière exceptionnelle et incompréhensible, l’audition de certains témoins-clés de l’affaire.
Imaginez, aucun des proches du meurtrier l’ayant fréquenté et accompagné les jours et les minutes avant les faits n’a pu être entendu ni par la juge d’instruction ni par notre commission. La famille du meurtrier (en particulier les sœurs dont l’antisémitisme est avéré) n’a également jamais été entendue par la commission malgré mes innombrables demandes. Le motif évoqué, l’impossibilité supposée de les localiser, est invraisemblable pour une commission d’enquête et dans un État de droit, d’autant plus que nous avons appris que ses amis continuent régulièrement à dealer dans le quartier, et surtout rencontrent l’assassin qui sort régulièrement de l’unité pour malades difficiles.
Je n’ai également jamais pu auditionner un des commandants de police judiciaire en charge de l’enquête – acteur pourtant incontournable de la chaîne pénale – car supposé dispensé par un certificat médical produit en septembre dernier. Nous avons d’ailleurs appris que la plupart des policiers ont été briefés avant de se présenter à nos auditions. La police n’a donc rien fait pour aider les auditions malgré mes demandes au ministre de l’intérieur qui lui a été compréhensif. Je tiens d’ailleurs à dire que les auditions des ministres actuels de l’intérieur et de la Justice ont été très importantes, sans langue de bois et qu’elles ont aidé les travaux de la commission.
Les auditions ont fait l'objet d'une mise en ligne sur le site de l'Assemblée nationale, ainsi que les rapports écrits de chaque audition. Comment a été rédigé le rapport final ? Qui en prend la responsabilité ? Quel est le rôle du Président de la Commission dans la rédaction du rapport ?
Meyer Habib : Théoriquement, le président préside et la rapporteure rapporte. Le président conduit les débats et désigne les personnes qu’il souhaite auditionner. La rapporteure est quant à elle en charge de la rédaction du rapport final et doit le présenter à la commission à l’issue des travaux. Ce rapport est d’abord accessible aux seuls membres de la commission qui en prennent donc connaissance. Après lecture de ce rapport, la commission procède à son examen en réunion publique avant de voter, à la majorité des suffrages exprimés, pour ou contre son adoption et sa publication.
Une fois adopté, le Président y joint un avant-propos ainsi qu’une contribution au nom de son groupe parlementaire. C’est ensuite que le rapport est rendu public sur le site de l’Assemblée nationale, avec l’avant-propos du Président qui l’ouvre et l’ensemble des contributions des groupes qui le clôturent. En général, tout se fait en harmonie et les rapports sont votés à l’unanimité.
A l’issue de notre commission, le rapport - vraisemblablement rédigé par l’administrateur de l’Assemblée nationale tant la rapporteure connaît peu l’affaire - n’a été adopté qu’à sept voix sur douze présentes (deux votes contre, trois abstentions). Sept voix du seul groupe LREM et aucune des autres groupes représentés (LR, MODEM et UDI).
Ma contribution, cosignée par mon collègue et ami François Pupponi, liste l’ensemble des dysfonctionnements que nous avons constatés, de la non-intervention de police jusqu’aux incohérences de l’examen psychiatrique, en passant par les lacunes de l’enquête judiciaire et par les éléments qui prouvent la préméditation du meurtre. Ces dysfonctionnements abyssaux sont détaillés point par point, preuve par preuve. Je vous invite à la lire.
Vous avez refusé de signer le rapport final de la Commission. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ? Quels sont les autres députés qui ont refusé de signer ? Tous pour les mêmes raisons ?
J’ai décidé de voter contre ce rapport sans fond, incolore et indolore, sans connaissance des éléments que nous avons démontrés dans cette commission d’enquête. Un rapport vide, creux, globalement à décharge, incomplet et rempli d’inexactitudes.
Encore une fois, ce sont les administrateurs qui ont intégralement rédigé le rapport. J’attends d’ailleurs toujours que la rapporteure vienne récupérer une clé USB dans mon bureau, dans laquelle figurent des pièces du dossier !
Une des mesures préconisées par ce rapport est même d’affaiblir les pouvoirs des commissions d’enquête de l’Assemblée nationale, et donc des parlementaires, ce qui paraît invraisemblable et paradoxal de la part d’une députée. Cela a d’ailleurs choqué beaucoup de commissaires.
Je rappelle que ce rapport, fait rarissime, n’a été voté que par des voix du groupe LREM, aucun des groupes MODEM, UDI et LR. Avant le vote, deux députés de LREM ont même affirmé devant notre commission et à leur propre initiative, qu’à la question de savoir si oui ou non il y a eu des dysfonctionnements dans cette affaire, ils répondaient bien évidemment oui. Ils ont ensuite décidé de voter pour l’adoption de ce rapport par solidarité parlementaire.
Si une phrase doit résumer l’esprit de ce rapport, je relèverai les conclusions de la rapporteure en page 24 : « Aux yeux de votre rapporteure, cette opération ne présente pas de dysfonctionnement des services de police » !!
Un rapport qui n’inclut ni les sept témoignages des voisins ayant assisté à la scène du drame et entendu les cris de souffrance de Sarah Halimi, ni l’expertise judiciaire réalisée lors de notre deuxième déplacement chez la victime, ni même les témoignages des voisins et amies de Sarah Halimi qui rapportent la crainte, récurrente et accentuée avant le drame, qu’elle ressentait à l’égard de la famille Traoré. Comment est-ce possible ?
La Commission ayant conclu qu'aucun dysfonctionnement n'était à déplorer dans cette affaire, quelles suites attendez-vous ?
Nous réfléchissons, François Pupponi et moi, à la possibilité de saisir l’article 40 du code de procédure pénale pour informer le Procureur de la République sur les différents mensonges sous serment que nous avons constatés lors de nos auditions.
Je crois également savoir que la famille de Sarah Halimi a mandaté ses avocats Me Goldnadel et Me Majster pour : D’une part, réclamer des comptes à Kobili Traoré sur la base de la commission d’acte de cruauté, qui ne se confond pas dans le temps avec la défenestration qui seule a été poursuivie. (Kobili Traoré a martyrisé Sarah Halimi pendant quatorze minutes avant de la défenestrer sans être poursuivi pour ce fait). Et d’autre part, réclamer des comptes à la police pour les dysfonctionnements que la commission a été en mesure de constater et sur la base de non-assistance à personne en danger. Mais je vous invite à les interroger directement.
Comme je l’ai conclu dans mon avant-propos, l’affaire Sarah Halimi est une nouvelle affaire Dreyfus. A l’époque, on accusait un innocent par antisémitisme. Aujourd’hui, on disculpe un meurtrier antisémite qui a prémédité son crime. Par négligence ? faiblesse ? lâcheté ? compassion ? indifférence ? antisémitisme latent ? A vous de juger.
Nous continuerons à nous battre sans relâche jusqu’à que la vérité sorte. Pour que la mémoire d’une femme juive ne soit pas bafouée et pour que l’honneur de la France soit sauf. C’est le serment que j’ai fait devant la tombe de Sarah à Jérusalem, où je m’étais rendu le lundi 3 janvier aux côtés de son fils Yonathan, de son frère William Attal et de leurs épouses.
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