- English
- Français
Publié le 4 mai dans Le Parisien
Éduquer plutôt que condamner. Voilà le pari que se lance le tribunal judiciaire de Versailles, qui a signé ce mardi une convention avec la fondation Mémorial de la Shoah pour imposer des stages de citoyenneté aux personnes coupables de mots ou d’actes haineux. « La sanction passe par l’éveil des consciences et la pédagogie », résume Maryvonne Caillibotte, procureure de la République à Versailles.
Concrètement, les juges des Yvelines pourront désormais imposer un stage de deux jours aux auteurs de tels délits. En contrepartie, leur affaire sera classée. Lancé en 2015, ce dispositif a déjà permis de mener une vingtaine de stages à Paris et à Lyon. L’exclusivité du partenariat avec Versailles, c’est que les stages peuvent également être obligatoires, comme partie intégrante de la sentence prononcée.
Pendant deux journées entières donc, et pour la somme de 1 euro, les condamnés se renderont à la fondation Mémorial de la Shoah à Paris par groupe de 10 à 15 personnes et sont pris en charge par l’équipe éducative. La philosophie, les thèses complotistes et les valeurs républicaines sont notamment au programme.
Peu convaincue au départ, la fondation est séduite
« On se rend compte que dans la majorité des cas, on est confrontés à l’ignorance, indique Jacques Fredj, le directeur. L’idée est de leur faire comprendre que tous les génocides de l’Histoire ont commencé par des propos. On travaille sur les paroles, les clichés, on essaye de répondre à toutes les questions, y compris sur les stéréotypes les plus difficiles. »
Le but n’est pas de désengorger les tribunaux, qui devront de toute façon traiter ces dossiers, mais d’élargir le panel de stages à la disposition des juridictions. « On est dans une démarche de qualité plus que de quantité, souligne le président du tribunal de Versailles, Bertrand Menay. On sème des graines en espérant qu’ils répéteront autour d’eux ce qu’ils auront vu et entendu pendant le stage. C’est le pari de l’éducation, pas de la répression. »
Et si le directeur de la fondation lui-même n’a pu s’empêcher de rire lorsqu’on lui a parlé de ces stages de citoyenneté pour la première fois, il est maintenant convaincu des bienfaits de ces ateliers. « L’idée d’obliger les gens à venir au musée ne me plaisait pas, explique Jacques Fredj. Mais on a eu de très bonnes réactions. Autour de la table, il y a des personnes qui sont soit antisémites, soit racistes, et qui ne peuvent pas se voir mais qui doivent passer deux jours face à face et se disent : C’est moi ça ? »
« Nous voulons essaimer le concept » en Ile-de-France et en France
Grâce à un interlocuteur qui n’est ni des forces de l’ordre, ni ne dépend des instances judiciaires, la parole se libère plus facilement. D’autant qu’à la fondation, ils ont accès à des documents d’archives et des témoignages de rescapés qui se font de plus en plus rares. « C’est une marque de respect, on leur fait confiance en les emmenant dans un lieu très différent de ce qu’ils connaissent », reprend la procureure de la République.
Le résultat est sans appel. Qu’il s’agisse de stages au Mémorial, ou dans des centres de détention comme à Villefranche-sur-Saône (Rhône) où la fondation est récemment intervenue, les mentalités changent peu à peu. « Pour certains, il se passe quelque chose, assure Jacques Fredj. Il y a des personnes qui reviennent nous voir ou qui nous remercient. D’autres ont compris l’illégalité de leurs propos. Pour vivre ensemble, qu’on le pense ou qu’on ne le pense pas, il y a des choses qu’on ne dit pas. »
Le concept n’en est donc qu’à ses prémices. D’ailleurs lors de la signature ce mardi, la directrice territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse des Yvelines a énoncé son souhait de faire appel à la fondation pour d’autres opérations de sensibilisation, auprès des mineurs et dans les centres de détention. Les services de l’Etat travaillent déjà au recrutement d’autres associations ou organismes pour décupler les stages de citoyenneté partout en France.
« Nous voulons essaimer le concept un peu partout sur le territoire en commençant par l’Ile-de-France, conclut Sophie Elizeon, déléguée interministérielle chargée de la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT. Bobigny (Seine-Saint-Denis) et Nanterre (Hauts-de-Seine) sont les prochaines étapes. »