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Publié le 11 Mai 2021

France - Pourquoi un procès est nécessaire même en cas d’abolition du discernement

Réfléchissant à l’affaire Sarah Halimi, les trois membres de l’Académie nationale de médecine expliquent pourquoi, selon eux, même si les experts concluent à l’irresponsabilité pénale du meurtrier, un procès est fondamental.

Publié le 10 mai dans Le Figaro

En 1992, le philosophe Louis Althusser, criminel jugé irresponsable du meurtre de son épouse douze ans plus tôt, nous interpellait: «Si j’avais dû comparaître, j’aurais eu à répondre (…). C’était malheureusement un vœu pieux. Sous sa pierre tombale (…), (le malade mental) devient lentement comme une sorte de mort vivant.» Si certains, dans les milieux intellectuels, s’étaient mobilisés pour qu’il n’y ait pas de procès, lui, avec le recul du temps, l’aurait souhaité. Malgré des progrès, cette réalité, cette complexité demeurent. La tragique affaire Halimi appelle des réponses.

Quand, en 1810, le code pénal posait le principe que la personne en état de démence au moment où elle avait commis un crime ne pouvait pas être punie, l’image de la possession diabolique n’était pas loin dans la représentation de la maladie mentale. L’état de démence retenu, un non-lieu, pour motif psychiatrique, éteignait l’action judiciaire et la personne était remise à la garde de l’institution psychiatrique.

L’irresponsabilité pénale

Au XXe siècle, la loi et la jurisprudence pénale ont évolué en demandant au psychiatre de décrire les éventuels symptômes d’anomalies ou de maladie mentales du criminel et de dire si, au moment de l’acte, le discernement du sujet était aboli (synonyme d’irresponsabilité pénale) ou altéré (synonyme de responsabilité pénale atténuée). Les avis souvent contradictoires des psychiatres témoignent de leur difficulté à répondre à cette question.

En cas de conclusion d’irresponsabilité pénale, le sujet est placé sous contrôle psychiatrique et, depuis 2008, la chambre de l’instruction doit valider cette orientation. En créant cette obligation d’explicitation des éléments médicaux fondant la décision d’irresponsabilité en présence des parties, la loi Dati a permis une avancée utile à tous. Le récent rapport de la mission Houillon-Raimbourg a rappelé la nécessité de renforcer ce cadre que ce soit par l’obligation d’entendre la partie civile si elle le demande, l’audition de témoins ou la prescription de nouvelles évaluations psychiatriques.

Une mosaïque de facteurs

La «folie» n’est plus ce qu’elle était: un phénomène dépassant les capacités de compréhension de l’homme ordinaire comme du citoyen et, bien sûr, de la science. On connaît mieux les déterminants des choix et des comportements individuels. La consommation de certaines substances psychotropes (cannabis, cocaïne, alcool) peut avoir des effets désinhibiteurs.

Mais même dans cette circonstance la nature du comportement n’est pas étrangère à l’histoire de l’individu, à ses moteurs intérieurs, à ses rancœurs, à ses haines. Tout comportement qualifié de normal, déviant ou pathologique répond, en réalité, à une mosaïque de facteurs déterminants plus ou moins importants selon les circonstances: individuels, innés et acquis, liés à l’environnement social et culturel aussi. De ce fait, l’acte criminel d’une personne malade mentale et son horreur ne sauraient être automatiquement imputés à la maladie: la connaissance de la maladie aide à comprendre et à choisir la réponse judiciaire.

Une avancée déterminante dans la reconnaissance de cette réalité a été accomplie par la loi de 1968 sur les incapables civils majeurs placés sous tutelle ou curatelle. En cas d’acte créant un préjudice à un tiers, le sujet en situation d’incapacité majeure a l’obligation de réparer le préjudice causé au tiers.

Reconnaître le malade comme une personne à part entière, c’est respecter sa dignité humaine, c’est poser comme principe que celui qui souffre d’un trouble mental, comme sa victime, doivent avoir un traitement judiciaire à l’égal de tout citoyen. C’est reconnaître que, dès lors que son état le rend possible, le malade doit aider et être aidé à comprendre les enjeux individuels et collectifs de son acte. Ceci participera au deuil des familles, à la reconstruction de la victime grâce à la perception que l’auteur du crime pourra avoir de son acte et à l’évolution positive de sa maladie.

Nouvel équilibre

L’abandon du principe de non-lieu psychiatrique est un choix de justice et humaniste. Il exige de reformuler les questions posées par les autorités judiciaires aux experts en les focalisant sur les aspects médicaux: identification de symptômes de fragilité ou de maladie psychiques, traitements médicaux disponibles et conditions de leur mise en œuvre.

Quelles seraient les bases de ce nouvel équilibre entre le médecin et le juge, le malade mental et sa victime? A qui de dire le poids de la maladie dans la survenue du crime? A la médecine bien sûr en apportant les éclairages venus des progrès des connaissances: sans science la médecine ne serait qu’improvisation. Il est essentiel, pour les pouvoirs publics, de faciliter le développement d’une école de psychiatrie médico-légale capable de former les experts de demain.

A qui de dire la sanction? A la justice évidemment en sachant qu’ici plus qu’ailleurs la personnalisation de la peine doit prendre sa pleine mesure, et ouvrir un parcours de soins, de prise en charge et de réhabilitation adapté au pronostic du trouble mental.

Il s’agit d’apporter à la personne malade mentale ayant commis un crime une double réponse, judiciaire et médicale. La décision de non-lieu doit laisser place, après un véritable procès pour la victime comme pour le malade mental en mesure d’y comparaître, au prononcé de la peine assorti des aménagements que la prise en compte de la maladie peut imposer, jusqu’à une substitution de peine en obligation de soins.

C’est tout le sens de la proposition de loi sénatoriale visant à garantir la tenue d’un procès en cas d’irresponsabilité pénale pour trouble mental et dont l’exposé des motifs rejoint l’état du savoir médical: «Que les rapports [d’expertise) soient concordants ou pas, à la fin, c’est au juge de trancher».