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Publié le 6 avril dans Le Figaro
L’antisionisme est-il une forme cachée de l’antisémitisme? Le refus de la maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian, et de sa majorité verte et communiste, de voter la définition de l’antisémitisme proposée par l’Alliance internationale de la mémoire de l’holocauste (Ihra), après un débat sur cette question, suscite des interrogations. Jusqu’en Israël où le Jerusalem Post a publié ce week-end une «lettre ouverte à Jeanne Barseghian». «Rejeter cette définition, c’est revenir à un sombre passé», écrit Shimon Samuels, un des dirigeants du centre Simon-Wiesenthal, organisation de lutte contre l’antisémitisme reconnue par les Nations unies, en appelant la maire «à être sensible à son environnement… historique», citant en exemple le camp de concentration alsacien de Natzweiler-Struthof. «Ce refus a été un électrochoc pour les Alsaciens qui vivent en Israël», explique Michel Rothé, mulhousien d’origine, qui anime le site internet «Judaïsme d’Alsace et de Lorraine». «Comme maire, elle aurait pu se désolidariser de sa majorité», suggère-t-il. Il évoque ensuite «ces faits qui inquiètent» à Strasbourg et dans la région. Il y a eu cet artiste graffeur, insulté parce qu’il portait un tee-shirt avec Israël marqué en petit, ce livreur refusant de porter des repas à des juifs, mais aussi les profanations de cimetières et les inscriptions racistes et antisémites…
Le débat a eu lieu lors du conseil municipal du 22 mars, jour du vote, très remarqué lui aussi, de la subvention à la mosquée Eyyub Sultan. La maire de Strasbourg avait accepté que Jean-Philippe Vetter, élu LR, présente la résolution de l’Ihra. Il a commencé en rappelant que «de nombreuses organisations, assemblées et villes, dont Paris et Nice, ont adopté cette définition». C’est autour de la notion d’antisionisme que se cristallisent rapidement les débats. Plusieurs intervenants de l’opposition insistent en indiquant que reconnaître l’existence de l’État d’Israël ne vaut pas soutien à son gouvernement. «Aujourd’hui l’antisionisme se retrouve dans les cours d’école, dans les prisons», a réagi Alain Fontanel, élu LREM, tandis que Catherine Trautmann, encartée au PS et pourtant alliée de Barseghian, s’est dite préoccupée de la tournure du débat. Rien n’y fit. La résolution a été rejetée par 39 voix contre, 19 pour et 1 abstention. «Nous sommes tous engagés contre l’antisémitisme», a toutefois insisté Barseghian, refusant d’«instrumentaliser ces questions ».
«Des mots justes»
Dans la foulée, Maurice Dahan, président du consistoire israélite du Bas-Rhin, s’est étonné auprès de la maire que la majorité ait refusé de mettre «des mots justes et éclairés sur ce fléau qu’est l’antisémitisme et les démons qui l’animent». «Je lui ai tendu la main, mais elle s’enferme dans le dogme», déplore-t-il. «La maire de Strasbourg a raté une occasion de reprendre le dessus», déplore le grand rabbin Harold Avraham Weill, en confirmant qu’«au sein de la communauté, les gens sont extrêmement choqués». Selon lui, «on n’a aucune chance de gagner contre le racisme, si l’on méconnaît la spécificité de l’antisémitisme». «Ce refus de reconnaître l’histoire spécifique du judaïsme me chagrine beaucoup», avoue le sociologue Freddy Raphaël, en expliquant que «la reconnaissance minimale de ce qu’a été la Shoah renvoie à tous les peuples opprimés».
Depuis, la Collectivité européenne d’Alsace, sous la présidence de Frédéric Bierry (LR), a adopté la résolution à l’unanimité, en présence de la ministre Brigitte Klinkert. Le président du Grand Est, Jean Rottner, devrait également la faire adopter lors de la prochaine session. Le débat pourrait rapidement rebondir à Strasbourg. Ainsi des cérémonies du 30e anniversaire du jumelage avec Ramat Gan, une ville de la banlieue de Tel-Aviv, célébrée en septembre. La maire n’a pas répondu à l’invitation qui lui a été faite.