Discours du Président du Crif lors de la plénière de clôture de la 13ème Convention nationale du Crif

Retrouvez le discours du Président du Crif, prononcé à l'occasion de la plénière de clôture de la 13ème Convention nationale du Crif sur le thème, « Après le 7 octobre - Comment défendre nos démocraties ? ».
 

Crédits photos : ©Alain Azria

 

 

Monsieur le ministre de l’Intérieur, cher Gérald Darmanin,

Bienvenue à la Convention nationale du Crif. Je vous remercie de votre présence à nos côtés, aujourd’hui, mais surtout au-delà, de votre action au cours de ces six dernières semaines, si éprouvantes et si décisives.

Madame la Présidente du Conseil régional d’Ile-de-France, chère Valérie Pécresse, dont la fidélité nous accompagne dans les jours heureux comme dans les jours difficiles,

Mesdames et messieurs les élus, les dirigeants associatifs,

Mais surtout, chers amis,

 

Nous avons été aujourd’hui près de 2 000 à participer aux débats de la Convention du Crif, dans une atmosphère chargée de l’émotion et de la gravité des moments historiques.

Tous ensemble mobilisés d’abord contre la résurgence de l’antisémitisme ici en France, inquiets aussi bien-sûr pour nos amis, nos alliés, nos « frères en démocratie », qui sont là-bas, en Israël, et plus généralement, soucieux pour notre pays, la France, qui fait face à des attaques insidieuses et répétées contre notre démocratie, contre la République et ses principes.

Depuis le 7 octobre, les digues sont tombées, la haine des Juifs est sortie de son lit et le monde fait face à une vague inédite d’antisémitisme. Je veux d’abord le dire clairement : rejetons-nous les fausses causalités ! Ces actes antisémites ne sont pas la conséquence d’une indignation face aux images de Gaza.

Déclenchés dès le 7 octobre, ces actes sont d’abord et avant tout le prolongement partout dans le monde des attaques du Hamas ! En levant d’un coup les inhibitions des antisémites du monde entier, les attaques du Hamas ont déclenché une onde de choc mondiale, comme un tsunami antisémite libéré par le séisme inédit qu’a représenté le 7 octobre. Ces actes antisémites ne sont que la réplique à petite échelle des exactions du Hamas.

On a vu, en plein cœur de New York, des étudiants juifs craindre pour leur sécurité dans une université. Des manifestants aux accents antisémites ont défilé dans les rues de Berlin. À Londres, les juifs craignent pour leurs écoles et leurs synagogues. Partout, dans le monde libre, c’est-à-dire dans les démocraties, l’antisémitisme flambe, consumant toutes nos certitudes.

Cet antisémitisme se nourrit depuis le 7 octobre toujours plus de la haine d’Israël, de l’islamisme et du complotisme.

Oui, la haine d’Israël, démontre une fois pour toute, dans ces milliers de passage à l’acte à travers le monde, que l’antisionisme est par essence antisémitisme.

Oui, cet antisémitisme chemine depuis bien longtemps aussi avec l’islamisme et il n’y a pas d’islamiste qui ne soit pas antisémite.

Oui, ce sont les Juifs mais avec eux les démocraties tout entières qui sont attaquées par la lame noire de l’antisémitisme et son cortège haineux, galvanisé au complotisme des réseaux sociaux.

 

***

 

Alors comment défendre les démocraties ?

Pour défendre les démocraties, d’abord, il ne faut taire aucune des attaques portées. Parlons donc de ce qui se passe, ici en France, aujourd’hui.

Monsieur le Ministre, vous donniez la semaine dernière l’état précis de ce sombre décompte. Plus de 1 700 faits antisémites recensés cette année. Ce sont autant de gestes, de mots, d’actes de violence qui n’ont pas leur place en France.

Nos concitoyens comprennent qu’un acte antisémite est une attaque contre notre modèle de société libre et démocratique. Beaucoup se sont mobilisés dimanche dernier pour manifester, à l’appel de Yaël Braun-Pivet et de Gérard Larcher, leur attachement aux valeurs républicaines et leur rejet de l’antisémitisme.

Cette marche fraternelle du dimanche 12 novembre, Monsieur le ministre, était aussi une marche pour l’unité de notre pays. L'unité de la France, cette unité qui était autrefois celle du corps du Roi, qui est depuis la Révolution l’unité de la République, c’est une unité mobilisée pour la démocratie. Depuis le 27 septembre 1791, date du décret d’émancipation des Juifs de France, les Juifs sont partie intégrante de cette unité nationale. C’est pourquoi, en rejetant l’antisémitisme, la France est au fond fidèle à elle-même. L'antisémitisme n'est ni une part ni un côté de la France : l’antisémitisme est hors France, comme il est hors la loi. Manifester contre l’antisémitisme, ce n’est pas, comme le débat public l’a parfois rapporté, prendre le parti des Juifs. C’est prendre le parti de la France.

 

Raymond Aron le disait à sa manière en faisant référence à son expérience de la guerre : « Une France devenue hitlérienne […] n’aurait plus été ce qu’elle a été, et ce qu’elle demeure. » [1]

On a pu questionner la sincérité de certains présents dimanche dernier, trop heureux de tenter de trouver là un brevet de respectabilité. Nous sommes bien entendu vigilants face à tous les risques de récupération. Mais dimanche dernier, un seul parti politique manquait à l’appel : La France Insoumise. Un parti qui trouve des prétextes pour ne pas se joindre à une protestation nationale contre l’antisémitisme est un parti qui se satisfait de l’antisémitisme. Par complaisance, par clientélisme ou par idéologie. Nul besoin ici de rappeler les messages infâmes de Jean-Luc Mélenchon, ou de David Guiraud dans ces dernières semaines. Face à des adversaires aussi clairement déclarés, nous ne cesserons jamais de mener la bataille, pour que la vérité et la morale triomphent.

En 2027, il nous faudra mener collectivement un combat républicain contre tous les populismes.

 

Monsieur le ministre,

je profite de votre présence pour témoigner notre sincère gratitude envers les forces de l’ordre qui, depuis le 7 octobre, ont répondu présents dans la mesure de leurs moyens.

Pourtant, contre l’antisémitisme, nous pouvons faire mieux, nous devons faire mieux.

Faire mieux, passe d’abord par sanctionner plus fermement l’antisémitisme. Trop souvent, la justice remet en liberté les auteurs d’actes antisémites, sans aucun espoir de les ramener à la raison républicaine. La justice manque sans doute de moyens. Mais, de notre point de vue, la justice manque aussi de volonté. Face à l’antisémitisme, nous lançons un appel aux magistrats de notre pays pour qu’ils restaurent la force de dissuasion de l’État de droit, par des peines sévères et immédiates.

Autre domaine clé dans le combat pour la démocratie et contre l’antisémitisme : l’éducation. Avec les Juifs, les enseignants sont une des cibles privilégiées de l’islamisme et de ses crimes. Saluons ici la mémoire de Dominique Bernard, assassiné à Arras le 13 octobre. Sa mémoire s’ajoute à celle de Samuel Paty, et celle de Jonathan Sandler. Tous trois sont des justes, tués parce qu'ils étaient les sentinelles modestes et discrètes de notre démocratie. Nous ne les oublierons pas.

Hugo Micheron, auteur de La Colère et l’Oubli, un ouvrage de recherche remarquable, détaillait sa rencontre avec un islamiste en prison. Ce personnage lui confiait alors : « tout ce que fait un éducateur spécialisé dans un quartier, je l’ai fait, mais à l’envers ». Ce terrain, celui de l’action éducative de rue, des quartiers, des maisons de jeunesse, doit être réinvesti par les forces de l’État. Face aux ennemis de la démocratie, face aux ennemis de la France, la ligne de front passe autant par les cages d'escalier ou les salles de sport que par les salles de classe.

 

Enfin, défendre les démocraties, passe par la défense de chacune d’entre elles. Défendre les démocraties, c’est affirmer, en paroles et en actes, leur solidarité face à l’obscurantisme. Évidemment, il est dans l’intérêt de la France de défendre Israël face aux attaques du Hamas, du Hezbollah, et face aux menaces iraniennes.

Parlons-en clairement : ce fameux équilibre que notre diplomatie nous chante depuis tant d’années est une errance. À nos yeux de citoyens, il ne peut pas y avoir d’équilibre entre d’un côté un régime islamiste qui persécute les femmes et les homosexuels et qui ne pratique aucune élection libre, et de l’autre un régime pluraliste, et démocratique, qui protège les minorités en son sein. Vouloir placer ces deux objets en équilibre relève avant tout du déséquilibre dans l’évaluation des intérêts de la France.

Défendre les démocraties implique de défendre Israël, son droit à se défendre et à des frontières sûres. Défende les démocraties, c’est aussi défendre l’Ukraine, c’est défendre nos alliés de l’Otan, c’est défendre l’Union européenne, face aux attaques des islamistes, face à la Russie, défendre aussi les femmes iraniennes, face à tous les régimes autoritaires, et face aux dictateurs qui rêvent d’éteindre les lumières que l’Histoire apporte peu à peu, difficilement, au monde.

 

Chers amis,

« Nous savons depuis longtemps que les idées sont dangereuses » [2] rappelait Raymond Aron, toujours lui ; quelques jours après l’attentat contre la Synagogue de Copernic.

C’est pour cela que nous avons travaillé aujourd’hui.

Pour combattre d’abord les idées qui mènent à l’obscurité, à la haine, à la violence.

Combattre la barbarie, dont bien-sûr celle du 7 octobre dernier et ses images qui nous hanteront à jamais.

Soyez certains que le Crif est décidé à lutter contre les ennemis de la démocratie. Ils sont par nature les ennemis de la France, et les ennemis du peuple juif. Depuis la création du Crif dans la Résistance il y a 80 ans, nous menons ce combat, pour la France, et pour la démocratie.

 

Longue vie à la France, à la République et au peuple juif.

 

Yonathan Arfi, Président du Crif 



[1] Raymond Aron, « Discours de Jérusalem » in Essais sur la condition juive contemporaine (1972), Tallandier, 2007, p. 241

[2] Raymond Aron, « Antisémitisme et terrorisme » in Essais sur la condition juive contemporaine (11/10/1980), Tallandier, 2007, p. 374