Par Claudine Esther Barouhiel
Je me dois en la mémoire de ce grand homme d’emprunter d’emblée sa langue maternelle, le judéo-espanol, pour laquelle il s’est battu sa vie durant, puisqu’il fut aussi président de « l’Autorité nationale du ladino » durant 18 ans. Ce qu’on oublie souvent de dire à son sujet lorsqu’on évoque sa vie et sa carrière.
C’est un grand monsieur qui nous a quitté Shabbat 7 novembre 2015 à l’âge de 94 ans.
Et c’est la gorge serrée que je rédige ces quelques lignes à l’annonce de son décès. Car j’ai eu la chance et l’immense honneur de le rencontrer plusieurs fois lors de certaines manifestations en Israël et surtout de l’interviewer à Jérusalem, dans son modeste bureau de la rue Haneviim, (des prophètes). En effet Meïr Waintraiter, avait accepté pour l’Arche, de me confier une grande enquête sur « Les Judéo-espagnols en Israël » parue en 2010.
Et quand bien même l’on peut se targuer d’une certaine expérience professionnelle, croyez-moi, je n’en menais pas large ce jour-là, tant l’homme était de stature imposante et brillait par son intelligence et sa culture. Et puis j’avais quand même devant moi le 5ème Président de l’Etat d’Israël ! Et de surcroît l’un de ces pionniers, quasiment mythiques, qui avaient construit ce pays, cette terre promise tant désirée ! (Il fut le chef du bureau de la Haganah pour la région de Jérusalem de 1946 à 1949). J’en perdis d’ailleurs, je m’en souviens, la moitié de mes moyens.
Il le sentit et fut d’une grande indulgence à mon égard. Et il se mit alors, comme pour détendre l’atmosphère, à me révéler l’histoire de sa famille et à me raconter son enfance ; et ce à moitié en français, à moitié en ladino. Et mon « trac » s’apaisa ; car l’homme était aussi doté d’une grande humanité.
Il me dit entre autre : « Mon père est né à Jérusalem où sa famille vivait depuis 336 ans. Originaires de Turquie nous avons quitté ce pays en 1670. Saragosse, Istanbul, Jérusalem : voilà le parcours de mes ancêtres paternels. Ma mère, elle, est née au Maroc ; elle est venue en Eretz Israël à l’âge de quatre ans. Sa famille était elle aussi d’origine espagnole ; on y parlait une variété de judéo-espagnol nommé haketia, qui a beaucoup emprunté à l’arabe. Ici dans le quartier Olhel Moshé où nous habitions, la langue dominante était le ladino ; chez moi comme à l’extérieur, nous le pratiquions couramment...»
Ytzhak Navon possédait parfaitement 7 langues : l’hébreu, l’arabe et l’anglais ; le yiddish, le français, l’espagnol et bien sûr le judéo-espagnol. Il pouvait ainsi s’adresser à 90% des Juifs du monde entier dans leur propre langue ! Grand intellectuel, homme politique, éducateur, écrivain, deux de ses œuvres entre autre «Le verger espagnol » et « Un soir de romance espagnole», écrites en judéo-espagnole, eurent un succès retentissant en Israël et contribuèrent à insuffler une vie nouvelle à la culture judéo-espagnole. Elles vont fort heureusement nous rester comme bien d’autres de ses travaux.
La communauté judéo-espagnole mondiale, qui l’admirait et le respectait, perd avec lui, en même temps qu’un homme à la carrière politique remarquable, l’un de ses plus grands défenseurs. Elle est aujourd’hui tout particulièrement peinée.
Ke su alma deskanse en paz*
*(Que son âme repose en paix)