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Ecrit par Laurent Azoulai, président du Cercle Léon Blum
Lorsqu'au début des années 2000 une multitude d'actes antisémites a déferlé en France, frappant aveuglement édifices religieux, écoles et personnes, certains bien pensants ont essayé d'expliquer qu'il ne s'agissait que d'un phénomène passager, lié aux soubresauts du conflit du Proche-Orient.
Lorsqu'en février 2006, le jeune Ilan HALIMI fut lâchement torturé puis assassiné par le justement nommé « gang des barbares », parce que Juif, des observateurs avisés ont alors accusé le désarroi social de jeunes désœuvrés, en mal de reconnaissance.
Lorsqu'en mars 2012, 2 jeunes militaires à Montauban, 4 jeunes enfants et un adulte de l'école juive de Toulouse furent massacrés, l'explication fut évidente: il s'agissait d'un loup solitaire.
Lorsqu’en mai 2014, un islamiste a tué 4 personnes au musée juif de Bruxelles, certains ont invoqué un phénomène de mimétisme avec Toulouse.
Lorsqu'en janvier 2015, 11 journalistes de Charlie Hebdo, 2 policiers et 4 Juifs français dans un magasin hyper-casher furent assassinés, l'émotion fut réelle et la mobilisation internationale massive. Cependant, quelques jours plus tard, après une minute de silence diversement respectée, quelques « penseurs » se sont interrogés sur l’utilité de publier des caricatures du prophète, quand d'autres indiquaient que les policiers étaient les représentants d'un certain ordre public. Quant aux juifs ... .
Lorsque le 13 novembre 2015, ce furent le Stade de France, des terrasses de restaurants parisiens puis le Bataclan qui furent les cibles de terroristes visant la jeunesse, sa liberté et sa joie de vivre, les explications simplistes furent plus complexes à exposer, parce que le mal avait frappé aveuglément.
Lorsqu'en mars 2016, l'aéroport et le métro de Bruxelles furent l'objet de la folie meurtrière d’islamistes provoquant la mort de 32 personnes, beaucoup ont commencé à comprendre que le mal s’internationalisait.
Lorsqu’en juin 2016, un employé a décapité son patron en Isère, il allait de soi qu’il s’agissait … d’un différend professionnel.
Alors, même si comparaison n'est pas raison, certains faits restent intellectuellement troublants:
Lorsqu'à Jérusalem, en 2015 et 2016, des fanatiques ont utilisé des camions et des tracteurs pour assassiner des piétons patientant à des arrêts de bus, c’étaient des « activistes » qui agissaient mais lorsqu'un fou furieux utilisera un camion pour assassiner 84 femmes, hommes et enfants sur la Promenade des Anglais, un soir de 14 juillet, cela deviendra un drame terroriste effroyable.
Lorsqu'une série de meurtres à l’arme blanche est perpétrée à Tel-Aviv, à Natanya, ou qu’une fillette de 13 ans est lardée de coups de couteau dans son lit, c'était « en réaction à la colonisation des territoires » mais lorsqu'un qu'un prêtre sera effroyablement égorgé dans son église de Normandie, cela deviendra une monstruosité abjecte.
Puis vinrent Munich, Orlando, Tunis, Côte d’Ivoire, puis, puis....
Alors, comme il est de bon ton de l’affirmer, « soyons Paris, Munich, Bruxelles, Orlando, Nice, Jérusalem, St Etienne du Rouvray, … » comme autant de villes devenues symboles d'une nouvelle forme de haine absurde. Continuons à illuminer les plus prestigieux monuments du monde aux couleurs des pays martyrs, cela nous réconfortera et créera une indispensable solidarité. Mais au-delà de ces symboles, qui ne sont que des symboles, essayons, en parallèle, de trouver quelques réponses plus dynamiques qui permettraient aux commanditaires de ces attentats ne pas trop se moquer de notre faiblesse endémique à déjouer leurs noirs desseins.
Il est évident que le travail sécuritaire effectué par la police, la gendarmerie, les renseignements et l'armée est formidable et qu’il a permis, chacun le sait, d’éviter des drames, encore plus nombreux et encore plus traumatisants.
Mais, au-delà de l’émotion réelle des opinions publiques, il manque probablement un engagement plus populaire qui permettrait aux citoyens de se mobiliser concrètement pour en faire des acteurs opérationnels et pacifiques de leur propre sécurité. N’est-il pas temps de préparer notre pays et sa population à se confronter à ce mal dont chacun aura compris qu’il est installé dans le temps ? Les forces de sécurité sont mobilisées jusqu’à la limite de leurs capacités opérationnelles. Le Président de la République vient d’annoncer la future création d’une Garde Nationale. C’est une première et utile étape. Mais allons plus loin et proposons quelques pistes :
• Et si tous les journalistes prenaient l’engagement de cesser de montrer les photos et de prononcer périodiquement les noms des assassins, comme autant d'occasions offertes à certains de les magnifier et d'en faire des héros identifiables ! N’est-ce pas un terrible paradoxe que d'inscrire dans les mémoires les noms et les images des meurtriers et d’enfouir ceux de leurs victimes dans un abyssal anonymat ? Ne pourrait-on pas simplement affubler ces bandits du seul vocable qui leur correspond: des criminels ?
• Et si les pouvoirs publics s’inspiraient des mesures prises par les pays confrontés aux grandes catastrophes. Les Japonais apprennent à se protéger des tremblements de terre, les Indonésiens sont éduqués aux gestes utiles en cas de tsunami, les Israéliens sont formés aux gestes préventifs et sécuritaires en cas de menace terroriste. Pourquoi la France ne lancerait-elle pas un grand programme scolaire et n’utiliserait-elle pas les réseaux sociaux, enfin devenus vecteurs positifs, pour former les jeunes et les citoyens à une nécessaire vigilance civique ? Cela pourrait permettre d'anticiper et, pourquoi pas, d'éviter des situations dangereuses grâce à une attention généralisée et des comportements préventifs qui deviendraient réflexes.
A ces suggestions pratiques dont la mise en œuvre est facilement réalisable et quasiment neutre budgétairement, un appel à la responsabilité adressé aux responsables politiques pourrait également contribuer à amplifier cette indispensable mobilisation générale.
Et si les dirigeants des formations politiques républicaines et démocratiques, qui ont suffisamment de sujets de désaccords en matière sociale et économique pour faire valoir leurs différences, essayaient de ne pas user ni abuser d'inutiles surenchères verbales, mortifères pour l'équilibre même de notre République ! Qu'ils laissent aux seuls partis extrémistes l'excès et la caricature, ce serait déjà une vertueuse différenciation. Qu’ils agissent de façon responsable et qu’ils donnent l’exemple puisque, dans la majorité ou dans l’opposition, aujourd’hui ou demain, ils sont et seront confrontés aux mêmes contraintes d’unité nationale quand la République sera en jeu ! Or, on ne joue pas avec la République : on la sert et on la défend !