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Publié le 16 Mai 2018

#InterviewCrif #Israel - Ambassade américaine à Jérusalem et ses conséquences : quel est le sentiment qui prévaut en Israël ?

Entretien mené par Marc Knobel, historien et Directeur des Etudes au Crif avec Rudy Saada, rédacteur en chef des week-ends à i24 news et présentateur de "la Newsroom Weekend".

L'ambassade israélienne a été transférée à Jérusalem. Quel est à ce sujet, le sentiment qui prévaut en Israël ? Ce transfert suscite-t-il un débat ?

Il y a bien évidemment un débat sur la forme, sur la méthode Trump chez une certaine partie de l’opinion. Sur le fond, sa décision de transférer l'ambassade, ne choque personne. Elle vient juste confirmer une réalité que vivent les Israéliens au quotidien. Le Parlement, les ministères, la résidence du Président, et bien d’autres lieux de pouvoir se trouvent à Jérusalem.

J’irais même plus loin, cette décision si elle choque les Arabes Israéliens et les Palestiniens eux-mêmes, elle ne change rien au statut quo actuel de la ville. Je parle ici bien évidemment de la partie Ouest. Cet été, j’ai couvert pour i24news les vendredis de tension autour du Mont du Temple ou l'Esplanade des Mosquées, quand le gouvernement israélien a, assez maladroitement je dois le dire, décidé d’installer des portiques de sécurité.

On annonçait la rage et la colère de tout un peuple. En réalité, chaque vendredi pendant plusieurs semaines, porte de Damas à l’entrée de la Vieille Ville, il y avait une centaine d’émeutiers encouragés par des organisations palestiniennes, face à une cinquantaine de soldats et surtout, une bonne cinquantaine de journalistes.

Il y a deux explications à cela : tout d’abord “la rue palestinienne” est déçue par ses leaders et a du mal à les suivre, mais aussi, ce déplacement de l'ambassade vient confirmer une réalité que semblent avoir accepté les Palestiniens de Jérusalem. Ce qui ne veut pas dire qu’ils n’aient pas l’espoir de voir le côté Est de la ville devenir la capitale d’un futur Etat palestinien, reste à régler l’épineuse question de la souveraineté de la Vieille Ville.

Comment l'opinion publique israélienne perçoit-t-elle les graves tensions qui ont eu lieu à sa frontière avec Gaza et le fait qu’autant de Gazaouis aient été tués ou blessés ? Qu'en dit la presse israélienne ?

Je crois que personne ne reste insensible au fait qu’il y ait des morts à Gaza. Chaque victime gazaouite est un drame pour l’opinion publique israélienne. Mais chacun sait que cela est malheureusement inévitable. C’est ce que le Hamas cherche et obtient. Les Israéliens connaissent le mécanisme de condamnations et de pressions qui va désormais s'abattre sur le pays.

Evidemment, cette crise n’enchante personne. Cela dit chacun a conscience que ceux qui veulent forcer la frontière ne viendront pas en Israël pour y faire du tourisme, le danger est réel et la nécessité de défendre la frontière est indiscutable.

J’ajoute que la population israélienne était préparée à vivre des instants délicats. Depuis début mars, le Hamas faisait monter la pression à la frontière et les Israéliens ont le sentiment que ce qui est arrivé était inévitable étant donné la détermination de certains manifestants proches du Hamas. Dès que la tension monte, les Israéliens savent que cela va avoir un impact catastrophique sur l’image du pays, mais l’enjeu sécuritaire reste la priorité.

Après, il y a débat sur la réponse à apporter, une réponse qui sera sûrement politique. Si la majorité de la presse israélienne soutient l’action en cours, le journal de gauche Haaretz appelle à “stopper le bain de sang” et souligne les contrastes entre les événements dramatiques à la frontière hier, et l'atmosphère euphorique dans laquelle est plongé le pays qui en une seule journée a inauguré l’ambassade américaine et célébré la gagnante de l'Eurovision sur la place Rabin. Israël est un pays de contrastes et de “up and down”, ces derniers jours l’illustrent.

Selon vous, quelles sont les perspectives politiques en Israël ?

Je pense que politiquement,  Benjamin Netanyahu sortira grand vainqueur de cette séquence. En une semaine, bon nombre d'événements positifs pour lui se sont imbriqués : la sortie des Américains de l’accord sur le nucléaire iranien, l’offensive très efficace sur les bases iraniennes en Syrie, le déménagement de l’ambassade américaine et aussi la victoire à l’Eurovision qui a vu le public européen voter en masse pour Israël. Les affaires dans lesquelles le Premier Ministre est empêtré semblent bien loin. Il joue parfaitement le rôle du chef d’Etat qui protège son peuple et obtient des résultats concrets.

Cela dit cette crise remet au centre du débat les questions de Gaza et de Jérusalem. Pour la gauche israélienne, le statu quo n’est pas une solution durable.

L’idée de négocier plus d’entrées de marchandises à Gaza contre l'arrêt du mouvement de “La Marche du retour” fait son chemin ainsi que l’idée de céder quelques quartiers arabes à Jérusalem dans le cadre du plan de paix américain.

Benjamin Netanyahu a obtenu de Trump tout ce qu’il voulait : la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël et un durcissement sur le programme nucléaire iranien. Et Trump est un businessman, il demandera très vite des contreparties à Netanyahu, qui ne pourra pas refuser. Il devra alors mener une autre bataille, celle de faire tenir sa coalition, plutôt inflexible sur le sujet.