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Photo : carte représentant Alfred Dreyfus et Emile Zola - Site Internet Deslettres.fr
Un entretien mené par Marc Knobel, Directeur des Etudes au Crif
Le Crif : Emmanuel Macron avait annoncé lors de son discours au précédent dîner du Crif le 7 mars dernier que le premier musée Dreyfus en France devrait bien voir le jour à Médan où se trouve la maison d'Emile Zola, à l'automne 2019. Ce lundi 10 septembre, la maison Zola - musée Dreyfus et la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti - LGBT ont signé une convention de partenariat. De quoi s'agit-il et en quoi et comment la DILCRAH soutient ce projet?
Frédéric Potier : Il s’agit tout simplement de rénover un bâtiment annexe de la Maison Zola à Médan dans les Yvelines, pour en faire un Musée dédié à Alfred Dreyfus. 250 m2 d’expositions sont ainsi prévus avec des salles rappelant le contexte de l’Affaire Dreyfus et l’histoire de l’antisémitisme en France. Nous soutenons à hauteur de 150 000 euros ce beau projet. C’est d’ailleurs l’une des mesures du plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme lancé en mars 2018 par le Premier ministre.
Dans un entretien au Parisien le mardi 11 septembre 2018, vous disiez que « créer un musée Dreyfus à côté de la maison d’Emile Zola prend tout son sens en raison de son implication dans l’affaire avec la publication de sa lettre J’accuse ! » Comment entrevoyez-vous ce que devrait être la fonction pédagogique de ce musée ?
Tout d’abord il y a le destin croisé de deux personnalités, Emile Zola, le fils d’immigré italien et Alfred Dreyfus, le Républicain alsacien de confession juif. Deux personnalités très différentes mais très fortes qui vont concentrer sur leurs personnes une haine raciste et antisémite inégalée. On a un peu oublié le déchainement quotidien d’injures de la presse d’extrême-droite de cette époque, sans parler des caricatures… Zola et Dreyfus c’est le combat contre l’antisémitisme mais aussi contre l’injustice. La fonction pédagogique doit être de rappeler cette période de l’Histoire, d’en expliquer les ressorts, et de montrer que cet antisémitisme forcené n’a hélas pas disparu. Tout un travail pédagogique est en train d’être créé dans cette perspective avec des historiens et le Ministère de l’Education nationale.
Le 22 juillet 1906, le commandant Alfred Dreyfus (1) reçoit la Légion d’Honneur, à l’Ecole militaire. Dans une cour voisine, douze ans auparavant, lors de sa dégradation, le 5 janvier 1895, la foule haineuse hurlait : «Mort aux Juifs !» En 2018, l’antisémitisme n’a pas disparu pour autant, loin s’en faut. Il a muté, s’est transformé prenant également les oripeaux de l’antisionisme. Comment lutter ?
Il y a un double combat à mener. Un combat politique, moral et intellectuel qui passe par la mobilisation de la classe politique et les médias notamment. Mais il y a aussi un combat quotidien à engager sur le terrain, au plus près des difficultés. C’est le travail de la DILCRAH que je n’anime et de l’ensemble de nos partenaires associatifs et institutionnels. Nous avons financé plus de 700 projets en 2017. Des projets concrets pour lutter contre les préjugés et la haine. J’ai par exemple signé mercredi dernier une convention avec le bâtonnier de Paris pour développer les interventions d’avocats en milieu scolaire sur les notions de règles de droit, de sanction, à partir de cas réels. Plus largement, nous avons engagé un effort massif de formation à destination des forces de sécurité. Les commissaires de Police sont désormais formés à la lutte contre l’antisémitisme lors d’un séminaire annuel la Maison d’Izieu et les officiers de Gendarmerie le seront par le Mémorial de la Shoah. J’interviendrai également très prochainement à l’Ecole Nationale de la Magistrature. S’agissant de la haine sur Internet, le Premier ministre a annoncé que nous réviserions notre arsenal législatif en la matière en nous inspirant de la loi allemande en vigueur depuis octobre 2017. Il faut en finir avec l’impunité sur le net et se doter d’outils contraignants. Nous avons commencé à le faire en étendant par exemple la possibilité d’utiliser des pseudonymes pour les enquêteurs en matière de discours de haine, ce qui n’était possible qu’en matière terroriste et de pédopornographie.
Pourtant, l'antisémitisme ne faiblit pas et les Juifs sont très inquiets.
Et je partage cette inquiétude car je constate moi aussi que l'antisémitisme progresse partout, en France comme en Europe. Mais il n'y a pas de baguette magique ou de recette miracle contre l'antisémitisme. Ce sont nos efforts conjugués - Etat et associations - qui pourront faire reculer ce fléau. C'est l'engagement de tous les ministères, à commencer par celui de l'Education nationale. Sans nul doute un combat de toute une génération et de toute la nation. Moi je ne me résigne pas et je ne baisserai pas les bras.
Notes :
(1). Le 13 juillet 1906, le ministère de la Guerre dépose deux projets :
- Réhabilitation d’Alfred Dreyfus avec le grade de commandant.
- Réintégration de Marie Georges Picquart, dans l’armée, avec le grade de général.
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