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Depuis le début de l’épidémie, le FSJU est sur tous les fronts pour accompagner au maximum la communauté juive de France, et notamment les familles en situation de précarité et les personnes fragiles, âgées ou encore isolées.
Le Crif : Selon vous, à quels défis majeurs fait face la communauté juive française en cette période si particulière d’état d'urgence sanitaire ?
Richard Odier : L’expression « le calme avant la tempête » n’a jamais eu autant de sens que face à la situation que nous vivons aujourd’hui.
D’un côté, nous sommes confinés, nous subissons la pression forte de cet isolement sanitaire : nous ne nous rassemblons plus, nos familles sont éclatées, certains sont au chômage partiel et s’interrogent avec angoisse sur leur avenir professionnel, sur leur avenir tout court… Et puis, il y a cette sidération. Le nombre impressionnant de morts ou de malades, égrenés chaque soir à la télévision qui nous assomme et nous déboussole.
D’un autre côté, nous savons que nous sommes aujourd’hui en France très protégé par l’Etat, la sécurité sociale et une médecine gratuite, mais surtout par un tissu associatif qui a su se mettre au service de la Nation avec comme seul mot d’ordre « sauver et protéger ». Pour autant, alors que le « déconfinement » va se mettre en place par étapes, vont apparaître les résultats des énormes dégâts causés par cette crise : chômage, santé, chocs de la perte de proches ou amis, deuil non terminé, etc.
Le FSJU ne fonctionne que sur du caritatif, cela est vrai aussi pour de nombreuses structures du judaïsme français. Allons-nous être capables collectivement de définir des priorités « qui mettent l’humain au centre » de ses préoccupations, de casser nos habitudes, de renoncer à un peu de notre confort ? Je ne peux répondre pour tous, je ne crois pas beaucoup à la métamorphose malgré les résolutions des uns et des autres. En ce qui concerne le FSJU, en parfait accord avec nos élus et nos équipes, nous travaillons à ce monde que nous appelons de nos voeux, comme nos fondateurs il y a 70 ans, travaillaient à celui où ils nous ont permis de vivre.
Le Crif : Le FSJU regroupe divers programmes sociaux et associations. Comment sont-ils mobilisés au quotidien ? Pouvez-vous nous donner quelques exemples.
Vous le savez, la communauté Juive a mis en place une Cellule de Crise avec des institutions qui ont décidé d’abandonner leur spécificité, leur marque, pour répondre au mieux aux premiers besoins. La Cellule de Crise n’est pas une institution de plus, mais une plateforme voulue par les principales institutions afin d’agir ensemble avec plus d’efficacité.
Sur la campagne de Pessah, par exemple, les unions du FSJU, du CASIP, de l’OSE, avec les mouvements de jeunesse comme les EEIF ou l’UEJF a permis de répondre à la quasi-totalité des besoins alimentaires ; l’AMIF ou Ramban nous ont aidé à soigner, rassurer, aiguiller avec leurs réseaux de médecins. Des alliances magnifiques ont vu le jour, à Lyon par exemple entre la Grande Synagogue, l’UEJF, le CASIL et nous ; ou à Toulouse, Strasbourg et Nice avec le Crif, le Consistoire et le FSJU.
Ayant anticipé l’impact de cette crise sanitaire, nous avons commandé et livré des dizaines de milliers de gants, masques ou gels à des structures sociales, à des aides-soignants, à des bénévoles. Encore aujourd’hui, ce flux logistique ne s’arrête pas. La solidarité a été aussi forte pour que nous puissions répartir ces produits en gérant les priorités (Ehpad, soignants..). Je me dois de remercier la Région Ile-de-France, les médecins, les industriels, le Dr. Sidney Ohana (Hadassah) qui nous ont aidé avec une générosité extraordinaire afin de faire face à cet impératif, cet essentiel : « aider et soigner en sécurité ».
Un dernier exemple exceptionnel : notre service Passerelles à destination des survivants de la Shoah. Nous avons suivi depuis 2002 des milliers de personnes, avec qui nous avons échangé, discuté, que nous aidons au quotidien y compris financièrement (avec le soutien de la FMS). Dans cette période de confinement, leurs habitudes d’échanges avec nos équipes ont permis de maintenir un lien et d’être à l’écoute de leurs besoins : de la livraison de repas en passant par l’achat de courses de première nécessité.
Le Crif : Grâce à la Cellule de Crise de la communauté juive, de nombreuses initiatives ont été mises en place, notamment des lignes d'écoutes (Pôle Psy). Ces dernières sont-elles efficaces ?
La ligne Psy a été mise en place très rapidement, et nos équipes, comme celles de l’OPEJ ont travaillé avec Eric Ghozlan (OSE) qui pilote cette structure.
Nous avons aidé aussi le Grand Rabbin de France et le Consistoire à mettre en place une ligne d’appels d’urgence « spirituelle ».
La ligne Psy, animée par des psychologues formés, qualifiés et bénévoles, n’est pas encore très utilisée, les familles sont confinées, les enfants dans les foyers, le calme est difficile à trouver. Mais il faudra très rapidement s’occuper des cicatrices laissées par cette période anxiogène, tant dans les familles touchées par des décès, que dans certaines structures. Je pense particulièrement aujourd’hui à nos écoles juives qui ont perdu des cadres chers.
Donc ce besoin évident, pris en charge par la Cellule de Crise, devra d’une façon ou d’une autre se poursuivre au-delà de la période de confinement.
Le Crif : Le Fonds social juif unifié fait appel à la solidarité de chacun pour aider le plus grand nombre. Depuis le début de la crise, la solidarité et l'entraide sont-elles au rendez-vous ?
Cette crise est totalement paradoxale. Cela fait des années que nous avons été formatés pour nous protéger des actes antisémites, défendre la légitimité d’Israël, combattre les extrêmes. Nous sommes dans un autre cas de figure. La planète entière s’est en 2020, laissée surprendre par un ennemi invisible, le Covid-19 et ce malgré les prédictions d’un Jacques Attali, d’un Bill Gates, ou d’un rapport de la CIA publié par Alexandre Adler. Les lanceurs d’alertes n’ont pas été crus : l’addition est sévère. Jacques Attali y revient d’ailleurs dans le prochain numéro de l’Arche, attendu en mai.
Si je devais résumer en une phrase la situation, je dirais : mille fois moins de dons et mille fois plus de besoins !
Nous recevons des centaines de messages incroyables de remerciements et les dons arrivent sur le site du FSJU ou par courrier. Mais c’est encore très loin d’être suffisant car comme je le disais au début de notre échange, les enjeux de demain ne sont absolument pas couverts par la collecte actuelle.
L’annulation de toutes nos opérations collectives de collecte explique pour beaucoup la perte considérable en dons, tandis que de nombreuses associations et communautés dépendent toujours financièrement de nous. Avec le Comité Directeur du FSJU et en informant nos commissaires aux comptes, nous avons pris des décisions exceptionnelles car, il n’était pas question pour nous de tourner le dos aux drames humains auxquels nous assistions.
Nous mettons donc en place un véritable « plan Marshall » pour faire face et servir la Communauté avec des règles et des arbitrages liés à cette crise. Les besoins pour les familles, les personnes âgées, les chômeurs, vont se compter en millions d’euros et seule une prise de conscience collective de ces priorités pourra permettre de passer cette crise. En ce qui nous concerne, en sortie de crise, nous prendrons ce cap inédit.
Le Crif : Encore en pleine gestion de crise sanitaire, on appréhende déjà la crise économique à venir. Cela aura certainement des conséquences sur la communauté juive, tout comme sur l'ensemble de la population française. Comment vous y préparez-vous ? Avez-vous déjà réfléchi aux besoins caritatifs et sociaux pour les années à venir ?
Nous avons grâce à nos donateurs et à de grandes fondations partenaires (FJF, FMS, Gordin, SACTA Rachi…) injecté plus de 15 millions d’euros en 2019 dans la vie Juive. Avec ces montants importants, gérés, expertisés et évalués nous n’arrivions pas à couvrir tous les besoins.
Demain, le PIB français va être en recul, le chômage et la précarité vont augmenter. Si, collectivement, pour les plus favorisés d’entre nous, nous ne faisons pas un effort sans précédent pour les prochaines années, nous préparerons sinon notre chute, celles à coup sûr de nos enfants. « Maintenant ou jamais » écrivait Primo Levi, gageons que « maintenant » sera notre force et notre fierté, pour que « jamais » nous ayons un jour à nous le reprocher. Il sera alors trop tard.