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Propos recueillis par Marie-Sarah Seeberger
Le Crif - Avez-vous le sentiment que la communauté nationale belge s'est émue des dérives antisémites relevées au cours du Carnaval d'Alost ou pensez-vous que seule la communauté juive a été touchée par cette ignominie ?
Yohan Benizri - Je suis profondémment convaincu de l'émotion collective qui a étreint la société belge. Je veux souligner ici une chose d'une importance capitale, à savoir la réaction immédiate de la Première Ministre belge, suivie de celles de l'ensemble des Présidents de Partis. Vous savez, depuis des mois, il n'y a pas de gouvernement en place en Belgique. Et pour autant, la classe politique s'est montrée unanime dans sa condamnation des dérives haineuses du Carnaval d'Alost. Je ne crois pas avoir déjà connu un consensus politique aussi fort. C'est une vraie victoire de voir que la communauté juive n'est pas seule dans le combat contre l'antisémitsme.
Alors, bien-sûr, le Carnaval d'Alost de cette année a été terrible et j'aurai esperé qu'il ne tombe pas à ce point dans l'ignoble. Toutefois, je veux souligner l'évolution ressentie quant aux condamnations de la classe politique belge.
La mobilisation a aussi touché les intellectuels belges qui ont publié de nombreuses tribunes dans la presse francophone et néerlandophone. L'une d'elle, proposée par des universitaires flamands, demandaient notamment aux grands médias de s'abstenir de la diffusion d'images grossières du Carnaval afin de ne pas donner de tribune supplémentaire à la haine.
Comment expliquer que de telles dérives soient permises dans une ville de Belgique ?
Yohan Benizri - Dans ce cas, la compétence revient au Bourgmestre (ndlr. : l'équivalent du Maire en France) d'Alost, Christoph D'Haese. Comme je l'ai dit précédemment, la Première Ministre a vivement condamné ce qui s'est passé ainsi que les Présidents de Partis...
Nous avons tendu la main à Alost à plusieurs reprises pour entamer un dialogue avec eux, sans aucune réponse de leur part.
Faut-il selon vous interdire le Carnaval d'Alost ?
Yohan Benizri - Pas du tout ! Nous sommes fiers des traditions belges et nous ne voulons absolument pas interdire cet événement. Vous savez, comme les Français juifs, les Belges juifs sont très attachés à leur identité nationales. Ce que nous voulons, c'est simplement arrêter la diffusion d'une telle haine dans les rues de notre pays. Il faut que les participants prennent toute la mesure de leurs actes. On ne peut pas continuer à faire de telles démonstrations d'antisémitisme, surtout sous les yeux des plus jeunes.
Le Carnaval d'Alost est l'expression d'une tendance pernicieuse de libération de la haine. Nous n'avons rien contre le Carnaval en lui-même, au contraire. Ce que nous demandons simplement c'est de la décence et du respect. Les carnavaliers qui ont participé à ces actes de haine doivent avoir honte.
Que ressentent les Belges juifs aujourd'hui ?
Yohan Benizri - Je crois que la communauté juive de Belgique se sent un peu bloquée. D'une part, il y a une volonté très forte d'établir un dialogue constructif, de l'autre, il y a le sentiment d'être les victimes d'une certaine forme de harcèlement. Les Belges juifs n'ont pas envie que leur pays soit pointé du doigt comme étant capable du pire antisémitisme.
La commauté juive est extrêmement sensible aux prises de positions claires et fortes de la classe politique. Cependant, je crois qu'elle attend des sanctions, et je la comprend. Mais, les sanctions, il y en a déjà eu. Pour preuve, la décision de l'UNESCO de retirer le Carnaval du patrimoine de l'humanité, et la perte totale de crédibilité de l'événement aux yeux de la communauté internationale.
Aujourd'hui, les Belges juifs ne veulent pas rentrer en guerre avec Alost. L'idée est de ne surtout pas creuser de fossés. Nous sommes ouverts au dialogue.