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Publié le 7 Décembre 2020

Crif - Procès de l'Hyper Cacher : Plaidoirie de Maître Elie Korchia, avocat de parties civiles

Maître Elie Korchia est avocat de parties civiles, victimes de la prise d'otages de l'Hyper Cacher, au procès des attentats de janvier 2015. La semaine dernière, les différents avocats des parties civiles ont présenté leurs plaidoiries. Découvrez l'intégralité de la plaidoirie de Me Elie Korchia, prononcée devant la Cour d'Assises spéciale de Paris, jeudi 3 décembre 2020.

Plaidoirie de Maître Elie Korchia, avocat de victimes de la prise d'otages de l'HyperCacher (Zarie Sibony et Andréa Chamak)

« Vous êtes les deux choses que je déteste le plus, vous êtes juifs et français ». 

Monsieur le Président, Mesdames, Monsieur de la Cour, s'il y a une phrase qui puisse résumer toute la haine et le discours meurtrier du terroriste Amédy Coulibaly au cours de sa prise d'otages sanglante du vendredi 9 janvier 2015 dans le magasin Hypercacher, ce serait sans nul doute celle-ci, qui nous a été rappelée par ma cliente, Zarie Sibony, dans son bouleversant témoignage du mardi 22 septembre dernier, elle qui a vécu avec sa collègue et amie Andréa Chamak, que j'ai aussi l'honneur de représenter devant vous, 4 heures et 4 minutes d’enfer ce jour-là, au plus près de l’assassin de Yohan Cohen, Philippe Braham, François-Michel Saada et Yoav Hattab.

Si je suis ici aujourd'hui devant votre Cour, afin de débuter les plaidoiries relatives à cet attentat atroce de l’Hypercacher, c’est donc avant tout pour porter la parole de ces deux jeunes femmes, qui n’étaient âgées que de 20 ans et 22 ans lorsqu’elles se sont retrouvées face à ce terroriste dont la cruauté le disputait à la perversité et qui s’était synchronisé, comme nous le savons, avec Said et Cherif Kouachi avant de commettre ses attentats.

Zarie et Andréa, qui représentent deux formes différentes de résilience face à ce drame et deux visages distincts de la souffrance que peuvent vivre de telles victimes d’attentats terroristes, dont le préjudice moral et psychologique demeure si important près de 6 ans après les faits.

Andréa tout d’abord, qui à l’instar de Zarie vit aujourd’hui en Israël mais n’a pas pu, quant à elle, trouver la force pour venir à ce procès, qu’elle suit toutefois à distance avec les membres de sa famille qui l’ont soutenue, pour ne pas dire sauver lorsqu’elle était au plus mal à la suite de l'attentat, à savoir sa mère Josiane Chamak, son père Serge Chamak, ses frères Gabriel Chamak et Julien Slama et sa sœur Cécile Slama. 

Andréa, dont l’expert psychologue, Elisabeth Cédile, est venue vous dire à cette barre combien elle souffrait d’une « culpabilité du survivant dévastatrice » en lien notamment avec le fat d’avoir assisté à la longue agonie puis à la mort de celui qui était son ami, Yohan Cohen. 

Dès le mois d’avril 2017, dans son rapport d'expertise qui est au dossier, Madame Cédile l’a décrite comme « une jeune fille introvertie, et dont l’introversion s’est décuplée depuis les faits. La verbalisation des affects réactionnels à l’attentat demeure presque impossible pour elle et la très grande violence de l’attentat tend à la figer dans son traumatisme, ressassant les faits qui rongent son esprit ».

Il était alors indiqué qu’Andréa développait un « syndrome dépressif qui semble se chroniciser et bloque toute amélioration sur le plan psychique ».

Ce sera ensuite le docteur Carpentier, expert psychiatre missionné par le Fonds de garantie, qui établira en mars 2020 un dernier rapport d'expertise, que j’ai communiqué lors de ce procès, concluant à la consolidation de l’état psychique d’Andréa au mois de février 2020, c’est-à-dire plus de 5 ans après les faits. 

La conclusion du rapport indique qu’Andréa Chamak n’a pas pu reprendre son activité professionnelle et qu’après un très long arrêt de travail, elle a pu faire des stages dans le social auprès de personnes âgées et aimerait continuer dans le futur dans un projet social en lien avec les enfants. 

 Je souhaite en venir à présent à son amie, à celle qui est devenue comme une sœur pour elle, Zarie Sibony. 

Zarie, dont j’ai aussi communiqué le dernier rapport d’expertise psychiatrique de mai 2019, et qui nous a dit être venue témoigner depuis Israël devant votre Cour en leur deux noms. 

Zarie qui parle quand son amie n’arrive pas à parler, qui verbalise quand son amie nr peut que garder le silence.

Mais que dire de plus que tout ce que Zarie Sibony a livré à cette barre le 22 septembre écoulé, tant elle a tout dit ou presque…

Zarie s’était fait un serment, celui de dire la vérité, toute la vérité, de ces moments d’horreur vécus dans l’Hypercacher ce 9 janvier 2015.

Oui, elle aura tout dit de l'horreur, des premières minutes de l’attentat,  qui voient le terroriste abattre sous ses yeux son collègue et ami Yohan Cohen, à l’assassinat froid et abject de Philipe Braham ensuite, puis à celui de François-Michel Saada, lâchement tué de balles tirées dans le dos, alors que Zarie s’apprêtait à fermer le rideau de fer et qu’il venait de pénétrer dans le magasin, à son plus grand désespoir. 

Quant à la quatrième victime, Yoav Hattab, il aura tenté de se saisir de l’arme du terroriste avant de se faire abattre par ce dernier, devant Zarie qui a ainsi vu ces quatre hommes tomber devant elle, alors que Coulibaly lui lançait d’une façon aussi glaciale que détachée cette phrase qui la poursuit encore aujourd’hui « T’es pas encore morte toi ? ».

Avant de tirer une balle qui passera à quelques centimètres d’elle et ira se loger dans sa caisse enregistreuse.

Zarie nous aura aussi tout dit de l’angoisse que l'on peut ressentir dans de tels moments, notamment quand le terroriste lui enjoint l’ordre de descendre pour faire monter les otages qui se trouvent au sous-sol, en braquant son arme sur la tête d’Andréa, qui n’arrive plus à bouger et en lui disant « Tu as 10 secondes ou je la tue ! ».

Un peu plus tard, obligée de baisser ce rideau de fer, ce maudit rideau métallique, en lieu et place d’Andréa qui ne peut toujours pas bouger, Zarie le fera avec cette terrible phrase a l’esprit, qu’elle vous a livrée quand elle est venue témoigner à cette barre : « J’avais l’impression de nous enterrer vivants ». 

En écoutant Zarie, je songeai à une phrase du philosophe Alain, qui fut le maître de feu mon propre maître, René Hayot, doyen des avocats français. 

En effet, dans ces célèbres « Propos », cet ouvrage philosophique qui a trait tout à la fois à la vie et à la mort, Alain conclut une de ses occurrences, intitulée Drame, par la phrase suivante : « Dans l’imagination des survivants, les morts ne cessent jamais de mourir ».

C’est ce qu’a dû ressentir et ne cesse de ressentir Zarie Sibony.

Puis, un peu plus loin dans son ouvrage, Alain nous explique que « les morts ne sont pas morts, puisque nous vivons ». 

Ainsi, je vous dirai qu’un siècle plus tard, à l’occasion de ce procès historique, une jeune femme de 28 ans aura trouvé la force de venir témoigner depuis Israël, en pleine pandémie de covid-19 et malgré toutes les difficultés imaginables dans une telle période, pour rappeler toute la vérité de ces faits - aussi douloureuse soit elle - et comment ces quatre victimes de l’Hypercacher ont trouvé la mort, comme pour maintenir vivant à jamais leur souvenir et nous dire, avec ses mots à elle, qu’ils ne mourront pas dans nos esprits.

Zarie nous aura aussi rappelé, avec force et acuité, que ce procès est aussi celui de l’antisémitisme qui a tué sur notre sol.

D’autres confrères reviendront ultérieurement sur la question de la qualification des faits dont vous êtes saisis.

Mais d’ores et déjà, je tiens à rappeler des éléments précis et factuels qui démontrent à l’évidence que cet attentat était directement,  viscéralement lié à la haine antisémite et qu’il s’inscrit dans une certaine « narration antisémite » pour réprendre le titre d’un article récent de Marc Weitzmann dans Le Monde. 

Rappelons-nous en effet la déposition de Zarie quand elle nous indique comment l’assassin avait pris le soin de demander aux otages de quelle religion ils étaient, tout comme il a assassiné Philippe Braham juste après lui avoir demandé son nom complet.

Un terroriste qui a lancé à ses otages : « Vous les juifs, vous aimez trop la vie, alors que c’est la mort le plus important ».

Cette phrase ne peut que me rappeler celle prononcée par Mohamed Merah en mars 2012 aux policiers : « Moi la mort, je l’aime comme vous aimez la vie ». 

Le témoignage de Zarie à ce sujet est essentiel, car il nous faut le reconnaître, les victimes de l’Hypercacher en janvier 2015, tout comme celles de l’école juive de Toulouse en mars 2012, sont trop longtemps restées dans l’angle mort de notre conscience collective. 

Nous n’étions pas en effet descendus collectivement dans la rue en mars 2012 lorsqu’un enseignant de 30 ans, Jonathan Sandler, s’est fait abattre avec ses deux petits garçons âgés de 6 ans et 3 ans, Arié et Gabriel, devant la porte d'entrée de l’école Ozar Hatorah, juste avant que le terroriste ne poursuive et tue dans la cour de récréation une petite fille de 8 ans, Myriam Monsonégo, d’une balle tirée dans la tête et à bout touchant. 

A l’évidence, les quatre victimes de l’Hypercacher s’inscrivent dans la continuité des quatre victimes de l’école juive de Toulouse, tout comme les trois attentats commis par Mohamed Merah en 2012 constituent la matrice des trois attentats de janvier 2015, que vous êtes amenés à juger.

Cette haine antisémite, on la retrouve par ailleurs tant chez Amédy Coulibaly que chez Chérif Kouachi, qui lance à Michel Catalano dans l’imprimerie où il s’est retranché avec son frère Said ce même 9 janvier 2015 : « C’est la faute des juifs ».

Michel Catalano, qui a déclaré à cette barre, lors  de sa déposition du 16 septembre dernier : « Ils m’ont demandé si j’étais juif. Je crois que si j’avais été juif, je ne serais pas là aujourd’hui ». 

Cette fureur antisémite que partageaient Amédy Coulibaly et les frères Kouachi ne s’est d’ailleurs pas manifestée soudainement.

Elle existait et était en germe depuis plusieurs années, comme cela ressort du réquisitoire définitif rendu le 27 décembre 2007 par le Procureur de la République de Paris dans le cadre du dossier de la filière d’acheminement de djihadistes en Irak, dite « filière des Buttes Chaumont », que vous aviez rappelé, Monsieur le premier assesseur, au cours de l’interrogatoire de Madame Izzana Hamid, l’épouse de Chérif Kouachi, et cotée D 4837 dans notre dossier. 

Dans cette procédure, dans laquelle Farid Benyettou côtoyait déjà Chérif Kouachi, et l’un de ses proches Thamer Bouchnak, ce dernier avait déclaré la chose suivante, comme cela est rappelé dans ledit réquisitoire : « Chérif m’a parlé de casser des magasins de juifs, de les attraper dans la rue pour les frapper, il ne me parlait que de cela et de faire quelque chose ici en France avant de partir. Il n'en parlait pas tout le temps, mais il demandait à  Farid Benyettou si c’était permis. Il se renseignait auprès de Farid pour voir si c’était autorisé, s’il avait son consentement pour le faire. Il voulait avoir l’approbation de celui qui nous a instruits. Farid ne lui a pas donné son accord, mais les cibles étaient deux restaurants côte à côte de confession juive qui se trouvent rue Petit sur la Porte Chaumont. Chérif voulait y aller dans l’intention de tout casser, sans me préciser comment il comptait s’y prendre, il avait la rage contre les mécréants ». 

Par la suite, confronté aux déclarations de son ami et co-mis en examen Thamer Bouchnak, Chérif Kouachi, indiquait : « Ce n’est pas exactement sous cette forme que je me suis exprimé. Ce n’étaient que des mots. Je ne me rappelle pas exactement du jour où j’ai dit cela. 

Il ajoutait : « J’avais un peu pété les plombs, c’est sorti comme cela et je m’en excuse. Je n’ai jamais été antisémite et je n’ai jamais tenu de tels propos. J’avais même des amis juifs dans la cité. C’est vraiment pas mes idées ». 

Cela me rappelle une phrase prononcée lors du procès d’Abdelkader Merah par sa mère, Zoulikha Aziri, que j’avais interrogée sur l’antisémitisme prégnant dans sa famille, et qui m’avait répondu : « Mais non, Maître, on n'est pas antisémite chez nous, la preuve, mon médecin est juif ». 

Ce n’est pas non plus un hasard si l’attentat de l’hypercacher suit celui de la Porte de Montrouge, qui a coûté la vie à Clarissa Jean-Philippe, ainsi que celui de Charlie Hebdo. 

En effet, même si nous n’avons pas retrouvé d’éléments matériels démontrant un lien direct entre l’attentat commis par Coulibaly contre cette jeune policière et l’école juive Yaguel Yaacov  de Montrouge, nous savons bien et il faut le redire à cet instant - à la suite de mes confrères ayant plaidé pour la famille  de Clarissa - que tant la proximité immédiate de cette école juive, que l’horaire choisi par le terroriste (8h du matin, exactement comme Mohamed Merah 3 ans plus tôt) et le fait qu’il se soit rendu sur place en moto (à l’instar du « tueur au scooter"), tendent à démontrer que l’accident de la circulation fortuit qui a eu lieu Porte de Montrouge ce matin-là, a entrainé un changement de cible pour Amédy Coulibaly, qui s’en est finalement pris à une policière.

Monsieur le Président, Mesdames, Monsieur de La Cour, je rappelerai aussi ce que nous a indiqué à cette barre le commissaire Christian Deau, le 21 septembre dernier, lorsque je l'avais questionné et qu'il nous avait rapporté qu’Amédy Coulibaly avait recherché sur internet des informations sur trois restaurants cachers situés à Paris.

En ce qui concerne le lien sous-jacent avec l’attentat commis par les frères Kouachi à Charlie Hebdo, nous pouvons le trouver dans la stratégie de haine qui s’est déployée dès les années 2008-2009 contre le journal, alors que dans le même temps, les mêmes ennemis de Charlie, dont un ex-humoriste qui a pu être financé par l’Iran, faisaient la promotion d’un concours de caricatures… sur la Shoah et les Juifs. 

Ce même activiste, qui s’est fait depuis condamner à plusieurs reprises pour injures et provocations à la haine raciale, notamment en 2016 pour avoir osé déclaré sur Facebook qu’il était « Charlie Coulibaly ». 

Un élément de plus, s’il en était besoin, qui établit le lien entre la stratégie de haine à l'encontre d’un journal symbolisant la liberté d’expression et cette fureur antisémite qui constitue un tapis de haine pulsionnelle sur lequel les ennemis de notre République et de nos valeurs construisent, année après année, leur discours avant que d’autres ne passent à l’action meurtrière et terroriste. 

Oui, si 2012 représente bien « l’an zéro » du terrorisme islamiste qui a tué en France, ce type d’attentats s’est construit sur un terreau de haine idéologique, politique et foncièrement antisémite. 

Le responsable de la  DGSI, qui a été entendu à cette barre, nous a par ailleurs rappelé que si les frères Kouachi se sont revendiqués d’Al Qaida, alors qu’Amédy Coulibaly avait prêté allégeance à l’Etat islamique, il ressort de ce dossier que : « Les juifs sont une cible communes aux deux organisations et sont d’ailleurs cités à plusieurs reprises dans la vidéo de revendication d’Al Qaida relative à l’attentat de Charlie Hebdo (que nous avons visionnée ici), laquelle fait aussi référence à l’attentat commis par Coulibaly à l’Hypercacher ».

Quant à la radicalisation des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly, comment pourrait-on imaginer qu’elle ait pu être ignorée de leurs principales connaissances ? 

Ces « frères de prison », ces compagnons de la « Secte de la buanderie » de la maison d’arrêt de Villepinte, ou encore ces comparses délinquants, pour ce qui est d'Amédy Coulibaly et de certains accusés ici présents comme Ali Riza Polat ou Nezar Pastor Alwatik, pour ne citer qu’eux deux...

Cette radicalisation, elle nous a d’ailleurs été décrite par l’ex-meilleur ami d’Amédy Coulibaly, Hakim El Montassir, dont il nous a été lu par vous, Monsieur le Président, plusieurs dépositions le 29 octobre écoulé en son absence. 

El Montassir dont la personnalité est si éclairante et édifiante sur l’entourage direct d’Amédy Coulibaly et sur son évolution avant la période des attentats. 

El Montassir qui avait l'habitude de regarder des vidéos de décapitation, que ce soit sur Youtube ou Whats’app, et qui avait déclaré au sujet des crimes commis par Mohamed Merah : « Il y a quand même eu des complots ; il faut se poser des questions ! ».

El Montassir enfin, qui avait rencontré Coulibaly avant les attentats de janvier 2015 et avait déclaré que ce dernier était devenu « fondamentaliste et radicalisé » tout en précisant que son épouse Hayat Boumedienne avait elle aussi beaucoup changé, « portant le voile et mettant des gants ».

Comment pourrait-on aussi croire sérieusement ceux qui, dans le box des accusés, nient avoir constaté toute radicalité et tout endoctrinement religieux d'Amédy Coulibaly, à l'image des deux veuves des frères Kouachi, Izzana Hamid et Soumia Bouarfa, qui sont venues déclarer à cette barre qu’elles n’avaient rien vu, rien su, rien entendu. 

« Aveugles, forcément aveugles », aurait pu écrire Marguerite Duras.

Tout comme Ali Riza Polat, qui cumule décidément les handicaps à ce procès, puisqu’outre le fait d’avoir été lui aussi aveugle à l’égard de son ami Coulibaly, il aura entretenu un véritable dialogue de sourds avec les magistrats que vous êtes, notamment lors de ses interrogatoires des 26 et 27 octobre écoulés notamment, au cours desquels il se sera souvent contenté de répondre en criant à certaines questions cruciales : « Je ne voulais pas aller en prison, je ne voulais pas aller en taule ! » . 

Il faut en outre avoir à l’esprit que ce n’est pas un hasard si beaucoup d’attentats terroristes ont été commis par des fratries, à l’instar des frères Merah, des frères Kouachi ou encore des frères Abdelslam.

En effet, pour ce type de préparation d’attentats criminels terroristes, leurs auteurs doivent nécessairement avoir une grande confiance dans les personnes qui les aident et sont à la manœuvre.

Ainsi, si les frères Kouachi ont pu constamment agir de concert, en ne permettant d’ailleurs pas que l'on puisse remonter à leurs complices ainsi qu’aux soutiens d'ordre logistique et organisationnel dont ils ont pu bénéficier, Amédy Coulibaly n’avait quant à lui que d’autre choix que de déléguer une partie de sa logistique à des proches ou à des personnes sur lesquelles il savait pouvoir entièrement compter.

C’est ainsi qu’Amédy Coulibaly a manifestement pu s’en remettre à certains des accusés ici présents, lesquels lui étaient redevables, étaient proches de lui ou étaient en affaires avec lui. 

Ne nous y trompons pas, c’est ce que l'on appelle dans le milieu de l'islamisme radical, le « cercle de confiance ».

Et sans ce « cercle de confiance », il n’y pas de préparation possible de tels crimes terroristes, il n’y a pas de commission d’attentats !

Bien évidemment, je ne reviendrai pas ici sur les éléments à charge et les implications multiples qui ont pu être mis au jour, tant au travers de l'instruction qu’au cours des journées d'audience de ce procès, pour ce qui est de chacun des accusés. 

Toutefois, lorsque je fais état de ce « cercle de confiance », on comprend bien qu’il y a ici, dans l'entourage de Coulibaly et Polat, non pas des fratries, mais des tandems, des duos, que ce soit celui de Messieurs Karasular et Catino, celui de Messieurs Abbad et Martinez, ou encore celui de Messieurs Prévost et Raumel... 

Les avocats généraux, qui représentent ici le Ministère Public, feront la semaine prochaine et le moment venu, leur travail concernant les différents accusés et cette œuvre d'analyse détaillée.

En ce qui me concerne, je n'entends revenir ici que sur le rôle particulier de Monsieur Ali Polat, parce qu’il représente à n'en pas douter le point pivot, le point central de cette procédure et de ce procès. 

Il est en effet ressorti de ces nombreuses journées d’audience et des débats qui y ont eu lieu, qu’Amédy Coulibaly avait une étroite proximité et une véritable complicité avec Ali Riza Polat.

Cette proximité et cette complicité auront notamment été mises en exergue à votre audience lors des journées d’interrogatoire de l’accusé, sous plusieurs angles d’analyse qui auront littéralement acculé Monsieur Polat et provoqué in fine de sa part que cris et hurlements, en lieu et place de réponses ou d'aveux.

Là encore, je laisserai le Ministère public faire ultérieurement son travail de façon exhaustive,  lors de ses réquisitions, mais j'entends ici rappeler les liens étroits et constants entre Ali Riza Polat et Amédy Coulibaly, jusque dans les tous derniers jours ayant précédé les attentats des 7  8 et 9 janvier 2015. 

Même s’il se borne à se présenter comme un voyou, et qu' il a nous a déclaré à l'audience, « Coulibaly était un bandit, je suis un bandit, on avait bien accroché », tout en voulant nous faire croire  qu’il n’aurait « jamais parlé de religion » avec Amédy Coulibaly, nous savons bien qu’il ressort du dossier qu’ils avaient tous deux bien plus qu’une relation de « business », basée sur des « escroqueries ». 

En réalité, Monsieur Polat apparait dans ce dossier, ainsi que dans ce procès,  comme le maillon le plus important de la chaîne criminelle ayant permis à Amédy Coulibaly de pouvoir passer à l’action, tant d’un point de vue organisationnel que logistique. 

C’est notamment Amédy Coulibaly qui lui remet ses différents boitiers et puces téléphoniques et lui dit quand il faut s'en débarrasser le moment venu.

Monsieur Polat aura par ailleurs reconnu à l’audience que c’est bien lui que Monsieur Landry Mahoukou avait vu en compagnie d’Amédy Coulibaly le 3 janvier 2015, une des dates clés de cette affaire.

Cet ancien compagnon de détention de Coulibaly a en outre rappelé qu’il avait lui-même constaté la « radicalisation » de ce dernier avant les attentats, lequel n’écoutait plus que de la musique coranique et lui avait d'ailleurs dit la dernière fois qu’il l’a vu, dans la nuit du 6 au 7 janvier 2015, à la veille de l'attentat de Charlie Hebdo : « Je vais partir, tu ne me verras plus ».

Que dire par ailleurs des différents déplacements de Monsieur Polat, que ce soit ses déplacements en Belgique avant les attentats, ou encore ses déplacements après les attentats, car il nous l’a dit durant ce procès: « Il y a eu un avant 9 janvier 2015 et il y a eu un après 9 janvier 2015 ». 

Justement, après ce 9 janvier 2015, que fait donc Monsieur Polat ?

Il part à l’étranger, dès le 12 janvier 2015, et il prend la fuite pour le Liban, d’où il tente en vain de pénétrer en territoire syrien le 17 janvier, avant d’être refoulé au poste frontière de Masnaa ! 

Et lorsque vous avez tenté à plusieurs reprises, Monsieur le Président, de lui demander « Pourquoi le Liban ? », Ali Riza Polat vous a répondu à chaque fois à côté, en criant de nombreuses fois : « Je ne voulais pas aller en prison, je ne voulais pas aller en taule ! ». 

Qui pourrait là encore croire sérieusement que Monsieur Polat voulait partir au Liban pour revoir une dulcinée, une jeune fille qu’il n’aurait pas vu depuis plusieurs années, ou encore qu’il aurait voulu passer en Syrie pour rejoindre Damas et se rapprocher des troupes de Bachar El-Assad ?

Monsieur Polat aura en tout cas pris le soin de préparer sa fuite, en se rendant le 9 janvier au soir au domicile de Metin Karasular en Belgique, alors même que le corps de son ami Amédy Coulibaly est encore chaud et que l’attentat de l’Hypercacher vient de connaître son épilogue sanglant.

C’est là, auprès de Monsieur Karasular, qu’il se fait remettre la somme de 2.400 € qui pourra lui servir dans le cadre de sa fuite au Liban.

Je pourrais aussi rappeler les passeports de Monsieur Polat, éléments matériels s'il en est, qui ont été retrouvés par les enquêteurs et qui avaient été cachés par lui, à la fois son passeport français, scotché sous une table à son domicile, ou son passeport turc, dissimulé sous un matelas au domicile de sa mère. 

Un autre angle qui a été analysé, et que vous avez détaillé à l'audience Monsieur le Président, c’est bien évidemment celui relatif aux expertises, et notamment l’expertise graphologique qui lui attribuait la paternité d’un document important, pour ne pas dire fondamental, sur lequel nous serons revenus à plusieurs reprises en notre qualité d'avocats de parties civiles.

Ce document manuscrit, retrouvé chez Métin Karasular à Charleroi, qui fait référence à des demandes de prix relatives à des armes (les 200g de C4, les 500 minutions de kalachnikov ou encore les 100 balles de 9mm…). 

Qui pourrait sérieusement croire que c’était dans le but de commetre un « braquage de banque à Grigny avec Amédy Coulibaly » ?

Non, c’était bien autre chose qui se jouait ici, à savoir la préparation par le terroriste Coulibaly, dès après sa sortie de prison en mai 2014, de son projet funeste et meurtrier. 

Printemps 2014, soit exactement la période au cours de laquelle Monsieur Polat se convertit à l’Islam radical. 

En ce qui concerne la téléphonie enfin, dont Monsieur Polat sait bien qu’elle est terriblement à charge pour lui, je sais que le Ministère public l’analysera en détail, mais j’entends rappeler ici qu’elle démontre parfaitement - au travers des 6 lignes conspiratives utilisées par Coulibaly et Polat entre le 22 novembre 2014 et le 7 janvier 2015 – que ce dernier se situe tout en haut de l’organigramme, de l’échelle criminelle relative à ces crimes.

N'oubliez point en effet que les 475 échanges téléphoniques entre les deux hommes, sur cette période cruciale et préparatoire aux attentats,  démontrent que Monsieur Polat était bien « le contact et l’intermédiaire n°1 d’Amédy Coulibaly ».

Il est donc logique qu'il soit aujourd’hui l’accusé n°1 de ce procès et qu’il en soit demain à l’évidence, selon nous, le condamné n°1.

Sans doute Ali Polat était-il, comme nous l’a justement indiqué Monsieur Karasular, à l’égard de Coulibaly « comme un soldat face à son commandant ».

Certes, mais pas un simple soldat, un véritable « bras droit », comme l’a justement qualifié l’enquêtrice qui était venue déposer à cette barre. 

Je rappellerai à aussi à ce sujet la déposition de Monsieur Nevzat Ozmen, qui travaillait aux côtés de Metin Karasular.

Monsieur Ozmen qui nous aura déclaré à cette barre, en ce qui concerne la vente du véhicule Mini countryman, dont il aura été beaucoup question lors de ce procès : « C’est Ali qui s’était porté garant entre Amédy Coulibaly et Métin Karasular ». 

Tout cela démontre bien le rôle essentiel joué par Ali Polat auprès d'Amédy Coulibaly.

Et cette proximité, cette complicité entre les deux hommes, on la retrouve au travers de deux numéros  de téléphone, deux lignes téléphoniques conspiratives issues d'une flotte acquise par Amédy Coulibaly : le 06.58.77.58.02, ligne ouverte par Polat via Coulibaly, qui fonctionnera du 5 janvier au 7 janvier 2015 à 13h25 (soit juste après l’attentat de Charlie Hebdo) et le 06.58.77.58.01, puce téléphonique remise par Coulibaly à Chérif Kouachi.

Quant au dernier angle d’analyse concernant Ali Polat, à savoir son engagement religieux, je rappellerai simplement à ce sujet les 80 fichiers retrouvés dans l’i-pad utilisé par lui, qui se sont révélés aussi édifiants que révélateurs. et que nous avions detaillés à l'audience. 

On y trouvait des photos de l’Etat Islamique, de Moudjahidines en action, de drapeaux de Daech, ou encore du neveu par alliance de Mohamed Merah, le beau-fils de Sabri Essid, qui était parti en Syrie depuis Toulouse et avait assassiné un otage dans une vidéo devenue tristement célèbre dans la sphère djihadiste.

Le dernier mot, c’est finalement Monsieur Polat qui l’a prononcé lui-même, alors que l’enquêtrice du service antiterroriste terminait sa déposition, le 16 octobre dernier, en la menaçant directement et en lui disant : « Tu vas le payer ! ». 

Acculé par l'ensemble des informations et éléments de preuve explicités à son encontre ce jour-là par l’enquêtrice, cette menace d’Ali Polat sonnait à cet instant comme un terrible aveu, et je pense qu’elle vous accompagnera au moment de votre délibéré.

Cette ultime invective corrobore aussi  le rapport d’évaluation du QER, qui a mis en exergue, outre « l’impulsivité et l’agressivité » de Monsieur Polat, « son incapacité à accepter son affiliation au terrorisme ». 

Ainsi, loin d’être un « bouc émissaire », un « hologramme d’Amedy Coulibaly » ou encore, pour reprendre une autre expression de mon confrère Coutant-Peyre, un « Dreyfus » des temps modernes , Monsieur Polat apparait bien comme le rouage essentiel de la machination criminelle et terroriste fomentée et orchestrée par Amédy Coulibaly.

Je souhaiterais conclure, Monsieur le Président, Mesdames, Monsieur de la Cour, en vous disant que les parties civiles que j’ai l’honneur de représenter devant vous n’éprouvent aucun sentiment de haine, aucun sentiment de vengeance. 

Elles n’étaient et ne sont motivées que par la volonté de comprendre ce qui s’est passé dans l'attente de la vérité judiciaire qui jaillira de votre décision. 

Ces parties civiles, elles ont suivi de près ou de loin chacune de vos audiences, et nous leur devons donc, si ce n’est la vérité qui n’aura guère jailli des débats et des déclarations des accusés, cette vérité judiciaire que vous rendrez à travers votre verdict, si vous estimez que lesdits accusés sont bien coupables des faits qui leur sont reprochés. 

C’est ce que nous devons aux victimes qui sont décédées et c’est ce que nous devons à Zarie Sibony et Andréa Chamak, ces deux jeunes femmes françaises et juives qui, par une curieuse ironie de l’histoire, ont vécu en janvier 2015 une scène de guerre dans un pays en paix et vivent aujourd’hui en paix dans un pays pourtant en guerre. 

 

Maître Elie Korchia 

 

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