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Publié le 28 Février 2017

#Crif - Etude N°43 L’identité nationale, c’est la République ! par Jean-Philippe Moinet

Le Crif interroge l’auteur du 43ème numéro des Etudes du Crif

L'Etude est disponible en intégralité ici

L’identité nationale, c’est la République ! 5 questions posées à Jean-Philippe Moinet, journaliste et écrivain par Marc Knobel

Question: Pour la collection des Etudes du Crif, nous publions votre texte intitulé: « L’identité nationale, c’est la République ! », avec ce sous-titre : « Les cinq piliers républicains qui font le socle, à consolider, de l’identité française. » Vous affirmez que ces cinq piliers méritent d’être précisés, « et partout promus » : Liberté, Egalité, Fraternité, Laïcité et Démocratie. Ces cinq piliers indissociables font et feront la solidité de l’identité républicaine de la France. De quoi s’agit-il ? Que voulez-vous dire ?

 

La France a une longue histoire, faite de combats et de luttes, qui ont a abouti, près de 230 ans après la Révolution Française et bien des épreuves, à un socle unique non seulement de valeurs (abstraites) mais de principes et de références (juridiques) qui régissent très concrètement la vie en France.

 

Avec notre langue et notre territoire, cette histoire et ce socle de principes constituent une singularité positive, une identité française dont le fondement se définit, non pas sur une appartenance (ethnique) ou une religion - ce que tendent à faire croire l'extrême droite et ceux qui s'en approchent - mais sur la République, une citoyenneté forte et protégée qui, précisément, s'émancipe de toute considération raciale ou religieuse. 

 

L'article 1er de notre Constitution dit tout, il énonce en particulier le principe d'Egalité devant la loi "sans distinction de race ou de religion". Avec la Liberté, la Fraternité, la Laïcité et la Démocratie, cet article Premier énonce cinq principes clés de la République, cinq principes indissociables dont j'ai précisé les contours dans ce numéro des Études du Crif: car chacun de ces principes conditionnent la vie en société en France, une vie qui n'est pas en tous points comparables à la vie en société dans d'autres pays, même dans les pays voisins et amis des espaces démocratiques.

 

Ces cinq piliers de notre République sont des acquis précieux, parfois méconnus dans leurs incidences précises pour notre vie collective. Quand on parle de valeurs de la République, on donne l'impression de parler de mots creux. Quand on évoque les principes de la République, il ne s'agit pas de valeurs morales, qui peuvent donc se discuter et qu'on peut même piétiner si on est en désaccord. Ces principes sont intangibles, ils sont énoncés et protégés par la Loi et, au sommet de l'édifice juridique, par la Constitution. Un pays qui ne connaît pas, ou mal, les fondements de son "vivre ensemble" est un pays qui peut se laisser abuser, notamment par les forces de l'extrémisme (religieux ou politique), qui se ressemblent pour porter atteinte à ces fondements. D'où l'importance de préciser et de promouvoir ces cinq piliers, cette identité républicaine française dont l'Histoire nous a fait les héritiers.

 

Vous développez ce que vous appelez le principe de Laïcité. En quoi est-ce important ?

 

Ce principe de Laïcité, qui a force constitutionnelle, est un principe clé de notre identité républicaine. Trop méconnu, ou manié dans la confusion, il fait l'objet de mises en cause alors qu'il constitue une précieuse garantie de paix civile, il représente une grande liberté, enviée dans le monde entier, pour ceux et celles qui veulent que soit assuré le respect mutuel entre croyants (des diverses religions) et non croyants: le principe de Laïcité, qui n'est pas la négation des religions, assure la liberté de conscience, la liberté de croire et de ne pas croire dans un même espace civique, les principes de séparation (des églises et de l'Etat), de neutralité (des services publics concernant les religions) et de supériorité de la loi civique (sur toute loi religieuse) garantissant un bien précieux : personne ne peut se voir dominé par une loi religieuse à laquelle il ne croit pas, la liberté de culte est garantie dans la pluralité et le respect des droits de tous.

 

A l'heure où la religion est devenue un enjeu de dangereux conflits identitaires et communautaires, la République française offre un espace de paix civile et la liberté pour des identités plurielles. Alors que certaines lois religieuses peuvent faire l'objet d'une instrumentalisation par les fanatiques les plus violents qui cherchent à imposer leur "loi", on mesure la chance de vivre dans une République "laïque et démocratique", telle que définie et protégée par l'article 1er de notre Constitution.

 

Mais ce principe doit être davantage expliqué, détaillé, comme une grande Liberté, la Laïcité n'est pas à confondre avec l'anticléricalisme, c'est l'aménagement protecteur des libertés (de croire et de ne pas croire). Ce principe de liberté doit être activement promu, à l'école, dans les quartiers populaires, pour qu'aucune autre loi ne vienne s'imposer en lieu et place des Lois de la République. 
 

 

Vous parlez également de démocratie ?

 

Oui, car le principe démocratique est l'un des cinq principes, indissociables, énoncés par l'article Premier de notre Constitution. La liberté du suffrage a mis du temps pour être universelle, être ouverte à tous les citoyens: les femmes ont attendu la deuxième moitié du siècle dernier pour y accéder. Cette liberté doit être honorée par une large participation civique même si, en France, l'air du temps est très désabusé et la tendance est aux défiances stériles. Il est important que les électeurs pensent aussi au temps long de la République, aux principes fondateurs qu'on croit à tort éternels, et à l'espace démocratique européen qui est menacé par des puissances autocratiques, dictatoriales et théocratiques qui sont à ses portes. Et qui les poussent. Oui, malgré le "mal démocratique" français, le principe démocratique est à promouvoir et à défendre. 

 

 

Dans votre texte, vous citez le grand historien Fernand Braudel : « L’identité de la France, pour reprendre la belle formule de Fernand Braudel, n’a en soi aucune raison d’être moins positive, heureuse et attractive que celle d’une autre Nation… » Etait-il nécessaire de le rappeler ? Cette identité est-elle fondée sur les valeurs de la République ? Et, d’après vous, quelles sont les forces qui instrumentalisent ce thème ?

 

Je l'indique dès l'introduction, avec une série de rappels et de précisions: l'identité de la République française est fondée sur des principes positifs et attractifs, qui font que la France garde une image positive et attractive dans le monde entier, nous pouvons en être fiers ; l'extrême droite FN a par ailleurs instrumentalisé, depuis plus de trente ans, une "identité nationale" fondée non pas sur les principes de liberté et d'inclusion de la République mais sur un rapport d'exclusion avec "l'étranger", qui est son marqueur. Cela renvoie à une conception malsaine de "l'identité" fondée sur l'obsession des origines, et croisée dans certains cas à une appartenance religieuse érigée en étendard historique fait pour exclure.

 

Les fondamentaux de la République sont à opposer aux déclarations d'hostilité des extrémismes : l'extrémisme religieux (type islamiste) et l'extrémisme politique (type FN) sont d'ailleurs alliés objectifs, ils s'appuient cyniquement l'un sur l'autre pour prospérer et affaiblir les tenants de la République, attaquer ses cinq piliers, la Laïcité étant placé en ligne de mire de l'extrémisme religieux, la Fraternité étant en ligne de mire de l'extrémisme politique. Aux démocrates et républicains authentiques de consolider l'ensemble !

 

 

Dans votre conclusion, vous écrivez qu’aujourd’hui « en proie au doute et au pessimisme, parfois légitimement troublés par les vents mauvais du fanatisme et des extrémismes, tous les citoyens, qu’ils soient de vieille ou de récente souche, sont en droit de rêver à une France rassemblée sur l’essentiel. » Etes-vous optimiste ?

 

Pas vraiment. Je pense que la France traverse depuis quelques années une crise existentielle, et qu'elle a du mal à regarder l'avenir. Beaucoup de replis la tire vers le bas. L'image d'un passé glorieux pèse sur son présent et comme son dynamisme économique, social et culturel ne s'impose plus comme une évidence,  elle est en proie au doute, beaucoup de Français se tournent vers des idéologues-démagogues et des illusionnistes, le pays tend à se fragmenter politiquement, à se replier sociétalement, à se crisper culturellement, alors qu'il aurait grand besoin, malgré ou du fait des menaces qu'il doit affronter, à la fois d'esprit de rassemblement et d'ouverture, pour réussir pleinement et rayonner en Europe et dans le monde.

 

Le nationalisme est autant un symptôme qu'un danger. Il est un cercle vicieux qui risque d'enfermer, les esprits comme les cultures et les économies. Que la France ait le plus grand mouvement national-populiste d'extrême droite d'Europe n'est pas un signe de bonne santé, ni de grandeur. Pour autant, il faut garder espoir sur le moyen et long terme. La République a subi de grandes épreuves, elle est capable de résilience, de résistance et même de sursaut. Cela passera-t-il par un affaissement national et une crise politique majeure ? On peut le craindre. Le sursaut et le rassemblement républicain sont en tout cas tout le mal qu'on peut souhaiter à la France, à la veille d'échéances électorales décisives, où les citoyens auront en main les clés de leur avenir.