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Par Marc Knobel, Directeur des Etudes au Crif
Sur la peau de l’Homme asservi, de par sa couleur de peau, pour le simple fait qu’ils fussent noirs et que l’Homme soit devenu ainsi comme un bétail dont les sales négriers pouvaient avoir droit de vie et de mort… Les esclaves étaient entassés justement comme du bétail, ils étaient inspectés comme on inspecterait des animaux dans une foire, minutieusement. Ils pouvaient être marqués au fer rouge, comme on marquerait des bêtes. Puis, ils étaient enchaînés, deux à deux, alignés pour en caser le plus possible et c’est ainsi qu’ils effectuaient la longue traversée, le voyage sans fin. Ils étaient nus dans les cales et dans le froid pour éviter la vermine et réduire le taux de mortalité, probablement dû au scorbut. Malgré le temps, nous pouvons imaginer la peur de ces gens, la souffrance, les visages qui pleuraient.
A l’arrivée en Amérique, aux Caraïbes ou dans l’Océan indien, ils étaient vendus par lots et/ou séparément, comme on vendrait des objets de foire et par l’article 44 du Code Noir, le roi de France (Louis quatorze), « statuant et ordonnant par tous les peuples que la divine providence a mis sous son obéissance » déclarait… « Les esclaves être meubles et comme tels entrer dans la communauté », comme du cheptel, comme de simples balais, dont les négriers avaient droit de vie et de mort. Une infamie si répandue que Voltaire, lui-même, écrira… « Les blancs sont supérieurs à ces nègres, comme les nègres le sont aux singes »…
Le Code noir
Louis XIV signe à Versailles en mars 1685 un édit qui, en un préambule et soixante articles, règle dans les possessions françaises d'outre-Atlantique « l'état et la qualité des esclaves » en les qualifiant de bêtes de somme ou de purs objets Cependant, il existe deux versions du Code noir. La première version a été élaborée par le ministre Jean-Baptiste Colbert (1616 - 1683). Il fut promulgué en mars 1685 par Louis XIV. La seconde version fut promulguée par Louis XV au mois de mars 1724. Les articles 5, 7, 8, 18 et 25 du Code noir de 1665 n'ont pas été repris dans la version de 1724.
Le texte qui suit est celui du ministre Colbert (1665). Pendant plus d'un siècle et demi, avec une parenthèse de 1794 à 1802, le droit français rejeta hors humanité toutes celles et tous ceux – et leurs descendants – que, pour le compte des compagnies et des colons, les négriers déportèrent.
Pour mémoire, nous reproduisons ici les 20 premiers articles du Code noir.
Article 1er
Voulons que l'édit du feu Roi de Glorieuse Mémoire, notre très honoré seigneur et père, du 23 avril 1615, soit exécuté dans nos îles; ce faisant, enjoignons à tous nos officiers de chasser de nosdites îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d'en sortir dans trois mois à compter du jour de la publication des présentes, à peine de confiscation de corps et de biens.
Article 2
Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. Enjoignons aux habitants qui achètent des nègres nouvellement arrivés d'en avertir dans huitaine au plus tard les gouverneur et intendant desdites îles, à peine d'amende arbitraire, lesquels donneront les ordres nécessaires pour les faire instruire et baptiser dans le temps convenable.
Article 3
Interdisons tout exercice public d'autre religion que la religion catholique, apostolique et romaine. Voulons que les contrevenants soient punis comme rebelles et désobéissants à nos commandements. Défendons toutes assemblées pour cet effet, lesquelles nous déclarons conventicules, illicites et séditieuses, sujettes à la même peine qui aura lieu même contre les maîtres qui lui permettront et souffriront à l'égard de leurs esclaves.
Article 4
Ne seront préposés aucuns commandeurs à la direction des nègres, qui ne fassent profession de la religion catholique, apostolique et romaine, à peine de confiscation desdits nègres contre les maîtres qui les auront préposés et de punition arbitraire contre les commandeurs qui auront accepté ladite direction.
Article 5
Défendons à nos sujets de la religion protestante d'apporter aucun trouble ni empêchement à nos autres sujets, même à leurs esclaves, dans le libre exercice de la religion catholique, apostolique et romaine, à peine de punition exemplaire.
Article 6
Enjoignons à tous nos sujets, de quelque qualité et condition qu'ils soient, d'observer les jours de dimanches et de fêtes, qui sont gardés par nos sujets de la religion catholique, apostolique et romaine. Leur défendons de travailler ni de faire travailler leurs esclaves auxdits jours depuis l'heure de minuit jusqu'à l'autre minuit à la culture de la terre, à la manufacture des sucres et à tous autres ouvrages, à peine d'amende et de punition arbitraire contre les maîtres et confiscation tant des sucres que des esclaves qui seront surpris par nos officiers dans le travail.
Article 7
Leur défendons pareillement de tenir le marché des nègres et de toute autre marchandise auxdits jours, sur pareille peine de confiscation des marchandises qui se trouveront alors au marché et d'amende arbitraire contre les marchands.
Article 8
Déclarons nos sujets qui ne sont pas de la religion catholique, apostolique et romaine incapables de contracter à l'avenir aucuns mariages valables, déclarons bâtards les enfants qui naîtront de telles conjonctions, que nous voulons être tenues et réputées, tenons et réputons pour vrais concubinages.
Article 9
Les hommes libres qui auront eu un ou plusieurs enfants de leur concubinage avec des esclaves, ensemble les maîtres qui les auront soufferts, seront chacun condamnés en une amende de 2000 livres de sucre, et, s'ils sont les maîtres de l'esclave de laquelle ils auront eu lesdits enfants, voulons, outre l'amende, qu'ils soient privés de l'esclave et des enfants et qu'elle et eux soient adjugés à l'hôpital, sans jamais pouvoir être affranchis. N'entendons toutefois le présent article avoir lieu lorsque l'homme libre qui n'était point marié à une autre personne durant son concubinage avec son esclave, épousera dans les formes observées par l'Église ladite esclave, qui sera affranchie par ce moyen et les enfants rendus libres et légitimes.
Article 10
Les solennités prescrites par l'ordonnance de Blois et par la Déclaration de 1639 pour les mariages seront observées tant à l'égard des personnes libres que des esclaves, sans néanmoins que le consentement du père et de la mère de l'esclave y soit nécessaire, mais celui du maître seulement.
Article 11
Défendons très expressément aux curés de procéder aux mariages des esclaves, s'ils ne font apparoir du consentement de leurs maîtres. Défendons aussi aux maîtres d'user d'aucunes contraintes sur leurs esclaves pour les marier contre leur gré.
Article 12
Les enfants qui naîtront des mariages entre esclaves seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves et non à ceux de leurs maris, si le mari et la femme ont des maîtres différents.
Article 13
Voulons que, si le mari esclave a épousé une femme libre, les enfants, tant mâles que filles, suivent la condition de leur mère et soient libres comme elle, nonobstant la servitude de leur père, et que, si le père est libre et la mère esclave, les enfants soient esclaves pareillement.
Article 14
Les maîtres seront tenus de faire enterrer en terre sainte, dans les cimetières destinés à cet effet, leurs esclaves baptisés. Et, à l'égard de ceux qui mourront sans avoir reçu le baptême, ils seront enterrés la nuit dans quelque champ voisin du lieu où ils seront décédés.
Article 15
Défendons aux esclaves de porter aucunes armes offensives ni de gros bâtons, à peine de fouet et de confiscation des armes au profit de celui qui les en trouvera saisis, à l'exception seulement de ceux qui sont envoyés à la chasse par leurs maîtres et qui seront porteurs de leurs billets ou marques connus.
Article 16
Défendons pareillement aux esclaves appartenant à différents maîtres de s'attrouper le jour ou la nuit sous prétexte de noces ou autrement, soit chez l'un de leurs maîtres ou ailleurs, et encore moins dans les grands chemins ou lieux écartés, à peine de punition corporelle qui ne pourra être moindre que du fouet et de la fleur de lys; et, en cas de fréquentes récidives et autres circonstances aggravantes, pourront être punis de mort, ce que nous laissons à l'arbitrage des juges. Enjoignons à tous nos sujets de courir sus aux contrevenants, et de les arrêter et de les conduire en prison, bien qu'ils ne soient officiers et qu'il n'y ait contre eux encore aucun décret.
Article 17
Les maîtres qui seront convaincus d'avoir permis ou toléré telles assemblées composées d'autres esclaves que de ceux qui leur appartiennent seront condamnés en leurs propres et privés noms de réparer tout le dommage qui aura été fait à leurs voisins à l'occasion desdites assemblées et en 10 écus d'amende pour la première fois et au double en cas de récidive.
Article 18
Défendons aux esclaves de vendre des cannes de sucre pour quelque cause et occasion que ce soit, même avec la permission de leurs maîtres, à peine du fouet contre les esclaves, de 10 livres tournois contre le maître qui l'aura permis et de pareille amende contre l'acheteur.
Article 19
Leur défendons aussi d'exposer en vente au marché ni de porter dans des maisons particulières pour vendre aucune sorte de denrées, même des fruits, légumes, bois à brûler, herbes pour la nourriture des bestiaux et leurs manufactures, sans permission expresse de leurs maîtres par un billet ou par des marques connues; à peine de revendication des choses ainsi vendues, sans restitution de prix, pour les maîtres et de 6 livres tournois d'amende à leur profit contre les acheteurs.
Article 20
Voulons à cet effet que deux personnes soient préposées par nos officiers dans chaque marché pour examiner les denrées et marchandises qui y seront apportées par les esclaves, ensemble les billets et marques de leurs maîtres dont ils seront porteurs.
Voir les autres articles :
http://www.assemblee-
Ou :
http://gallica.bnf.fr/ark:/
Pour aller plus loin :
Maître de conférences à la Sorbonne (Paris), Frédéric Régent est un spécialiste reconnu du premier empire colonial français, du XVIIe au milieu du XIXe siècle. Dans la vidéo ci-desssus, il nous raconte avec pédagogie la traite et l'esclavage, les règlements et lois connus sous le nom de Code Noir ainsi que les mouvements abolitionnistes. Il exprime sans faux-semblant son opinion sur l'actuel travail de mémoire et les demandes de réparations :