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Discours de Ronald S. Lauder, Président du Congrès juif mondial
75e anniversaire de la libération d'Auschwitz-Birkenau
27 janvier 2020
Traduction proposée par le Crif
"Vos Majestés, vos Excellences, rabbins, clergé, invités d'honneur et, surtout, vous, les survivants d'Auschwitz-Birkenau, qui sont avec nous aujourd'hui.
Aujourd’hui, il s'agit de vous, les survivants, et je ne peux pas commencer sans vous dire combien je suis reconnaissant de vous savoir ici, et dans certains cas, ici avec vos enfants et petits-enfants.
Il y a cinq ans, lorsque je me tenais ici devant ces portes tristement célèbres, j'ai dit que je n’étais pas un survivant. Mais je suis tellement reconnaissant envers les survivants qui sont ici aujourd'hui.
Je ne suis pas un libérateur, mais je salue le courage de ceux qui nous ont sauvés.
Je suis ici, simplement, en tant que juif. Et, comme pour tous les juifs partout dans le monde, cet endroit, ce terrible endroit appelé Auschwitz, est malheureusement devenu une partie de moi.
Auschwitz est comme la cicatrice d'un terrible traumatisme. Ça ne s'en va jamais, et la douleur ne s'arrête jamais.
Je me suis toujours demandé, si j'étais né en Hongrie, d’où mes grands-parents venaient, au lieu de New York, en février 1944, aurais-je vécu ?
La réponse est non. J'aurais été l'un des 438 000 Juifs hongrois gazés par les nazis en 1944, ici à Auschwitz. Je peux vous assurer que presque tous les juifs se sont déjà posé la question au moins une fois.
Il y a soixante-quinze ans aujourd'hui, lorsque les troupes soviétiques sont arrivées devant ces portes, ils n’avaient aucune idée ce que qu’ils allaient trouver derrière. Et, depuis ce jour, le monde entier a du mal avec ce qu'ils ont découvert à l'intérieur.
Nous nous sommes tous demandé comment un pays développé, qui a donné au monde une littérature formidable, l’art et le progrès scientifique avait pu céder à l’expression de la colère, la bassesse et la dépravation qu’a été Auschwitz. Mais, permettez-moi d'être clair, tandis que l'Allemagne et l'Autriche mettaient en œuvre ce mal dévastateur, pratiquement tous les autres pays européens ont aidé les nazis dans leur entreprise anti-juifs.
Trop des gens dans trop de pays ont laissé Auschwitz devenir une réalité.
Quand les juifs européens ont supplié le monde, pour trouver quelque part un endroit sûr où aller, le monde entier leur a tourné le dos. Même mon propre pays – le pays de la liberté – a abandonné le peuple juif quand il en avait le plus besoin.
En 1938, les États-Unis ont organisé une conférence à Evian, en France, pour discuter de la crise des réfugiés juifs. Il y a eu beaucoup de beaux discours, mais l'Amérique n’a accueilli aucun réfugié juif supplémentaire, et tous les autres pays présents dans l'assistance ont suivi son exemple. Il y avait 32 pays et aucun d'entre eux, sauf la minuscule République Dominicaine, n’a voulu s’embarrasser de plus de juifs.
Hitler a vu cela. Quatre mois plus tard, nous vivions la Nuit de Cristal. Et, encore une fois, le monde n’a rien dit. Hitler a testé le monde, et à chaque nouvelle étape, il a vu une vérité simple: le monde regardait ailleurs. Ainsi, il a su qu'il pouvait construire sans encombre cette usine de la mort.
Evian a conduit à Auschwitz. La Nuit de Cristal a conduit à Auschwitz. L'antisémitisme mondial a conduit à Auschwitz.
Fort heureusement, des gens dans toute l'Europe ont fait preuve d’une décence morale et ont agi différemment - des gens ordinaires qui ont risqué leur vie et celle de leur famille pour sauver d’autres êtres humains - parfois des gens qu’ils ne connaissaient même pas. À Yad Vashem à Jérusalem, vous verrez les 27 362 noms de ceux que nous appelons Justes parmi les Nations. Ces gens qui ont tout risqué pour sauver des vies juives. Nous n'avons pas oublié ces honorables hommes et femmes, et nous ne les oublieront jamais.
Il y a cinq ans, pour le 70ème anniversaire, j'étais très préoccupé par la choquante montée de l'antisémitisme en Europe. Aujourd'hui, vous savez tous que les attaques contre les Juifs, les meurtres et les calomnies n'ont faits qu'empirer. Elles se sont même propagées jusque dans mon pays.
Il y a soixante-quinze ans, quand le monde a découvert les images des chambres à gaz, et des tas de corps morts, chaque humain doté de bon sens a condamné le nazisme.
Mais aujourd’hui, je vois quelque chose que je n'aurais jamais pensé voir de mon vivant – la banalisation et la propagation effrontée de la haine anti-juive à travers le monde. En 2020, nous entendons la même propagande mensongère que les nazis ont utilisée si efficacement : les juifs ont trop de pouvoir, les juifs contrôlent l'économie et les médias, les juifs contrôlent les gouvernements, les juifs contrôlent tout. Nous entendons ces mensonges sur Internet, dans les médias et même de la part de certains gouvernements démocratiques.
Nous n'éradiquerons jamais l'antisémitisme. C’est un virus mortel qui nous accompagne depuis plus de 2000 ans. Mais nous ne pouvons pas regarder ailleurs, détourner le regard, et prétendre que ça n’existe pas.
C’est ce que le monde a fait dans les années 1930, et c’est ce qui a conduit à Auschwitz.
Aujourd'hui, 50 pays sont représentés. Je sais que chacun de vous est autant écœuré par l'antisémitisme que je le suis. Je sais aussi que seuls, vous ne pourrez pas arrêter cette folie. Mais, ensemble, vous pouvez vous dresser contre.
Nous ne pouvons pas réécrire l’histoire. Mais nous devons être beaucoup plus déterminés aujourd'hui. Nous devons tous souvenir de ces gens courageux qui ont essayé d'arrêter cela un jour.
Tous les leaders mondiaux et tous les politiciens doivent mobiliser leurs efforts en ce sens.
Les mots ne suffisent pas. Les discours politiques ne suffisent pas.
Des lois doivent être adoptées. Des lois importantes, sérieuses et réelles qui mettront les gens pleins de haine en prison, pour longtemps, très longtemps. Les enfants doivent être éduqués et savoir jusqu’où peut mener la haine des juifs.
Celles-ci sont importantes, mais il existe aujourd'hui un autre moyen essentiel pour les dirigeants mondiaux de combattre cette haine. Je demande à tous les pays de cesser de voter en faveur de la fixation honteuse et constante de l'ONU sur Israël.
Exactement trois ans, trois mois et trois semaines après la libération d’Auschwitz, le peuple juif a réalisé son rêve vieux de 2000 ans et a fondé l'État juif d'Israël. Pour la seule et unique raison qu’aucun Etat du monde n’a accepté les réfugiés juifs quand ils suppliaient qu’on les aide, le peuple juif a besoin d'Israël.
Il y a soixante-quinze ans, le peuple juif a quitté Auschwitz. Ils ont fui l'Europe, ils ont été forcés de quitter tous les pays du Moyen-Orient et, au lieu de vivre dans camps de réfugiés et de céder à la tentation de la terreur, ils ont construit une démocratie dynamique dans un endroit où la démocratie n'existait pas.
Ils ont créé miracle après miracle tout en défendant continuellement leur existence.
Aucun autre pays sur terre n'a eu à faire cela. Et pour le simple fait qu’il se défende l’ONU, les journalistes et même certains dirigeants mondiaux condamnent Israël constamment.
Mais il y a encore pire. Israël a été mis de côté encore et encore avec les mêmes mensonges que nous entendons à propos du peuple juif depuis des siècles. Au cours des sept dernières années, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté 202 résolutions condamnant les pays du monde entier. Sur ces 202 résolutions, 163 fois ont concerné Israël, 39 le reste du monde. 163 contre 39 !
Nous savons tous que ces votes sont absurdes. L'ONU ignore des dictatures perverses qui tuent des millions de leurs propres citoyens. Et il est clair comme le jour que ce genre d’obsession antisioniste n'est rien d'autre que de l'antisémitisme.
Je me rends compte qu'Auschwitz est entouré de chiffres. 75 ans, 1933, 1938, 6 millions… Parmi ces chiffres, il y en a un qui continue de briser les cœurs de ceux qui l’entendent. Un million cinq cent mille.
C’est le nombre d’enfants juifs - un million et demi - qui sont morts pendant la Shoah.
C'est tellement douloureux qu'on essaie de ne pas y penser. C'est un chiffre qui fait trop mal.
Si tous ces enfants avaient été autorisés à vivre leur vie comme tous les enfants du monde, ils auraient maintenant entre 70 et 80 ans. Ils auraient été éduqués, ils se seraient mariés, ils auraient eu leurs propres enfants. Cette perte est immense…
Que pourraient avoir-ils avoir créé pour nous tous ? Quelles symphonies ? Quelle grande littérature ? Quelle technologie ? Quelles percées médicales avons-nous perdu de ces âmes perdues ?
Il y a une autre partie de l'histoire d'Auschwitz dont personne ne parle jamais. Quand les survivants ont été libérés de ce cauchemar nazi, ils n'ont jamais cherché à se venger. Ils ont perdu leurs mères et leurs pères, leurs sœurs et leurs frères. Dans trop de cas, ils ont perdu leurs femmes et leurs enfants. Et malgré cela, pas un Allemand n'a été tué par un juif. Pas un. Pensez-y un moment. Après tout ce qui leur est arrivé, les survivants juifs sont sortis des portes de l’enfer et ont continué à construire de nouvelles vies, Élever de nouvelles familles, travailler dur et créer. Certains ont des petits-enfants. Certains sont ici aujourd'hui.
Et il est honteux que soixante-quinze ans plus tard, ils voient maintenant leurs descendances face à cette même haine. Cela ne doit jamais être toléré.
Finalement, j’ai presque peur que tous ces chiffres - un million et demi d'enfants, six millions de Juifs – j’ai peur qu’ils soient tout simplement trop difficiles à comprendre pour nous.
Alors, laissez-moi vous raconter une histoire. Elle provient du procès Eichmann en 1961, où témoins après témoins ont décrit leurs expériences ici, à Auschwitz.
Pendant le procès, un homme s’est démarqué par son émotion toute particulière. Il a décrit son arrivée sur cette plate-forme, ici même, avec sa femme et sa petite fille. Ils étaient sortis des wagons à bestiaux et faisaient la queue pour la "sélection", juste là-bas [il désigne la rampe d’arrivée derrière lui].
Un médecin a décidé qui irait à droite pour travailler et qui irait à gauche pour l'extermination.
L'homme a été séparé de sa femme et de sa fille à ce moment-là. À la barre des témoins, il a déclaré : «Il y avait tellement de monde, je ne savais pas comment garder un œil sur elles. "
Mais sa petite fille portait un manteau rouge, et il a pu en suivre l’image jusqu'à ce qu’elle devienne de plus en plus petite, avant de disparaître complètement.
Le jeune procureur israélien, Gabriel Bach, se tenait à sa place lorsque le témoin eut terminé. Il est resté là, silencieusement. Quelques minutes plus tard, le juge a demandé à Gabriel Bach de poursuivre l’audience, mais celui-ci est resté immobile et muet.
Le juge lui a à nouveau demandé de continuer. Et, à nouveau, il est resté là, immobile et silencieux.
Des années plus tard, Gabriel Bach a expliqué que, par le hasard ou le destin, lui et sa femme venait à l’époque d’acheter à leur fille de trois ans un petit manteau rouge. Il a précisé que, depuis, s'il entre dans un stade, dans un restaurant ou qu’il marche dans une rue de Jérusalem, et qu’il y voit une petite fille avec un manteau rouge, sa gorge se noue, et il ne peut plus parler.
Depuis que j’ai entendu cette histoire, moi aussi, chaque fois que je vois un manteau rouge sur une petite fille, je pense à la même chose.
C'est l'héritage d'Auschwitz, et il ne disparaîtra jamais.
À chaque personne juive et non juive dans ce public, quand nous quitterons ces portes aujourd'hui, voici ce que nous devrons faire :
Quand nous entendons quelque chose d'antisémite, quand nous entendons quelqu'un parler d’Israël injustement, lorsque des Juifs sont attaqués dans nos rues, ne restons pas silencieux. Ne restons pas indifférents. Mobilisons-nous, et pas uniquement pour le peuple juif.
Faites-le pour vos enfants, faites-le pour vos petits-enfants, mais aussi, faites-le pour la petite fille au manteau rouge.
Ses cendres se trouvent juste en dessous de nous. Elles sont accompagnées de celles d'un million d'autres âmes torturées en ce lieu.
Ces âmes nous regardent aujourd'hui, et elles crient, dans un chœur fracassant :
Ne soyez pas silencieux.
Ne soyez pas complaisant.
Ne laissez jamais cela se reproduire pour personne."
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