Publié le 18/08/2014 11 par Jacques Tarnero
C'est parce que vous avez habitué vos lecteurs à des éditoriaux subtils et souvent à contrecourant de la doxa que je suis surpris, désagréablement surpris, par la tonalité et le fonds de votre éditorial titré "les nouveaux Baal Zebub" introduisant la dominante de votre livraison portant sur "la peur des Juifs de France ".
La réponse à la question que pose l'ensemble de votre enquête est contenue dans son titre. La réponse, négative, en est l'implicite. Les Juifs ont tort d'avoir peur et de se rétracter, écrivez-vous, car ce faisant ils s'excluraient du contrat passé avec la République parce que ne lui faisant plus confiance. Ont-ils si tort que ça non pas d'une défaillance de l'esprit républicain mais de l'état actuel ou se trouve la société française organisée en son sein. Le problème vient-il des Juifs ou de ceux qui les ont récemment agressés ? Remontons plus en amont : le blocage au Proche Orient est-il dû à l'irrédentisme d'Israël ou bien au refus arabe d'accepter l'idée même d'un Etat juif en son milieu? Reconnaissent-ils ce droit ? Jusqu'à ce jour la réponse est négative. Il y a certes des traités de paix, mais de reconnaissance d'un droit à être en tant que tel surement pas.
Revenons à votre éditorial. L'écho de ce conflit retentit jusque dans nos banlieues et si les Juifs ont peur comme vous en suggérez l'idée, c'est sans doute parce que semble terminée la période où l'on pouvait s'estimer "heureux comme un juif en France". Cette période est terminée pour les Juifs, elle semble aussi terminée pour la France. Pourquoi ? Parce que depuis trente ans la France ne se ressemble plus. Mondialisation aidant un dixième de la population de ce pays est d'origine arabo-musulmane. Pour une grande part elle est française, mais son modèle d'identification ne semble pas être ni De Gaulle, ni Napoléon, ni Louis XIV et encore moins Roland ou Du Guesclin. Peut-être l'Emir Abdel Kaderr, et encore... Vous me rétorquerez que pour les Juifs polonais ou allemands arrivés au début du siècle passé non plus, mais ils avaient une image symbolique qui leur parlaient : la devise inscrite au fronton des mairies et c'est bien cet idéal qui inspira au père d'Emmanuel Levinas le désir d'émigrer en France : un pays qui s'entre déchirait pour rendre justice à un officier juif accusé à tort, ne pouvait qu'être un pays où vivre.
Les jeunes sans cervelles qui croient défendre la Palestine à laquelle ils s'identifient aux cris de "Allah Akbar" n'ont pas au cœur la devise de la République. Drogués à un islam de rencontre, ils disent leur ressentiment contre une France qui les marginalise et ont fait d'Israël la potion explicative de leur mal être social autant qu'identitaire. Pour x raisons que nous ne traiterons pas ici, ils ont fait leurs la cause palestinienne pour peu que celle-ci ait pour adversaire un Israël bien commode. Des massacres arabo-arabes ils ne se soucient guère. Le linge sanglant se lave en famille.
Dès lors à qui la faute du malaise actuel ? Aux juifs qui ont peur ou à ceux qui leurs font peur ? Convoquer les mannes de la République est fondamental mais vain pour qui refuse d'en entendre la formule. Voilà la France passée de Charles Péguy à Franck Ribéry. A-t-elle gagné au change ? Hélas non et nous mesurons chaque jour que dieu ou Allah fait, le délitement culturel de notre pays. Car c'est bien cela qui en constituait le ciment : la culture, la langue et l'imaginaire qui la portait. De Trappes à Sarcelles, qu'en reste-t-il ? On pourra opposer à ce qui précède des tas d'exemples singuliers, d'intégration réussie qui contredisent ces propos par trop généralistes. Mais les faits sont la et ils sont têtus. La haine pathologique du monde arabe contre Israël a suinté dans toutes les couches des populations arabo musulmane d'Europe et ce que cette haine met en cause c'est bien désormais la présence juive dans le vieux continent.
Des Juifs se seraient constitués en groupes d'autodéfense ? L'argument est dérisoire car si quelques écervelés se sont regroupés pour jouer à la contre intifada, ils ne représentent qu’une infime minorité dont le grossissement médiatique obéit d'abord à un souci d'affichage politique. L'équilibre en la matière vise la paix intérieure. Je peux vous dire qu'aller dans n'importe quel lieu communautaire pour écouter un concert ou une conférence ou une prière à l'abri de barrières et de policiers, est devenu aussi insupportable que nécessaire au vu des menaces. Il n'y a quasiment plus d'élèves juifs dans les écoles publiques des quartiers dits sensibles. Que feriez-vous à la place des parents dont les enfants se sont fait insulter ou menacer ? Invoqueriez-vous la devise de la République ou bien exfiltreriez-vous votre enfant vers un autre lieu plus surs ? Cette situation est connue de tous. Deux rapports ont été écrits pour les autorités de l'Etat, pour décrire ces territoires perdus de la République, par Jean-Pierre Obin et Jean Christophe Ruffin en 2004 et 2006. Croyez-vous que depuis la situation se soit améliorée ?
La "tribu" comme vous l'écrivez aurait peur. Entre nous soit dit cher monsieur Barbier, la tribu en a vu d'autres, bien pires. La tribu est inquiète, pas uniquement des nouvelles menaces réelles rencontrées ici ou là, elle est inquiète d'une part de voir que le symbole politique porteur pour ces jeunes "beurs" soit incarné par le Hamas, elle est surtout consternée de voir que des forces de gauche, de la gauche de gauche, lui emboitent le pas. Le grotesque confine à l'absurde et à l'absurde au naufrage intellectuel de voir Besancenot et Krivine défiler à côté des partisans du nouveau Calife de Bagdad. Sauf à penser que cet Iznogoud n'est pas méchant on pourrait rire à ce carnaval. Hélas c'est par le sang qu'avance le nouvel émir. Ne pas prendre conscience de l'avancée multiforme de l'islamisme, ne pas comprendre que la menace qui pèse sur les chrétiens d'Orient est de la même famille idéologique que celle qui agresse Israël, ne pas prendre la mesure de ce qui menace l'Europe, ne pas voir les menaces qui pèsent sur la liberté de l'esprit, sur la liberté des femmes et tresser des louanges de Résistant au Hamas est un suicide intellectuel et politique. L'islamisme représente aujourd'hui ce que le fascisme ou le stalinisme représentaient hier. Le troisième totalitarisme est en marche sous différentes appellations. Les fins esprits, dont Jacques Attali (qui conclut votre publication) devraient ouvrir tous grands leurs yeux. Comment cet intellectuel si clairvoyant peut-il en une phrase accabler Israël dans le présent conflit ? Sa formule est trop rapide pour énoncer une vérité factuelle ou proposer une analyse. Comment peut-il applaudir à l'intervention militaire de la France au Mali, et dénoncer la riposte d'Israël ? C'est le même ennemi qui est combattu sur deux fronts.
Monsieur Barbier, vous vous êtes trompé de cible. Ce ne sont pas les Juifs qu'il faut prioritairement interpeller mais bien plus l'assourdissant silence de ceux qui se réclament de l'héritage arabe et de la civilisation née de l'islam devant les horreurs qui sont commises en son nom. Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud seraient, j'en suis certain, d'accord avec cette suggestion.