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Ce 29 août, un soldat tombe, mortellement touché, et voit le grand rabbin, portant la soutane comme beaucoup d'aumôniers. Il le prend pour un prêtre catholique, et lui demande un crucifix. Pour répondre à l'ultime désir du soldat, le grand rabbin Bloch court chercher une croix dans le village le plus proche et le présente au moribond. C'est alors qu'un nouvel obus les frappe tous deux et les réunit dans la même mort, assistés du père jésuite Jamin. Maurice Barrès, loin d'être un philosémite reconnu, en parle dans son livre Les Diverses Familles spirituelles de France comme d'un acte «plein de tendresse humaine».
Une stèle honore ce geste extrême de fraternité, à 6 kilomètres de Saint-Dié dans les Vosges: «Ici, le 29 août 1914, le grand rabbin Abraham Bloch, aumônier aux armées françaises, a été tué, après avoir porté la croix du Christ, à un soldat catholique mourant. Inauguré le 2 septembre 1934 par M. G. Rivollet, ministre des pensions.»
Une autre plaque à la mémoire du grand rabbin Bloch est apposée à l'entrée du séminaire israélite de France, symbole et message à tous les futurs rabbins qu'ils seront au service de tous, par-delà leur communauté, car tous frères.
Le grand rabbin Jacob Kaplan, mort il y a tout juste vingt ans, était convaincu que la grande réconciliation entre les religions de France s'était scellée dans la boue et les larmes des tranchées.
C'était il y a cent ans, mais c'est de cette notion de don de soi pour que l'autre vive, dont nous aurions tant besoin aujourd'hui! Il ne s'agit pas pour le judaïsme contemporain de tirer quoi que ce soit de ce sacrifice, comme du sacrifice de tous ceux qui sont morts pour la France en professant la foi d'Israël, mais de rappeler notre Histoire, et combien cet acte et tous les autres nous obligent, tout comme ils engagent notre pays à rester fidèle au rêve de ceux qui ne sont plus.
Face aux quatre immenses plaques situées dans la grande synagogue de Paris et rappelant le sacrifice des membres connus de la communauté juive de Paris au cours de la Grande Guerre, figure un texte particulièrement émouvant: «A la mémoire de Charles Péguy, mort pour la France le 5 septembre 1914». Et la pierre garde le message de Charlotte, son épouse: «J'aimerais que le nom de mon mari Charles Péguy soit joint à ceux des israélites qui ont donné comme lui leur vie pour la France». Lui qui incarnait la profondeur de l'âme française savait où étaient, parmi les citoyens, ceux qui aspiraient à une France de l'idéal. C'est peut-être ce qui nous est si difficile à vivre aujourd'hui: ce décalage entre la France idéale et celle de toutes les contingences et de tous les dénis.
Ne doit-on se réconcilier que dans la souffrance et les difficultés, dans les tranchées et dans la guerre ? Il nous faut retrouver cette confiance en notre destin commun qui nous poussera chacun à conserver sa foi, ses convictions politiques, sociétales, éthiques, tout en nous ouvrant à l'autre.
Le grand rabbin Jacob Kaplan, mort il y a tout juste vingt ans, était convaincu que la grande réconciliation entre les religions de France s'était scellée dans la boue et les larmes des tranchées. Lui-même, avant d'être grand rabbin de France (1955-1981), grand-croix de la Légion d'honneur et membre de l'Institut, était un survivant du 411e régiment, où il avait servi durant toute la première guerre mondiale.
Ne doit-on se réconcilier que dans la souffrance et les difficultés, dans les tranchées et dans la guerre? Il nous faut retrouver cette confiance en notre destin commun qui nous poussera chacun à conserver sa foi, ses convictions politiques, sociétales, éthiques, tout en nous ouvrant à l'autre. Nous aurons ainsi la certitude qu'elles enrichissent la société dans laquelle nous vivons, le monde que nous bâtissons.
Beaucoup de nos concitoyens ont des gestes de respect envers les croyants d'un autre culte, démontrant leur foi laïque en l'homme, base essentielle de leur foi en Dieu. Ce faisant, ils construisent au quotidien une France qui est belle. Mais combien s'enferment et se replient sur des espaces restreints et cloisonnés?
Cent ans après le geste sublime du grand rabbin Abraham Bloch, nous avons plus que jamais besoin de son message d'amour du prochain et de respect de la foi de qui ne prie pas comme nous, mais adresse sa prière au même Dieu, son rappel de ce qu'est la vocation du creuset français et son rêve d'une France «unie dans la diversité».
Nous serons avec tous ceux qui croient en la France et qui espèrent en l'Homme à Taintrux, ce 29 août au matin, afin de réaffirmer que le grand rabbin Abraham Bloch est toujours un modèle pour nous d'engagement, de foi et de don de soi.
Le plus bel hommage à rendre au grand rabbin Abraham Bloch est de réaffirmer aujourd'hui par nos actes que par son engagement total, il était une part du génie de la France.
C'est pourquoi nous serons avec tous ceux qui croient en la France et qui espèrent en l'Homme à Taintrux, ce 29 août au matin, afin de réaffirmer que le grand rabbin Abraham Bloch est toujours un modèle pour nous d'engagement, de foi et de don de soi.
Et si nous ne pouvons pas être présents, poursuivons son action et partageons son élan de manière moderne et actuelle en publiant un message sur les réseaux sociaux: «Plus de minute de silence, mais une minute pour la France. Tous ensemble et non pas différents. Jamais indifférents à l'autre. C'est la France qu'on défend, c'est la France qu'on aime ».