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Commencé par un déplacement à Tunis dont les retombées en termes de communication se sont par ailleurs révélées désastreuses, le voyage du chef du Hamas s'est poursuivi à Tripoli pour venir y conforter le président du conseil de transition, Abdeljalil. Puis la tournée se poursuit dans l'Égypte bientôt administrée elle-même par une dyarchie des militaires et des Frères musulmans. Le périple s'achève, enfin, d'abord au Soudan islamiste et massacreur depuis bien longtemps, en Arabie saoudite, bien sûr, au Qatar évidemment, mais aussi, c'est la véritable cerise sur le gâteau, à Bahreïn où celui qui était encore voici quelques mois l'allié obséquieux des mollahs chiites de Téhéran est venu saluer avec la maison princière des Khalifas au pouvoir le rétablissement d'un ordre sunnite sans faiblesse, bien que minoritaire.
Mais ce triomphe de propagande est tout autant une proclamation d'une idéologie et d'une stratégie. Pour comprendre donc ce que veulent les dirigeants actuels du Qatar, mais derrière eux et à leur côté des forces sociales bien plus importantes et plus conséquentes dans le monde arabe, il faut, en effet, partir de trois constatations associées. Un bilan jugé effroyable du passé récent, une espérance idéologique et politique originale et un calcul stratégique qui ne pouvait naître que d'un événement imprévu entre tous, la révolution démocratique arabe de 2011.
Commençons donc par cette irruption aussi imprévue que bénie de l'histoire récente: la chute des despotismes plus ou moins laïques et plus ou moins éclairés de l'Afrique du Nord a, en effet, permis que s'instaure sur le terrain une réalité, jusqu'ici seulement rêvée par quelques stratèges en chambre, l'alliance d'une certaine forme de démocratie et d'une certaine forme d'islamisme.
Ce tournant capital, adopté par les Frères musulmans au Caire et à Tunis, et sans doute demain à Tripoli, s'avère déjà payant. Elle se traduit à présent par la perspective de réunifier un monde arabe marqué jusqu'ici par le conflit des anciens et des modernes et donc divisé contre lui-même. À un moment donné, cette unification en marche pèsera à l'évidence de tout son poids sur une Arabie saoudite où le changement de règne est déjà bien engagé. Et c'est ici que vient se surajouter, à cet ensemble, le constat suivant: l'actuelle nouvelle donne arabe a, de toute évidence, pour fonction de porter un coup d'arrêt à ce que ces stratèges vivent comme un déclin géopolitique de l'arabisme enclenché avec la mort de Nasser.
Depuis lors, en effet, ce sont trois États non arabes, la Turquie sur le plan économique, Israël sur le plan militaire et l'Iran sur le plan idéologique qui occupent le devant de la scène. Mais providentiellement, l'Iran n'a pas renoncé avec son programme nucléaire à menacer directement toutes les monarchies arabes et à dresser contre lui et avec ces dernières, les États-Unis; Israël n'accepte toujours pas, par aveuglement idéologique, de hâter la fin de son occupation résiduelle de la Cisjordanie ; et la Turquie, dans une niaiserie islamisante qui va à l'encontre de ses intérêts réels, s'est d'abord embarquée dans la liquidation, peut-être même militaire, d'un régime syrien qui ne demandait au départ qu'à lui être agréable.
Dans l'espace ouvert par ce créneau, il est donc possible à la stratégie unifiée islamo-démocrate qu'exprime, au nom de la Confrérie des Frères musulmans, la diplomatie du Qatar d'obtenir, pour ses buts de guerre, la complaisance des États-Unis en raison de leur hostilité à l'Iran, la compréhension des Européens en raison de leur agacement face à Israël et l'indulgence de la Turquie aveuglée, pour l'instant, par des perceptions idéologiques erronées.
Mais cette fenêtre de vulnérabilité ne pourra que se refermer un jour, surtout si l'Iran s'oriente vers une négociation globale, Israël, vers un abandon résolu des Territoires palestiniens et la Turquie vers un retour à la paix civile en cessant de persécuter ses militaires et d'insulter ses meilleurs alliés.
La grande question est donc toute simple: l'unification islamiste sunnite continuera-t-elle à rester plus forte et plus résolue que la somme pour l'instant disjointe de ses adversaires principaux?
(Article paru dans le Figaro du 14 janvier 2012)