Tribune
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Publié le 15 Juillet 2013

Vers un retour à l’équilibre régional de l’ère Moubarak au Moyen-Orient?

Par Zvi Mazel, ancien ambassadeur d’Israël

 

Le front des pays pragmatiques contre l’Iran est-il  en train de renaître de ses cendres ? Bien qu’au Caire les Frères Musulmans se refusent encore à accepter le fait accompli et que la crise risque de durer encore longtemps, on assiste déjà à un réchauffement des relations entre l’Égypte et l’Arabie Saoudite ainsi que les émirats du Golfe à l’exception du Qatar. 

C’est ainsi que plus de douze milliards de dollars ont été promis à l’Égypte pour l’aider à tirer son économie de l’impasse et surtout pour bien montrer que ces pays soutiennent le nouveau régime dans sa lutte contre la Confrérie. Quant au Qatar, qui ne se dément pas de sa fidélité de plus d’un demi-siècle envers les Frères, il se retrouve bien isolé. La chute de Moubarak et l’arrivée au pouvoir des Frères Musulmans avaient sonné le glas d’un système d’alliances  destiné à contrecarrer l’Iran.

 

Sous l’impulsion de l’Égypte et de l’Arabie Saoudite et avec le soutien des États-Unis ce système s’était maintenu pendant trente ans. Après la révolution, l’Égypte, tournée vers ses problèmes internes, avait laissé l’Arabie Saoudite assumer seule le manteau de l’opposition à Téhéran. Plus grave encore, les Frères Musulmans avaient amorcé un rapprochement avec le régime des Ayatollahs. Hassan el Banna, fondateur du mouvement, n’était pas hostile à l’Islam chiite et souhaitait la réunification de l’Islam.

 

Dans un premier temps, Morsy, qui voulait créer un comité de quatre pour trouver une solution à la crise syrienne, chercha à y faire entrer l’Iran aux côtés de la Turquie, de l’Arabie Saoudite.  C’était sans compter sur les nombreux différends qui opposent Ryad à Téhéran : les efforts  de l’Iran pour imposer son hégémonie dans les pays du Golfe, le programme nucléaire et le soutien apporté au régime d’Assad en Syrie. Le comité resta lettre morte.

 

Morsy voulut alors renouer des relations économiques avec l’Iran, prélude à la reprise des relations diplomatiques.  Il se heurta à la violente opposition des Salafistes, dont la haine pour les Chiites est bien connue et qui par ailleurs bénéficient d’une assistance financière considérable de l’Arabie Saoudite, laquelle ne voulait à aucun prix cette reprise.  D’ailleurs depuis l’accession au pouvoir de Morsy, l’Arabie Saoudite avait pris ses distances vis-à-vis de l’Égypte. Certes, au nom de la solidarité arabe elle avait bien promis une aide de deux milliards de dollars, mais n’a versé que la moitié de cette somme. La monarchie saoudienne avait pourtant eu de bonnes relations avec la Confrérie par le passé.

 

En 1961, Said Ramadan, ancien secrétaire particulier d’Hassan el Banna, avait convaincu le roi Saud de créer « La ligue islamique mondiale » pour diffuser le Wahabisme, l’Islam pur et dur, en occident. L’argent saoudien a financé des mosquées et des centres culturels dirigés par les Frères en Europe et aux États-Unis. Le roi avait accueilli les membres de la Confrérie fuyant les persécutions de Nasser dans les années cinquante et soixante et leur avait permis de s’établir dans le royaume. Les attentats du 11 septembre 2001 à New York et le fait que sur les 18 terroristes 16 étaient des nationaux saoudiens ont donc plongé l’Arabie Saoudite dans la stupeur. Non seulement ces attentats risquaient de remettre en cause la relation privilégiée entre le pays et les États-Unis, mais encore ils mettaient en évidence le fait que les Frères Musulmans avaient introduit le jihadisme dans le royaume et formé une génération de terroristes qui risquaient de l’impliquer dans le terrorisme mondial. Le roi prit donc la décision de chasser les Frères Musulmans. Ils ne l’ont pas oublié – et l’Arabie non plus.

 

Toute autre est la situation du Qatar. C’est aussi pour échapper à Nasser que les membres de la Confrérie y sont arrivés il y a plus d’un demi-siècle. C’était alors une petite principauté sans importance qui tirait l’essentiel de ses ressources de la pèche aux perles. Les Bédouins les ont accueillis à bras ouverts ; pour leur part, les Frères acceptèrent là aussi le Wahabisme et aidèrent le pays à créer les ministères de l’Éducation et de la Religion dans le but de former la jeunesse.

 

C’est à cette époque qu’arrive Yusuf el Qaradawi, qui devait devenir la plus haute autorité religieuse de la Confrérie. Il créa l'Union Internationale des Sages Musulmans et le Conseil européen pour la recherche et la Fatwa destiné à conseiller les Musulmans sur la façon de préserver leur religion tout en vivant dans un milieu non musulman. Qaradawi présente sur la chaine Al Jazeera un programme hebdomadaire intitulé « La Charia et la vie » où il expose ses positions extrémistes à ses millions de téléspectateurs ; en 2009 il n’avait pas hésité à déclarer que Dieu s’était servi d’Hitler pour punir les Juifs et que les Musulmans finiraient peut-être le travail.

 

Al Jazeera ne cachait pas son hostilité au président Moubarak, qui le lui rendait bien, allant jusqu’à dire qu’il s’agissait d’une chaine de télévision qui avait son propre pays. Quoi qu’il en soit Al Jazeera a pesé de tout son poids sur le printemps arabe au point d’être accusé d’y avoir contribué. Le Qatar continue à donner généreusement aux Frères ; il soutient les extrémistes islamistes en Libye et il aide ouvertement les rebelles islamiques en Syrie. Après avoir applaudi l’arrivée des Frères au pouvoir en Égypte, le Qatar n’a toujours pas accepté la nouvelle donne et Qaradawi répété à l’envie que c’est un devoir pour les Musulmans que de soutenir Morsy.

 

Pour Téhéran, la chute de Morsy ne pouvait plus mal tomber. Le pays est durement touché par les sanctions occidentales ; son allié le plus fidèle, Assad, se bat pour sa survie en Syrie ; son autre allié, le Hezbollah, qui avait envoyé des milliers de ses hommes pour défendre Assad a subi de lourdes pertes ; au Liban on s’indigne de son intervention et la vieille alliance des Sunnites et des Chrétiens est en train de renaître. Le Hamas pour sa part a quitté la Syrie sur la pointe des pieds. Ce qui ne veut pas dire que l’Iran est prêt à renoncer à ses ambitions régionales ou à son programme nucléaire.

 

En dernière analyse le « printemps arabe » a surtout mis en lumière l’étendue de l’influence de l’Islam sur les populations du Moyen-Orient. La région traverse maintenant un bouleversement aux conséquences encore incalculables.  En Égypte un raz de marée des forces non islamiques a renversé le régime des Frères Musulmans. Toute la question est de savoir à quelle sortie de crise il faut s’attendre. Si le pays arrive, avec l’aide des états arabes amis, à trouver un nouvel ordre politique qui ramène  la paix civile, ce sera un revers sérieux  porté au terrorisme islamique et aux ambitions de l’Iran dans la région. Les États-Unis ont leur rôle à jouer dans cette partie dangereuse. Soutenir le nouveau régime est vital non seulement pour ce dernier, mais encore pour les intérêts américains et ceux de l’occident. Il faut espérer qu’ils s’en rendront compte à temps.