Tribune
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Publié le 6 Octobre 2014

Un Yom Kippour particulier

Par Richard Prasquier, Médecin cardiologue et ancien Président du CRIF, publié dans le Huffington Post le 6 octobre 2014

Cette année 2014 (5775 pour les Juifs, 1435 pour les Musulmans), les hasards des calendriers ont amené les Juifs et les Musulmans à célébrer le même jour du 4 octobre leur fête la plus importante: pour les premiers Yom Kippour, pour les seconds, l'Aid el Adha. 

L'une, le grand Pardon, clôture le cycle des jours de pénitence qui commence à Rosh Hachana, le Nouvel An, l'autre, la grande fête de sacrifice, achève le cycle du pèlerinage à La Mecque. Dans les deux cas, il s'agit d'exalter la grandeur divine et de demander rémission pour les péchés et les offenses.

Une telle coïncidence de date, qui ne s'était pas produite depuis 33 ans, incite à la réflexion. C'est peu de dire que le "climat" y est propice.

L'élément central de l'Aïd est le sacrifice d'Abraham, le père commun des monothéismes. À Rosh Hachana aussi, le rappel de l'injonction envers Abraham pour qu'il sacrifie son fils unique (le terme utilisé est celui de ligature, Akeda) est un élément central de la liturgie.

D'autres éléments peuvent être rapprochés dans les deux traditions: la lapidation de Satan, à la fin du pèlerinage, qui marque le rejet des péchés, rappelle la cérémonie de Rosh Hachana, où ces péchés sont symboliquement rejetés dans une eau vive. Les circumambulations autour de la Kaaba peuvent être rapprochées de celles qui se déroulent autour de la Thora au cours de la fête de Soukkot (dont le nom même «hag Soukkot» provient de la même racine que le hadj arabe et se réfère à un cercle...

Chacun sait que les traditions respectives sont proches. Le soutien attentif d'une anthropologie fraternelle devrait aider à avancer dans les voies multiples et tortueuses de la spiritualité en reconnaissant que le fantasme d'une possession exclusive de la parole divine est une boursouflure idolâtre de l'ego.

Mais comparaison n'est pas raison et, en matière religieuse plus qu'ailleurs, les petites divergences font les grands conflits. Depuis plus de 1000 ans, le christianisme est divisé entre orthodoxes et catholiques sur un mot (le filioque).

Entre la tradition judéo-chrétienne biblique et la tradition musulmane du sacrifice d'Abraham, les brûlots théologiques ne manquent pas: comment s'appelait le fils qui devait être sacrifié et qui, dans les deux traditions, s'est soumis sans résistance à la décision paternelle supposée d'origine divine ? Isaac, nous dit la Bible, Ismaël dans la tradition musulmane.

Où a eu lieu cet événement extraordinaire? Au Mont Moriah pour la Bible, sur le Mont Arafat pour le Coran. Le premier est à Jérusalem (sous le dôme du Rocher, appelé Mosquée d'Omar, au Saint des Saints suivant la tradition), le second, non loin de La Mecque, qui évoque par son nom une figure emblématique du conflit israélo-palestinien. Le hasard (?) fait mal les choses...

Les agitateurs religieux peuvent de ces divergences faire une source irréductible de conflit métaphysique. Les experts pourraient, sous le compte d'une enquête scientifique, essayer d'en savoir plus sur les origines des traditions. Ils ne seraient pas entendus. Les hommes de bonne volonté doivent admettre, au-delà des noms et des lieux, que leur connaissance spirituelle reste faillible, que le voilement sur le réel est peut-être une épreuve intentionnelle et une mise à distance nécessaire, et que la leçon essentielle, celle qui porte sur le sens, n'est pas celle du « qui" ou celle du « où »… Lire la suite.