Tribune
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Publié le 31 Octobre 2014

Regain de tension en Israël : une pièce du puzzle de la grande recomposition en cours au Moyen-Orient

Entretien avec Frédéric Encel publié sur Atlantico le 31 octobre 2014, propos recueillis par Franck Michel

Atlantico : Le calme est revenu mardi à Jérusalem-Est, mais l’atmosphère reste tendue. Peut-on imputer la réaction en deux temps d'Israël (déploiement de forces armées à Jérusalem-Est et annonce d'un nouveau plan de construction) au seul drame d’Ammunition Hill et à la crise larvée entre Israéliens et Palestiens ?

Frédéric Encel : Non car les projets de constructions dans les quartiers juifs de la Jérusalem-Est annexés n'ont jamais cessé, sous aucun gouvernement. Il s'agit d'une priorité nationale pour les travaillistes autrefois, pour les nationalistes aujourd'hui.

En outre, on ne décrète pas sur un coup de tête un nouveau programme de logements ; en Israël, des commissions administratives et sécuritaires planchent dessus, puis il y a souvent des recours, et enfin seulement un feu vert politique qui, même acquis, peut prendre encore des semaines.

Donc le regain actuel de tension n'est pas le moteur principal de cette décision. Quant au déploiement de forces de police des frontières, et pas seulement dans cette zone sensible, il est fréquent.

Les États-Unis ont une nouvelle fois condamné les projets de construction du gouvernement israélien et la diplomatie américaine ne mâche plus ses mots pour qualifier le comportement de Benyamin Nétanyahou, trop lâche pour entrer en guerre, préoccupé seulement par les échéances électorales et prêt à aucun compromis en direction de la Palestine. La réaction israélienne est-elle également imputable au changement de politique américaine au Moyen-Orient ?

Obama déteste Netanyahou. Les deux chefs de l'exécutif sont arrivés concomitamment au pouvoir début 2009 et, immédiatement, ce fut la brouille : le premier reproche au second de n'avoir jamais vraiment accédé à ses demandes sur les nécessaires compromis pour parvenir à la paix avec les Palestiniens, Netanyahou reprochant à Obama son manque d'empathie et de compréhension à l'égard de l'État juif, notamment s'agissant de ce que le Premier ministre israélien affirme percevoir comme des menaces mortelles, telle la bombe iranienne.

De fait, l'homme Obama aura été moins proche d'Israël que ses deux prédécesseurs immédiats, mais pas sa diplomatie ; après tout, jamais en six années d'exercice du pouvoir il n'a fait voter les États-Unis ou leurs alliés contre l'État hébreu à l'ONU, et il ne s'est même jamais abstenu ! Et puis dans quelques jours, les midterm verront probablement les Républicains reprendre le Sénat, une chambre déjà très favorable au gouvernement israélien. Toujours faible en fin de second mandat, un Président américain devient tout à fait "démonétisé" s'il ne dispose même plus du soutien du Congrès, et du Sénat en particulier. Netanyahou, excellent connaisseur de la vie politique US, le sait fort bien.

Le Premier ministre israélien, a refusé mercredi 29 octobre toute concession sur Jérusalem-Est, malgré des critiques américaines contre sa personne et sa politique de colonisation. Isolé, Benyamin Nétanyahou est-il capable de prises de position plus bellicistes contrairement à ce que croit la démocratie américaine ? Pour renforcer ses bases politiques ?

Tout dépend de ce que vous appelez "bellicistes". Si vous pensez à une offensive contre l'Iran, par exemple, je n'y crois pas un seul instant. Vous savez, autant des gouvernements hébreux ont pu mener des politiques intransigeantes sur le dossier palestinien, autant ils s'abstiennent de coups d'éclat sans en référer au grand allié américain.

Cela dit, ces dernières années, si la diplomatie israélienne a paru très suractive, très décomplexée - y compris  vis-à-vis de Washington - c'est sans doute le reflet d'une réussite économique et technologique considérable, et, parallèlement, d'une ouverture sur des puissances importantes sinon émergentes que sont la Russie et l'Inde.

Écoutez les discours de matamore du puissant Ministre russophone Avigdor Lieberman ; on a l'impression que demain, l'État juif pourrait substituer à l'alliance américaine une alliance russe ! Néanmoins, soyons clairs : même avec les coudées plus franches vis-à-vis de Washington que dans les années 1970-90, les Israéliens demeurent prudents et fidèles sur l'essentiel… Lire la suite.