- English
- Français
Par François Heilbronn, Président des Amis de l’Université de Tel-Aviv, publié dans L'Arche le 21 juin 2015
Le discriminé reste à la porte après avoir frappé et regarde l’autre entrer.
Il y a un mois, le discriminé a eu le visage d’un ami : Sefy Hendler, Professeur d’Histoire de l’Art à l’université de Tel-Aviv.
Sefy est un spécialiste reconnu de la Renaissance. Sefy a tant de qualités ; intelligent, cultivé, drôle, polyglotte, brillant Docteur de la Sorbonne, amoureux de la France, de l’Italie, de leurs patrimoines, de leurs messages et valeurs universelles. Oui, mais, il y a toujours un mais, Sefy est israélien.
Depuis deux ans, Sefy enseigne à ses étudiants la richesse exceptionnelle des musées français et parisiens. Il partage avec eux sa passion. Il leur montre des photos, des textes. Mais il a un rêve, il veut faire découvrir à ses meilleurs étudiants, la beauté extraordinaire de notre patrimoine. Il me convainc de l’aider avec les amis français de l’université de Tel-Aviv à financer ce voyage de découverte. Grâce à la générosité de nos amis, le voyage se prépare enfin, après deux ans de travail et d’effort.
Nous sommes le 11 mai 2015. Ce jour-là, j’accompagne Anne Hidalgo et le Conseil de Paris dans leur visite du campus de l’université de Tel-Aviv. Ils s’émerveillent de cette université pluridisciplinaire, de la vitalité de cette jeunesse ouverte sur le monde et se réjouissent des coopérations nombreuses avec les universités parisiennes. Au même moment, non loin de nous, Sefy dans son bureau de la faculté des Arts, envoie six demandes de réservation pour son groupe de 16 personnes auprès de musées et de monuments nationaux parisiens. A des milliers de kilomètres de là, dans les méandres de systèmes informatiques obscurs ou de planogrammes tenus par des fonctionnaires mal intentionnés, le couperet tombe. Le Louvre répond le jour même par un mail anonyme : « Nous ne pouvons donner suite à votre demande de réservation. Nous n’avons pas de disponibilité pour le créneau demandé ». Sefy aime la France, il y a vécu huit ans comme journaliste et étudiant. Mais il connaît aussi cette France où certains poisons mortifères gagnent depuis le début des années 2000. Intrigué par cette réponse fermée qui ne laisse aucun autre choix et connaissant bien le Louvre, il décide alors de réaliser un « testing ». Le lendemain, il envoie une demande au nom d’un collège « imaginaire » le « Abhu Dabi Art History College », pour les mêmes jours, mais à des heures différentes. Cette demande est immédiatement acceptée. Pour s’assurer de la différence de traitement, il réitère sa demande aux mêmes créneaux que Tel-Aviv au nom d’un faux « Instituto Storia del Arte » de Florence. Celle-ci est aussi immédiatement acceptée. Il refait alors une demande pour Tel-Aviv à d’autres créneaux qui elle sera acceptée, non pas immédiatement, mais 35 heures plus tard.
Le 15 mai, après 4 jours, il reçoit enfin la réponse de la Sainte-Chapelle. Cette réponse est négative « Désolé nous n’avons aucune disponibilité pour le jour demandé », celle-ci n’est pas anonyme, elle est signée d’un responsable des visites de groupe. Blessé, Le Docteur Hendler envoie un mail nominatif aux deux responsables des réservations pour leur demander la possibilité de visiter le lundi et non le dimanche, jour qui lui a été refusé. Ce mail restera sans réponse. Il essaie alors, pour le dimanche refusé un nouveau « testing » au nom de Marwan Al-Abdul du faux collège d’Abou Dabi. Cette demande est immédiatement acceptée et signée de la même personne qui avait dit non à l’université de Tel-Aviv. La voici :
« CONFIRMATION DE RESERVATION ART HISTORY COLLEGE / ABU DHABI / EMIRATS ARABES UNIS
Madame, Monsieur,
Nous vous remercions de l’intérêt que vous portez à nos monuments. Vous trouverez ci-dessous le détail de votre visite dans l’un ou plusieurs de nos monuments. »
Au même moment à l’université de Tel-Aviv, nous venons avec les amis français de clôturer un colloque de littérature, sur « Ecrire la guerre » avec les grands écrivains français et italiens, Erri de Luca, Ariane Bois et Valérie Zenatti. Nous sommes encore dans « la beauté des choses ». Sefy m’alerte alors de ces incidents.
Le discriminé est celui qui reste à la porte. Mais c’est aussi celui qui regarde incrédule et blessé les autres entrer. J’ai vu dans le regard intelligent et pétillant de mon ami cette blessure. Militant antiraciste depuis près de 40 ans, je me suis toujours battu contre la haine et l’injustice. La discrimination associe violemment les deux.
J’écris alors aux Présidents de ces deux institutions, ainsi qu’à Fleur Pellerin, ministre de la Culture qui avait visité avec François Hollande l’université de Tel-Aviv. Je leur décris les faits douloureux et je leur fournis pour preuve tous les mails reçus par le Professeur Hendler.
Le Président du Louvre réagit immédiatement. Il est choqué et diligente une enquête. Après trois jours, il me fait part des résultats, qui semblent s’orienter vers un défaut des systèmes informatiques automatiques de réponse. Je le remercie pour sa réactivité, et accepte ses explications, à condition toutefois que toute intervention humaine soit impossible.
Du côté de la Sainte-Chapelle qui dépend des Monuments Nationaux, la discrimination est patente. C’est la même personne qui dit froidement non aux Israéliens, ne répond pas au mail poli de relance du Professeur Hendler et s’empresse de répondre positivement à la demande du faux Abou Dabi. Le Président des Monuments Nationaux me contacte le jour de la réception de ma lettre et m’assure que la délégation du Professeur Hendler pourra visiter la Sainte-Chapelle en m’expliquant « qu’un créneau vient de se libérer pour le dimanche initialement demandé », ce à quoi je lui fais remarquer que « c’est évident, puisqu’il s’agit du créneau du faux Abou Dabi ». Je lui demande fermement de diligenter une enquête interne. Je recevrai le résultat de cette enquête, un mois plus tard le 15 juin, le jour de la parution de l’article de Libération qui révèle cette affaire au grand public. Les résultats de son enquête ont conclu à une succession d’erreurs et le Président Bélaval a écrit : « Si le CMN (Centre des Monuments Nationaux) reconnaît l’existence d’un dysfonctionnement dans le traitement de demandes successives effectuées auprès du service de la Sainte Chapelle, rien ne confirme à ce stade qu’il y ait eu une intention de discrimination envers les étudiants de l’université de Tel-Aviv, qui, comme tous les visiteurs israéliens, sont naturellement les bienvenus à la Sainte-Chapelle ainsi que dans l’ensemble des monuments nationaux. »
Peu importe le résultat de ces enquêtes internes, Jean-François Carenco, le Préfet de la Région Ile de France après étude des différents éléments matériels a jugé les faits suffisamment graves pour saisir le Parquet. Car cette affaire relève de la Justice… Lire l’intégralité.