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Par Alain Bauer, Professeur de Criminologie au Conservatoire National des Arts et Métiers, New York et Beijing, publié dans le Huffington Post le 24 mars 2015
Un quart de siècle après la première tentative de réglementer le Renseignement français, sur une initiative de Michel Rocard alors Premier ministre, et après la création de la Délégation parlementaire au Renseignement par Nicolas Sarkozy en 2007, un nouveau pas est franchi pour légiférer sur le sujet par la volonté de Manuel Valls et Jean-Jacques Urvoas, le Président de la commission des lois de l'Assemblée nationale.
Le projet, de très bonne qualité, indique que les services de Renseignement assurent la recherche, la collecte, l'exploitation et la mise à disposition du Gouvernement des renseignements relatifs aux enjeux géopolitiques et stratégiques ainsi qu'aux menaces et aux risques susceptibles d'affecter la vie de la nation. Ils contribuent à la connaissance et à l'anticipation de ces enjeux ainsi qu'à la prévention et à l'entrave de ces risques et menaces".
Le texte définit sept finalités pour lesquelles les services de Renseignement peuvent mettre en œuvre des techniques d'enquête en partie exceptionnelles :
- la Sécurité nationale (l'indépendance nationale, l'intégrité du territoire et la défense nationale, ainsi que la prévention de toute forme d'ingérence étrangère et des atteintes à la forme républicaine et à la stabilité des institutions) ;
- les intérêts essentiels de la politique étrangère et l'exécution des engagements européens et internationaux de la France ;
- les intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France ;
- la prévention du terrorisme ;
- la prévention de la reconstitution ou du maintien de groupement dissous ;
- la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ;
- la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique.
Six services spécialisés de Renseignement ont été recensés (DGSE, DPSD, DRM relevant du Ministère de la Défense, DGSI pour l'Intérieur, DNRED et TRACFIN pour Bercy) qui pourraient utiliser des dispositifs fortement intrusifs pour assurer leurs missions, de manière légale et contrôlée.
On ne reviendra pas ici sur le détail du projet, particulièrement détaillé et qui fera sans doute l'objet d'un débat nourri au parlement, mais plutôt sur ce qui pourrait encore faire l'objet d'améliorations techniques ou juridiques.
Dans le monde entier, il existe en effet une communauté du Renseignement qui connaît les mêmes symptômes que ceux qu'on peut constater en France. La première d'entre elles fut créée aux Etats Unis en décembre 1981 par un Ronald Reagan agacé de la concurrence picrocholine et infantile qui régnait dans le monde des espions. Elle regroupait 17 services (il en existerait plus de 1200 aux Etats-Unis) de divers Ministères (Défense, Sécurité, Justice, Energie.... ) sous l'autorité du directeur du Renseignement (qui s'installera en 2004 seulement).
En France, le Livre blanc de 2008 insistera sur la nécessaire transformation du Comité interministériel du Renseignement, né en 1962, mais largement sous-utilisé malgré le premier dépoussiérage voulu par Michel Rocard en 1990.
En mai 2011, un arrêté (puis un décret de 2014) du Premier ministre crée une communauté du Renseignement (dénommés services spécialisés) qui définit la "première division" du secteur : on y trouve des organes militaires (DGSE, DPSD, DRM), un service de Police (DCRI devenue depuis DGSI) et deux services de Bercy (DNRED et TRACFIN). Ce dernier étant d'ailleurs plus reconnu comme un service d'analyse dont l'inscription dans la liste doit tout autant à un besoin d'équilibrage de l'ensemble entre sévices civils et militaires que pour la qualité jugée remarquable de ses prestations.
Le Renseignement territorial n'en est pas (les RG ont disparu avec la naissance de la DCRI), la gendarmerie ignorée (elle a fait de gros efforts pour ne pas apparaître dans le secteur et paie encore le prix de sa frilosité malgré l'existence d'une sous-Direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) dont on se demande à juste titre s'il ne s'agit pas justement d'un .... Service de Renseignement), et on fait l'impasse sur le Renseignement pénitentiaire (bien qu'on rappelle à tout bout de champ que le sujet est essentiel). On oublie le rôle possible des polices municipales (elles sont pourtant de "proximité", et les opérateurs privés, notamment dans les transports ou les grandes surfaces, n'ont pas en général les yeux dans leurs poches).
Et si la création du coordinateur national du Renseignement apparaît comme un considérable progrès, la communauté des services spécialisés reste très étriquée, car on confond souvent collecte, analyse, interceptions, réaction. On regardera d'ailleurs avec intérêt les conditions du remplacement annoncé du tenant du titre, le préfet Zabulon (entre maintien d'un poste plein pour un responsable plus expérimenté ou fusion avec un autre, faute de combattant...).
La première marge de progression concerne donc la communauté elle-même qu'il conviendrait d'élargir tout en précisant ce qu'elle représente.
D'abord en considérant qu'il existe une communauté de la collecte qui doit intégrer Renseignement territorial policier, anticipation opérationnelle de la gendarmerie, agents des polices municipales, opérateurs de sécurité des grands opérateurs de services publics et privés (postes, transports...) qui peuvent devenir les yeux et les oreilles de la nation.
Certes, la liste des services spécialisés dans l'action ne devrait pas beaucoup évoluer. Mais entre une circonférence élargie et un centre encore réduit, il manque un espace essentiel et toujours très faible, celui de l'analyse. Des efforts de recrutement, de formation, de modernisation sont annoncés et pour certains engagés. Mais la logique globale n'est pas encore abordée.
Une multitude de dispositifs compilent allègrement, échangent encore peu, et utilisent le principe de précaution pour établir des listes de plus en plus fournies et de moins en moins triées, permettant de compléter l'usage des ceintures, des bretelles et des parachutes pour éviter le risque de la faute. Mais à force de noyer l'essentiel et l'accessoire, le système insiste surtout sur une demande de plus de moyens, arguant, comme souvent en pareil cas, que la fuite du cambrioleur était surtout due à l'absence de rénovation du commissariat.... Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas mieux de moyens (et peut-être même plus), mais surtout qu'il faudrait assumer et accélérer le processus de transformation engagé avec la création de la DCRI et sa transformation en DGSI.
Quelle que soit la formule permettant de réunir tous ceux qui défendent et protègent le pays pour élargir la collecte et mutualiser l'analyse dans un processus placé sous les autorités de la DGPN, de la DGSI et de la DGPN, il va falloir affirmer l'existence d'un Etat major du Renseignement, imposé par les circonstances et la volonté du Ministre de l'Intérieur, car s'il y a une guerre subie, il faudra bien qu'elle soit managée.... Lire l’intégralité.