Par Luc Ferry, ancien Ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche, publié dans le Figaro le 7 avril 2016
Le code cosmique, inventé par les Grecs, fixe des limites objectives à la liberté humaine en faisant de la cité idéale un calque de la nature.
Nos vies d'humains mortels sont infiniment fragiles et limitées, infiniment faciles aussi à détruire ou abîmer. Daech s'y employant avec énergie, la période que nous vivons est singulièrement plombée, l'atmosphère plus lourde que jamais. C'est l'occasion de réfléchir au fait que nos existences s'organisent autour de deux questions fondamentales et de trois grandes réponses. Les deux questions, sinon leurs réponses, sont au fond assez simples: comment pacifier les relations entre ces êtres égoïstes, paresseux et colériques, parfois aussi généreux, aimants et dévoués que sont les humains? C'est tout le problème éthico-politique.
La deuxième interrogation va plus loin, elle porte sur le sens de nos vies. En admettant même qu'on parvienne à les pacifier, à organiser les relations humaines de manière aussi harmonieuse que possible, le fait est que nous sommes marqués par une irrémédiable finitude, et cette réalité, qui n'est autre que celle de la mort, commence à tourmenter les petits humains très tôt, le plus souvent dès l'âge de 3 ou 4 ans, âge métaphysique par excellence, dès qu'ils commencent à comprendre qu'ils seront un jour définitivement séparés de ceux qu'ils aiment. Qu'est-ce qui peut les sauver de cette fatalité, qu'est ce qui peut rendre une vie bonne, réussie, malgré la mort?
Trois grands codes répondent d'un même mouvement à ces deux questions: le code cosmique, le code religieux et le code humaniste et laïque. Chacun d'eux essaie de résoudre le problème éthico-politique de la pacification des relations humaines dans la sphère publique, et celui, métaphysique, de la vie bonne, de la sagesse et du salut...
... Le code humaniste apparaît tardivement, dans l'Europe du XVIIIe siècle. Il se heurte d'emblée à une véritable énigme: comment fixer des règles de conduite éthico-politiques sans invoquer un principe transcendant, extérieur et supérieur à l'humanité, tel que le Cosmos ou la Divinité? Solution: ma liberté doit s'arrêter là où commence celle d'autrui. Pas besoin de Dieu ni du Cosmos, seulement d'une humanité qui accepte de s'autolimiter. Et dans ce cadre nouveau, je donnerai un sens à ma vie par l'histoire du progrès, quand je pourrai dire le jour de ma mort que j'ai apporté ma contribution à l'édifice humain, à la res publica. Voilà pourquoi la République prend soin, en retour, de graver les noms des «savants et bâtisseurs» dans la pierre, afin de les immortaliser.
Religion de salut terrestre, donc, religion de la nation et du progrès, de l'Histoire avec un grand «H» et de ses héros, mais qui accepte enfin la laïcité. Tels sont les trois codes, le dernier offrant l'avantage, à la différence des deux autres, de permettre la coexistence pacifique des idéologies les plus dangereuses, celles qui, en prétendant détenir la vérité absolue, s'en prennent toujours aux autres, à ceux qui en tiennent pour une autre vérité et qu'il faut exterminer d'urgence - catholiques contre protestants, protestants contre catholiques et islamistes contre le reste du monde. Si ce qui précède est juste, la conclusion est claire: tant que les États resteront des théocraties, aucune paix dans le monde ne sera possible...
Lire l'intégralité.