Tribune
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Publié le 25 Février 2015

Les nouveaux habits de l'antisémitisme

«Tout ceci dessine un paysage de l'antisémitisme éclaté, mais susceptible d'être hautement meurtrier»
 

Par Michel Wieviorka, écrivain, publié dans Ouest-France le 25 février 2015
La France s'apprête donc à renforcer son arsenal de lutte contre l'antisémitisme. Qui aurait imaginé, dans les années 1950 ou 1960, que nous en serions là ?
À l'époque, la compréhension du caractère hautement criminel de l'élimination des Juifs d'Europe par les nazis n'était guère contestée ; l'Eglise catholique, avec Vatican II, avait mis fin aux accusations faisant des Juifs un peuple déicide, donc méprisable. Et l'État d'Israël, avec les images héroïques de ses pionniers et de ses kibboutz, puis avec la victoire éclair de la Guerre des Six Jours, en 1967, bénéficiait dans l'ensemble d'une image positive.
Aujourd'hui, l'antisémitisme classique, celui qui anima le camp nationaliste et antidreyfusard dans la seconde moitié du XIXe siècle, se rencontre encore dans certains secteurs de l'extrême droite, en dépit des efforts de Marine Le Pen au sein de son parti. De même, il subsiste un vieil antisémitisme de gauche, qui assimile les Juifs à l'argent et au capitalisme, et qui voit dans Israël une puissance colonialiste. Mais le renouveau de la haine des Juifs se joue ailleurs.
D'abord au sein de populations issues de l'immigration arabo-musulmane. Avec deux types d'arguments, pas nécessairement contradictoires : les Juifs et Israël, confondus dans la même haine, sont accusés d'opprimer les Palestiniens d'une part, et, d'autre part, d'incarner l'Occident en guerre contre l'islam : c'est le choc des civilisations envisagé il y a une vingtaine d'années par le politologue américain Samuel Huntington.
Pas une opinion : un crime
L'antisémitisme touche ensuite une population limitée, parmi les noirs de France, à qui des idéologues expliquent - ce qui est totalement faux - que les Juifs ont joué un rôle décisif dans la traite négrière et qu'aujourd'hui, ils ne voudraient pas que l'on parle d'autres souffrances historiques que les leurs, la Shoah.
On l'observe enfin, de façon plus diffuse, dans une population beaucoup moins facile à délimiter. Celle qui s'abandonne à l'antisémitisme pour pouvoir mieux afficher son désir de vivre dans la culture nouvelle d'Internet, faite de liberté d'opinion, de communication instantanée et sans barrières : les Juifs seraient un obstacle à cette culture, surtout juvénile, parce qu'ils ne veulent pas que se diffusent certaines opinions - comme si nier Auschwitz était une simple opinion. Ceux qui apprécient le « comique » Dieudonné relèvent souvent de cet univers, dans lequel les théories du complot, y compris juif, trouvent toujours un large écho.
Tout ceci dessine un paysage de l'antisémitisme éclaté, mais susceptible d'être hautement meurtrier… Lire l’intégralité.