Mars 2015, je suis à Bruxelles pour présenter mon livre écrit sous le pseudo de Sefwoman, « Je suis juive mais je me soigne ». Au fond de la salle, 3 garçons se marrent. Je parle de ma grand-mère et de service 98 pièces au liseré doré, de son refus de me parler de l’Algérie, des plats typiques, je les vois acquiescer. A la fin de la présentation, ils ont tous les trois le livre en main. « La dédicace c’est pour qui ? », « Ismaël ».
Du plus loin que je me souvienne, il y a toujours eu des musulmans dans mon entourage. Ils étaient dans les conversations de mes grands-parents. Ils étaient nos voisins, nos commerçants, mes collègues à la Smerep, mes binômes en TD, mes voisins de bibliothèque. Moi juive, eux musulmans. Tous assumés conscients d’appartenir à deux mondes différents mais parfois si proches. Lors de nos diners, annuel, je revois M. parents nés au Maroc, père agent d’entretien, aujourd’hui Trader à Londres après 2 ans d’envoi de CV infructueux, nous imiter sa grand-mère qui a toujours vécu avec eux. Ses intonations, ses anecdotes résonnaient comme un lointain écho à mon histoire, ma famille. En 2000, tout bascule. L’équilibre fragile, la cordialité bienveillante voire l'indifférence se fissurent. Fin octobre, je suis à un diner. M, est là. Il ne parle que de ce que tout le monde appelle la deuxième Intifada. Je l’écoute gloser sur la visite d’Ariel Sharon sur le mont du Temple. Je tente de répondre. je parle des attentats-suicide, il me répond résistance. La conversation est vive. Il me regarde et me lance pointant son doigt vers moi « vous les juifs ».
On se dit qu’on ne se sépare pas « fâché » mais je le sais ce sera, avec eux, mon dernier dîner
Le reste de la tablée ne sort de sa léthargie que pour se lamenter sur les images à la télé du petit Mohamed Al-Dura. Pour la première fois de ma vie, au milieu d’eux, je me demande ce que je fous là. On se dit qu’on ne se sépare pas « fâché » mais je le sais ce sera, avec eux, mon dernier diner. J’ai revu M, à l’aéroport Charles-de-Gaulle, nous sommes en novembre 2001, Je m’envole pour New-York, défiguré un mois plus tôt, lui attend un vol pour Punta Cana. Quand on remet nos chaussures après la douane, il se plaint des multiples contrôles. Je lui réponds « la faute à qui ». Il baisse la tête, je sais que c'est facile mais je me dis qu’on est quitte. Depuis 2000, j’ai la sensation que le conflit israélo-palestinien - qui date de plus d’un demi-siècle - a empêché toutes tentatives de discussions avec les musulmans que j’ai croisés. Comme si finalement, plus rien ne pouvait nous rassembler et que nos échanges ne pouvaient se faire que sur le mode de l’affrontement verbal. J’en étais resté à ce constat d’échec quand Ismaël Saïdi m’a tendu un soir de mars 2015 mon livre en me disant « Pour Ismaël », nous avons parlé, beaucoup. De la radicalisation, de l’antisémitisme, de l’abandon des politiques, de la vie dans ce qu’on appelle les quartiers, de l’inculture terreau de la radicalisation, des frères Kouachi, de l’attentat contre l’Hyper Casher, de Latifah Ibn Ziaten, la maman d’Imad...
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