Tribune
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Publié le 5 Juin 2015

La réaction à la campagne BDS en France (dispositions légales et jurisprudence)

En France, la législation est très protectrice contre le boycott.

Par Pascal MARKOWICZ
Avocat à la Cour
Membre du Comité Directeur et Vice-Président de la Commission Internationale du CRIF
Président Exécutif du Comité Français de l'Association Internationale des Juristes et Avocats Juifs

 

A) Les dispositions législatives

En France, la législation est très protectrice contre le boycott, dont la première loi « anti boycottage » date du 7 juin 1977, et elle dispose que le boycott doit être considéré comme un acte discriminatoire de type économique :

Article 225-1 du Code Pénal : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine...de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de leur origine...de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales ».

Article 225-2 du Code Pénal : «La discrimination définie à l'article 225-1 commise à l'égard d'une personne physique ou morale, est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 € d'amende lorsqu'elle consiste :

1° A refuser la fourniture d'un bien ou d'un service,

2° A entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque...

Lorsque le refus discriminatoire prévu au 1° est commis dans un lieu accueillant du public ou aux fins d'en interdire l'accès, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75.000 € d'amende ». L'appel au boycott, quel que soit son support, est également une infraction :

Article 24 al.8 de la loi du 30 décembre 2004 modifiant la loi du 29 juillet 1881 :

« Ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ou de l'une de ces deux peines seulement».

L'article 23 énonce les supports : «soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique ».

Cela permet aux tribunaux de condamner tous les appels au boycott y compris la diffusion des films sur internet, les affichettes ou le port de vêtement dont l'inscription est « Boycott Israël ».

6) La jurisprudence

La jurisprudence en matière de boycott n'est intervenue que très récemment, depuis 2003, et est très peu nombreuse à ce jour.

L'affaire la plus célèbre et la plus importante est celle du Maire PCF de Seclin, Jean-Claude Willem, qui avait décidé de boycotter les produits alimentaires israéliens des cantines de sa ville, pour protester contre la politique du gouvernement d'Ariel Sharon envers les palestiniens, en invoquant sa liberté d'expression.

Le Tribunal Correctionnel lui avait donné raison mais la Cour d'Appel et la Cour de Cassation ont fait valoir qu'il s'agissait d'une discrimination selon les articles précités :

« Attendu que, pour infirmer le jugement qui avait relaxé le prévenu, l'arrêt attaqué énonce notamment que Jean-Claude X..., en annonçant son intention de demander aux services de restauration de la commune de ne plus acheter de produits en provenance de l'Etat d'Israël, a incité ceux-ci à tenir compte de l'origine de ces produits et, par suite, à entraver l'exercice de l'activité économique des producteurs israéliens, cet appel au boycott étant fait en raison de leur appartenance à la nation israélienne ;

Attendu qu'en cet état, et dès lors que la diffusion sur le site internet de la commune de la décision prise par le maire de boycotter les produits israéliens, accompagnée d'un commentaire militant, était en multipliant les destinataires du message, de nature à provoquer des comportements discriminatoires, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli » (C.Cass crim 28/09/2004, n°03-87450, WILLEM c/MP). Mécontent de cette décision, M. WILLEM a saisi la Cour Européenne des Droits de l'Homme, qui le 16 juillet 2009, a rendu l'arrêt de principe suivant, lequel confirme le comportement discriminatoire du Maire :

"35. A l'instar de la juridiction d'appel et de la Cour de Cassation, la Cour (Européenne des Droits de l'Homme) constate que le requérant n'a pas été condamné pour ses opinions politiques mais pour une incitation à un acte discriminatoire...Le requérant ne s'est pas contenté de dénoncer la politique menée à l'époque par Ariel Sharon, mais il est allé plus loin, en annonçant un boycott sur les produits alimentaires israéliens.

38. La Cour...estime que la justification du boycott...correspondait à une
démarche discriminatoire et, de ce fait, condamnable. Au delà de ses opinions
politiques, pour lesquelles il n'a pas été poursuivi ni sanctionné, et qui entrent dans
le champ de sa liberté d'expression, le requérant a appelé les services
municipaux à un acte positif de discrimination, refus explicite et revendiqué
d'entretenir des relations commerciales avec des producteurs ressortissants
de la nation israélienne.

39. La Cour note encore que dans ses réquisitions devant les juridictions internes, le
procureur de la République a fait valoir que le maire ne pouvait se substituer aux
autorités gouvernementales pour ordonner un boycott de produits provenant
d'une nation étrangère" (CEDH 16/07/2009, n°10883/05).

Cet arrêt est le plus important en la matière car il émane de la plus haute juridiction en Europe.

En 2007, le premier arrêt concernant une entreprise commerciale israélienne victime de boycott en France a été rendu en confirmant l'illégalité de la discrimination :

"Attendu que constitue une discrimination punissable, au sens des articles 225-2,2° et 225-1 du Code Pénal, le fait d'entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque en opérant une distinction entre les personnes notamment en raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une nation déterminée" (C.Cass crim 18/12/2007, n°06-82245, LICRA c/ X, CCI Limoges & autres).

Mais le premier procès concernant une activiste personne physique qui participait à une action de boycott dans un supermarché a eu lieu le 10 février 2010, au cours duquel Mme KHIMOUN-ARNAUD, militante de la Ligue des Droits de l'Homme, a été reconnue coupable de discrimination, et a été condamnée à payer une amende de 1.000 € ainsi que 500 € au titre des frais d'Avocats et 1 € de dommage intérêts à chaque parties civiles :

« En apposant deux étiquettes - notamment une sur une bouteille de jus de fruits en provenance d'Israël - portant entre autres les mentions «Boycott Apartheid Israël», Madame ARNAUD a manifestement commis le délit de provocation à la discrimination à l'égard d'Israël.

L'apposition dans un supermarché d'une étiquette autocollante constitue à l'évidence un des moyens prévus à l'article 23 de la loi de 1881 auquel renvoie l'article 24 s'agissant d'un écrit ou tout autre support de l'écrit exposé dans un lieu public.

La prévenue évoque le procédé qu'elle emploie comme une information. Le texte même des étiquettes litigieuses contient un appel au boycott et mentionne expressément à l'impératif présent - utilisé en conjugaison française pour donner des ordres - « n'achetez pas les produits d'Israël» ce qui constitue à tout le moins une forte incitation qui devient une véritable provocation lorsque le message s'illustre d'un dessin comportant des tâches ou des gouttes de sang comme dans deux des trois modèles d'étiquettes saisies.

Le boycott en tant que « cessation volontaire d'achat d'un produit ou de toute relation avec un pays» associé au mot «apartheid» défini comme un « régime de discrimination systématique », ne peut qu'évoquer la notion de discrimination visée par l'article 24 al.8.

Mme ARNAUD indique elle-même que ce boycott vise directement Israël en tant que nation ce que confirme d'ailleurs la lettre des documents litigieux.

Dans ces conditions, les éléments constitutifs du délit sont incontestablement caractérisés, l'intention ne faisant par ailleurs pas de doute dans la mesure où Mme ARNAUD revendique son action en évoquant sa solidarité avec le peuple palestinien » (TGI 5ème Ch Correc BORDEAUX, 10/02/2010). Dans son arrêt confirmatif rendu le 22 octobre 2010, actuellement frappé d'un pourvoi à la demande de Mme ARNAUD, la Cour d’appel de Bordeaux a précisé:

"La prévenue a reconnu à l'audience, comme au moment de son interpellation, la matérialité des faits qui lui étaient reprochés, persistant même, à les revendiquer-Or, en apposant dans un lieu public, en l'espèce le magasin Carrefour, une affichette sur une bouteille de jus de fruit en provenance d'Israël portant les mentions "campagne boycott APARTHEID ISRAËL"..."la société civile palestinienne nous appelle à un boycott de tous les produits israéliens tant qu'Israël ne respectera pas le droit international". "Vous aussi rejoignez cette campagne...", en invitant les clients du magasin à boycotter, tous les produits en provenance d'Israël..., madame Arnaud a incité, appelé à entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque, en opérant une distinction entre les producteurs, fournisseurs de ces produits, en raison de leur appartenance ou de leur non appartenance à une nation déterminée, en l'espèce Israël, et ce, conformément à la jurisprudence de la Chambre Criminelle et de la Cour Européenne des droits de l'homme...'.

Il s'agit du premier arrêt d'une Cour d'Appel concernant une activiste d'une action de boycott dans un supermarché, qui a été rendu en France.

La Cour de Cassation a confirmé cet arrêt le 22 mai 2012 en précisant que :

« Pour confirmer le jugement entrepris, l'arrêt retient qu'en invitant les clients du magasin Carrefour à boycotter tous les produits venant d'Israël, Mme ARNAUD a incité à entraver l'exercice normal d'une activité économique et visé de façon discriminatoire les producteurs et fournisseurs de ces produits en raison de leur appartenance à une nation déterminée, en l'espèce Israël.

En prononçant ainsi, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction...la Cour d'Appel a justifié sa décision» (C.Cass 22/05/2012 n°10-88.315 F-P+B ARNAUD/CCFI, ASF).

Il s'agit donc d'un arrêt de principe qui conforte la jurisprudence établie.

Deux affaires ont donné lieu à un « rappel à la loi » par le Procureur de la République de Chartres et d'Avignon.

Le procès de Mme Zemor, Présidente de l'association pro-palestinienne CAPJPO-EUROPALESTINE relaxée en première instance par le Tribunal Correctionnel de Paris pour des faits de publication sur le site de son organisation d'une vidéo relatant une action de boycott dans un supermarché, a été partiellement infirmé en appel. En effet, si la Cour d'Appel de Paris dans son arrêt du 24 mai 2012, a confirmé la relaxe de Mme Zemor pour la publication sur internet de la vidéo litigieuse, qui ne caractérise pas, selon la Cour, « le délit de provocation à la discrimination, à la haine ou la violence contre un groupe de personnes à raison de leur appartenance à une nation, en l'espèce Israël », elle a toutefois condamné la prévenue à une amende de 1.000 € assortie du sursis au motif qu'un extrait de cette vidéo montrait Mahmoud Suleiman, maire du village palestinien d'Al-Masara, crier aux clients du magasin qu'il fallait boycotter Israël et arrêter d'acheter des produits israéliens car : "En achetant ces produits, vous soutenez l'armée israélienne à tuer les enfants des Palestiniens; donc vous devez boycotter Israël. Si vous soutenez la paix et la justice, vous devez boycotter ces produits; vous devez arrêter d'acheter les produits israéliens chacun équivaut à une balle qui va tuer un enfant en Palestine donc boycotter Israël, boycotter Israël, boycotter Israël", ce qui correspond à « une provocation à la haine ou à la violence à l'égard d'un groupe de personnes, les producteurs israéliens, à raison de leur appartenance à une nation déterminée, l'Etat d'Israël» (CA Paris Pôle 2 Ch 7, 24/05/2012 ZEMOR/M.P, BNVCA, ASF,AFI, CCFI).

Les parties civiles ont formé un pourvoi en cassation à rencontre de cet arrêt, eu égard à cette contrariété de jugement mais la Cour n'a jugé que l'irrecevabilité de la CCFI.

Il est intéressant de relever que Mohamed Merah, le « tueur au scooter » qui a notamment assassiné trois enfants et un professeur juifs devant l'école Ozar Hatorah de Toulouse et blessé un adolescent de la même école, a voulu « venger les enfants morts en Palestine ». La dialectique précitée des boycotteurs a-t-elle pu influencer ce tueur antisémite ?

Douze boycotteurs de la région de Mulhouse, qui avaient réalisé deux actions de boycott dans des supermarchés locaux, relaxés en première instance ont été condamnés par arrêt de la Cour d'Appel de Colmar rendu le 27 novembre 2013.

En 2010, le procès qui a eu lieu à Pontoise concernant une Sénatrice du parti politique Les Verts, Mme BOUMEDIENE-THIERY, pro-palestinienne connue pour être une partisane radicale du boycott, qui a notamment invité Ali Fayad, Membre du Bureau Politique du Hezbollah à Paris en Décembre 2009 pour un colloque sur « Gaza un an après l'opération Plomb Durci », a été annulé pour une faute de procédure du Parquet.

Notons que Mme BOUMEDIENE-THIERY avait soutenue Mme KHIMOUN-ARNAUD lors de son procès, ce qui est scandaleux car une élue de la République ne doit pas appeler à violer la loi.

Le 7 janvier 2011, le Tribunal Correctionnel de Créteil a rendu le premier jugement concernant la diffusion de vidéos sur internet d'actions de boycott dans des supermarchés, et son auteur, M. Ulrich BARBET, un ancien sympathisant de l'association CAPJPO-EUROPALESTINE, a été condamné à une amende de 500 € outre le versement de dommages-intérêts aux associations qui s'étaient constituées parties civiles (Chambre de Commerce France-Israël, BNVCA, Avocats Sans Frontières). La Cour d'Appel de Paris a toutefois annulé cette décision pour un problème de procédure. Il est important de noter qu'une juridiction d'appel s'est d'ores et déjà prononcé de façon définitive sur l'interdiction de la diffusion sur internet de vidéos relatant une action de boycott : le 10 février 2012, la Cour d'appel de Limoges a confirmé le jugement rendu le 21 octobre 2011 par le Tribunal Correctionnel de Limoges à rencontre de M. Mohamed ACHAMLANE (le porte-parole de l'organisation islamiste radicale Forsane Alizza qui prône l'instauration de la Charia et du Califat en France, dissoute le 29 février 2012 sur proposition du Ministre de l'Intérieur) qui l'avait condamné à une peine d'emprisonnement de quatre mois avec sursis et 2000 € d'amende, outre le versement de dommages-intérêts aux parties civiles (CCFI, BNVCA, Avocats Sans Frontières, Alliance France-Israël, MRAP 87, SOS RACISME 87) pour avoir monté et mise en ligne une vidéo relatant une action de boycott dans un restaurant Mac Donald's de Limoges ci-après développée.

Aucun pourvoi n'ayant été formé à rencontre de cet arrêt, il est devenu ainsi définitif et constitue le premier arrêt d'une Cour d'Appel sur la provocation à la discrimination par mise en ligne d'une vidéo relatant un appel au boycott.

Sur la vidéo litigieuse montée et mise en ligne par Mohamed ACHAMLANE, l'antisémitisme était bien présent par une allusion au caractère juif du président supposé de Mac Donald's, Jack M. GREENBERG.

Qui pourra encore soutenir que l'antisionisme n'est pas une forme actuelle d'antisémitisme ?

Mohamed ACHAMLANE, qui s'était d'ailleurs illustré au cours de cette opération de boycott en fournissant aux boycotteurs le tract « ACHETER PEUT TUER - BOYCOTT ISRAËL », avait avoué alimenter le site internet du BDS France.

On relèvera également le premier jugement définitif intervenu en matière d'action d'appel au boycott. Le 20 septembre 2011, le Tribunal Correctionnel de Limoges a condamné Boumediene NEBAH à une amende de 1500 € d'amende et Nassir MOKHTARI à une amende de 800 € d'amende outre le versement de dommages-intérêts aux parties civiles (CCFI, BNVCA, Avocats Sans Frontières, Alliance France-Israël, MRAP 87, SOS RACISME 87), pour avoir participé à l'action d'appel au boycott du 12 juin 2010 du restaurant Mac Donald's de Limoges sus-visé, au motif que cette enseigne aurait des liens avec Israël, dont les bénéfices serviraient à tuer des enfants palestiniens en alimentant l'achat d'armes et de munitions par l'armée israélienne.

Au mois de Mars 2012, un procès similaire à celui de Créteil a eu lieu à Bobigny, mais avec en plus le délit de port de t-shirts mentionnant l'inscription « Boycott Israël ». Parmi les prévenus, Monsieur BARBET précité, son épouse et Mme ZEMOR, Présidente du CAPJPO-EUROPALESTINE ont tenté, une fois de plus, de démontrer que l'appel au boycott était une action « pacifique, citoyenne et non violente ». Le jugement prononcé le 3 mai 2012 a relaxé les prévenus en se calquant sur le jugement Zemor de Paris, alors que le Défenseur des Droits avait soutenu notre argumentation. La Cour d'Appel de Paris a relaxé les prévenus pour un vice de procédure et l'affaire n'a donc pas été jugée au fond.