Tribune
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Publié le 15 Avril 2015

Enseigner le fait religieux à l'école

Le fait religieux – et c’est une spécificité française – ne fait l’objet d’aucune discipline scolaire…
 

Par Claire Berlone, publié dans Réforme le 14 avril 2015
À de rares exceptions près, l’enseignement du fait religieux se heurte au manque de formation et de temps, au peu d’enthousiasme des élèves et des enseignants et à une approche biaisée de la laïcité.
Les attentats de Charlie Hebdo – suivis par ceux de Copenhague et de Tunis – ont rappelé que le consensus du vivre ensemble était une construction permanente. En France, l’école est considérée comme l’un des principaux maîtres d’œuvre de ce chantier, notamment au travers de l’enseignement laïque du fait religieux. Ce qui pose, au-delà de la question des moyens, celles de la formation des professeurs et du contenu des enseignements.
L’Institut européen en sciences des religions (IESR) a été placé en première ligne du plan de formation des 1 000 formateurs proposé, entre autres mesures postCharlie, par la Ministre de l’Éducation. Sa Directrice, Isabelle Saint-Martin, part cependant d’un état des lieux lucide : « La formation initiale en ce qui concerne les faits religieux est insuffisante. Quant à la formation continue, elle est trop faible rapportée à la masse d’enseignants. Il y a un effort énorme à fournir. Or, cela demande de l’argent. » En conséquence, il est presque impossible de mesurer dans quelle proportion les enseignants du public sont formés à aborder le sujet en classe.
Le rapport Debray
Le rapport Debray sur « L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque », publié en 2002, proposait un module systématique pour les professeurs du premier et du second degré. Cela n’a jamais été mis en place jusqu’au bout, si bien que la formation des enseignants reste pour le moins inégale et difficile à évaluer. Une lacune que la réforme des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) n’a pas contribué à combler. Désormais, un « renforcement » de la formation des enseignants figure parmi les mesures annoncées par Najat Vallaud-Belkacem. « Renforcer, cela signifie que nous ne partons pas de rien », insiste Isabelle Saint-Martin, qui rappelle que le rapport Debray a tout de même donné une première impulsion. « C’est une marque de confiance et de respect envers le corps enseignant que de considérer que la solution n’est pas sécuritaire, mais passe d’abord par la mobilisation de l’école », ajoute-t-elle.
Pour corser la situation, le fait religieux – et c’est une spécificité française – ne fait l’objet d’aucune discipline. Il est abordé au collège et au lycée de manière transversale, notamment en cours d’histoire et de français et, depuis deux ans, d’histoire des arts au niveau du brevet. Un choix perçu par la plupart des professeurs comme la garantie de ne pas laisser la religion entrer dans l’école telle un cheval de Troie. Est-ce la panacée pour autant ? Sans doute pas, d’autres obstacles surgissant en chemin.
Des programmes ultrachargés, variant au gré des réformes, et la difficulté des professeurs à cerner les enjeux avec justesse constituent autant de freins à l’enseignement du fait religieux à l’école. Derrière les témoignages recueillis se profile cependant le spectre de raisons plus profondes. Face aux réticences croissantes des familles, élèves comme parents, la mollesse du soutien institutionnel ne rassure pas les professeurs, qui se retrouvent ainsi une grenade dégoupillée entre les mains. Combien sont-ils à renoncer à aborder le fait religieux avec leur classe ?
Dans le privé
La vie difficile de cette enseignante de primaire dans une ZEP de Nîmes, où le public est, en très forte majorité, musulman, l’illustre. En 2008, des ateliers permettant d’aborder fait religieux et laïcité avaient été organisés avec succès, mais aucun collègue n’a voulu poursuivre cette activité chronophage, avec à la clé le risque de se heurter à de pénibles résistances. Devant le nombre d’incidents – une petite fille refuse de poser pour la photo de classe, des parents envoient leur fils en sortie scolaire, mais pas leur fille... –, cette jeune enseignante dit gérer le « fait religieux » au cas par cas, en comptant sur la relation personnelle établie avec les familles. On déplorera que l’équipe pédagogique de l’établissement ait refusé de nous rencontrer au motif qu’un établissement laïque ne pouvait recevoir un journal protestant. Mésinterprétation de la laïcité hélas courante !
De rares initiatives éclairent le tableau, à l’image des ateliers conduits par Céline Spery dans un collège rural aisé du Rhône. Cette dynamique professeure de Français a choisi de faire réfléchir ses élèves sur la laïcité, la caricature, la défense d’une cause... « Les jeunes deviennent acteurs. Il y a de l’émulation, de l’enthousiasme dans la recherche et le travail en autonomie », se réjouit-elle… Lire l’intégralité.