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Dans un chapeau introductif, Le Monde précise que ce que l'écrivain a vu "évoque à ses yeux les bantoustans d'Afrique du Sud au temps de la discrimination raciale". Le ton est donné même si le récit est saisissant. Nul doute que, pour celui qui vit loin de la région et ne subit pas les affres quotidiennes d'un conflit qui atteint à l'heure actuelle son presque paroxysme, le bruit des avions israéliens et l'avancée des chars de Tsahal peuvent choquer. De la même manière, nul doute que les souffrances qu'endure la population palestinienne dans sa quotidienneté peuvent toucher.
Mais toute significative que soit la situation décrite, François Maspero ne s'est rendu que dans les territoires palestiniens et la situation dépeinte n'est guère spécifique aux seuls territoires palestiniens. Il eût été tout aussi significatif et intéressant que François Maspero daigne se rendre en Israël et veuille évoquer - ne fût-ce qu'évoquer - ce que les Israéliens subissent également.
Certes, les rues de Tel-Aviv ou de Haïfa n'ont pas le même aspect ; certes, Israël affiche par contraste sa force militaire. Pourtant, il n'est pas une ville israélienne qui n'ait été ces dernières années, mois, semaines ou jours, la cible d'attentats aveugles et sanglants. Il n'est pas un lieu où ne résonne en écho le bruit assourdissant de la voiture piégée ou du kamikaze fou et qui n'en porte les stigmates. Il n'est pas une école, un collège ou un lycée qui ne soit devenu un blockhaus, et des parents ou des enseignants qui ne s'inquiètent pour leurs enfants et élèves. Il n'est pas une station de bus où serait absente l'angoisse des usagers des transports publics qui regardent ostensiblement autour d'eux de crainte qu'un passager ne se fasse sauter ou qu'un colis suspect n'explose. Il n'est pas un grand magasin ou un centre commercial où vous ne soyez contrôlé de peur qu'un attentat ne soit commis, pas une rue qui ne soit protégée, pas un carrefour qui ne soit surveillé, pas un lieu qui ne soit soumis à un contrôle strict qui paralyse aussi la vie quotidienne et use les habitants de ce pays.
Il n'est pas une famille non plus qui n'ait perdu lors des cinq guerres qui ont jalonné l'histoire de ce pays, l'un de ses membres. Pas une famille qui ne compte une ou plusieurs personnes à avoir été blessées ou à avoir perdu la vie lors d'attentats sanglants.
Là aussi, si François Maspero comptabilise le nombre de blessés et de morts palestiniens, il eût été décent d'évoquer la souffrance des Israéliens. La vision manichéenne l'emporte pourtant.
Il est trop simple de ne considérer que les seules souffrances palestiniennes pour décréter que les Israéliens se comportent en "nouveaux barbares", qu'ils agissent même en connaissance de cause ou en vertu d'une indifférence qui leur serait naturelle. A moins qu'Israël ait voulu ériger des bantoustans aux seules fins de légitimer une politique délibérée de ségrégation raciale : l'apartheid !
Apartheid : le mot blesse, évidemment. L'allusion placardée dans le chapeau du Monde, le titre de l'article frappent, choquent. Nul ne semble pourtant s'être posé la moindre question. L'article en l'état et son titre sont publiés et annoncés en première page. Naïvement, les signataires du présent point de vue - qui estiment que la politique israélienne comme celle de tout autre Etat peut être soumise à la critique - pensaient cependant que de telles allusions seraient délibérément écartées, tant elles faussent le débat, jettent l'anathème, font injure à l'humanité et procèdent de l'idéologie.
Car de quoi parlons-nous en réalité ? De territoires palestiniens sans continuité territoriale ou d'apartheid ? Nous savons qu'avec les accords d'Oslo, les territoires ont été répartis en 3 zones. Les zones dites A (sous administration directe de l'Autorité palestinienne) et B (administrées par les Palestiniens, mais restant sous contrôle israélien) jouissent d'un statut intérimaire qui vise à devenir définitif.
Faut-il rappeler que lors des négociations qui se sont tenues à Camp David sous l'égide du président Bill Clinton, puis à Taba, le tracé des frontières fut débattu par les négociateurs ? Les Israéliens proposèrent aux Palestiniens la presque totalité des territoires revendiqués. Pourquoi Arafat n'a-t-il pas voulu se saisir de cette opportunité et mettre un terme au conflit ? Les Palestiniens ont des droits et les Israéliens en conviennent puisque les sondages révèlent qu'une majorité d'entre eux approuvent l'idée même de la création d'un Etat palestinien. Si cet Etat voyait le jour, Israël serait le premier Etat au monde à le reconnaître.
De quoi parlons-nous en réalité ? D'apartheid ou d'état de guerre ? Est-ce qu'un Etat au monde - la France par exemple - accepterait que son territoire subisse le terrorisme, que sa population soit mise en danger ? Quel Etat au monde accepterait que sa capitale soit visée ? Lorsqu'un kamikaze menace de se faire sauter, les forces de l'ordre doivent-elles laisser faire et se contenter de compter le nombre de victimes ? Lorsque des soldats pénètrent dans un village ou que le bouclage des territoires devient effectif, est-ce pour créer un imaginaire bantoustan ou traquer les terroristes qui s'y camouflent, trouver des armes et se substituer à une Autorité palestinienne trop souvent inerte en la matière ou qui instrumentalise le terrorisme ? Lorsque les Israéliens prennent des routes de contournement, est-ce par racisme ou pour se protéger de caillasses, tirs et attentats ?
Certes la réalité sur le terrain est cruelle, mais cette situation est due à la guerre qui s'y déroule.
Pourquoi faut-il que François Maspero utilise des termes blessants pour légitimer une cause pour laquelle il éprouve de la sympathie ? Nous rappelons que les pressions qui ont été faites par une multitude d'organisations non gouvernementales africaines et arabes lors de la conférence mondiale sur le racisme qui s'est tenue à Durban, les insupportables manipulations et dérives antisémites qui ont culminé dans un paroxysme inouï, auraient dû marquer les consciences. Elles visaient à disqualifier l'Etat d'Israël, à le mettre au ban des nations, à lui dénuer toute légitimité et droit d'exister sous prétexte qu'il pratiquerait l'apartheid et pis encore - ou plus pitoyable encore - qu'un génocide serait commis contre le peuple palestinien.
Dans ce tourbillon, ce déchaînement intolérable d'invectives proférées par Yasser Arafat, Fidel Castro, Joseph Kabila ou Abdelaziz Bouteflika - qui sont tout sauf des modèles de démocratie - toute logique s'évanouit, tant les passions l'emportent, tant la haine se répand. Les mots sont totalement vidés de leur sens, les références historiques sont délibérément gommées, viciées, falsifiées. Là encore, un seuil de violence insupportable est franchi.
Quel est le but recherché ? Salir Israël, lui jeter l'opprobre, le donner en pâture, vilipender et outrager le monde juif ? Il est étonnant qu'en France également tout un courant se prête - et avec quelle délectation - à ce jeu pervers qui consiste à délégitimer Israël. Comme une revanche de l'histoire dans le pays même (la France) ou l'idée de fonder un Etat juif fut conçue au moment ou l'antisémitisme se donnait libre cours pendant l'affaire Dreyfus.
La tentative de stigmatiser Israël à Durban a été rejetée par la communauté internationale. Elle ne saurait réussir à Durban-sur-Seine.
Signataires :
Raphaël Draï, professeur en science politique à l'université Aix-Marseille III.
Patrick Gaubert, président de la Licra.
Alain Jakubowicz, avocat.
Serge Klarsfeld,avocat.
Marc Knobel, chercheur au centre Simon Wiesenthal, à Paris.
Jacques Leyris, médecin.
Franklin Rausky, maître de conférences en psychologie clinique à l'université louis-pasteur de Strasbourg.
Jacques Tarnero, chercheur associé au CNRS.
Robert Redeker, professeur de philosophie au lycée Pierre-Paul-Riquet, à Saint-Orens (Haute-Garonne), membre du comité de la rédaction de la revue "les temps modernes".
Richard Sebban, avocat.
Shmuel Trigano, professeur de sociologie à l'université Paris X - Nanterre.