Tribune
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Publié le 11 Décembre 2014

Deux mille ans de haine aux mille et un visages

Par Bernadette Sauvaget, publié dans Libération le 11 décembre 2014

Des premiers Chrétiens à la Shoah, les Juifs ont toujours été objets de vindicte.

De l’antijudaïsme religieux à l’antisémitisme contemporain, la haine des Juifs a changé de forme et de visage au fil des siècles. C’est avec l’émergence du christianisme, pourtant issu du judaïsme, que se construisent des préjugés conduisant jusqu’à la Shoah.

L’antijudaïsme chrétien se fonde sur deux grands thèmes : les Juifs sont responsables de la mort de Jésus (le peuple juif est un peuple déicide) et les Juifs refusent de se convertir à la «vraie foi». En islam, dès les premiers siècles, il existe aussi un antijudaïsme religieux. Avec le christianisme, l’islam partage cette vision des Juifs qui refusent de se convertir. Quand le prophète Mahomet prêche à Médine, sa nouvelle religion, il a l’espoir de convertir les tribus juives qui y vivent. Sans succès et les affrontements seront sanglants. Neuf cents ans plus tard, dans le christianisme, le fondateur du protestantisme, Martin Luther, a lui aussi cet espoir d’amener les Juifs à une foi chrétienne réformée. Son échec le fera sombrer dans un antijudaïsme virulent.

Dès le Moyen Âge, sur ce fond d’antijudaïsme, se propagent d’autres thèmes récurrents dans l’antisémitisme contemporain. Parmi les plus répandus figurent les meurtres rituels d’enfants, le goût immodéré de l’argent, le pouvoir maléfique et occulte des Juifs, réputés responsables des épidémies de pestes ou des catastrophes naturelles…

«Etrangeté». Au XIXe siècle, la haine des Juifs prend un nouveau visage. De l’antijudaïsme d’essence religieuse, on passe à l’antisémitisme, fondé sur la théorie des races et la prétendue infériorité des «sémites» (Arabes et Juifs réunis) face à la «supériorité des aryens», matrice des folies meurtrières du nazisme. Peu à peu, l’antisémitisme va supplanter l’antijudaïsme religieux, assimilant au passage certaines de ses redoutables thématiques comme «l’étrangeté» du Juif, éternellement en marge de la société et non assimilable, construit sur l’idée que les Juifs refusent de se convertir. «L’antijudaïsme religieux a aujourd’hui quasiment disparu», estime l’historien Michel Wieviorka (1). Cependant, il subsiste quand même, surtout dans les milieux intégristes catholiques et reste vivace aussi dans le christianisme orthodoxe russe. Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les Eglises Chrétiennes, sous le choc de la Shoah, ont repensé leur vision du judaïsme.

Dès la fin des années 40, les Eglises allemandes protestantes font repentance pour leur comportement pendant le nazisme. Dans le catholicisme, le concile Vatican II, au début des années 60, amorce un changement radical, mettant un terme à «l’enseignement du mépris», dénoncé par l’historien Jules Isaac, c’est-à-dire à la culture religieuse catholique favorisant la haine des Juifs. Porté par le renouvellement des études bibliques, le christianisme redécouvre aussi ses racines juives et la figure juive de son fondateur.

Le pontificat de Jean Paul II achève ce travail et formalise le rapprochement judéo-catholique. Le Polonais Wojtyla est le premier pape à se rendre dans une synagogue, celle de Rome le 13 avril 1986. A l’occasion de l’an 2000, l’Eglise catholique fait officiellement repentance pour des siècles d’antijudaïsme. Moins spectaculaire, mais fondamentale, une initiative de Jean Paul II change radicalement la manière qu’a l’Eglise catholique de regarder le judaïsme : il met un terme à la théologie de la substitution, celle qui considérait que l’Eglise catholique était le nouvel Israël, c’est-à-dire qu’elle remplaçait les Juifs comme peuple élu… Lire la suite.

(1) Auteur, entre autres, d’un remarquable petit ouvrage : «l’Antisémitisme expliqué aux jeunes», Seuil, 2014.