- English
- Français
Le Figaro : Quel jugement portez-vous sur cet été tragique où nous avons vu apparaître l'État islamique et, comme en écho à la mort de Daniel Pearl, la décapitation filmée de deux journalistes américains?
Bernard-Henri Lévy : J'ai beaucoup réfléchi, à force, à ces décapitations atroces. Cette façon de vider un homme de son sang pour le vider de son humanité. Cette façon, aussi, de nous obliger à voir ce que nous ne voulons et ne pouvons pas voir - mais qui, eux, les fait jouir et va leur permettre de recruter. Freud distingue la peur (menace précise, identifiée), l'angoisse (menace identifiée, mais diffuse) et l'effroi (menace inédite, indéchiffrable). Eh bien ce sentiment d'effroi dont les Grecs faisaient le ressort de la Tragédie et qui nous avait déjà saisis le 11 septembre, le voilà qui revient face au drapeau noir du califat et à cette nouvelle arme de guerre et de propagande. Un ennemi surpuissant, d'une sauvagerie sans limites et face auquel nous nous trouvons démunis: voilà ce qui est apparu et voilà ce à quoi, dans cette pièce, je tente de me confronter.
Pourquoi l'Europe tarde à réagir?
Parce qu'elle est saisie par cet effroi et qu'elle en est pétrifiée. Mais il y a une autre raison qui tient à ce que mon personnage appelle le penchant suicidaire de l'Europe démocratique. L'Europe est le plus beau continent du monde, un miracle de civilisation et d'excellence, la source de quelques-unes des plus nobles valeurs de l'humanité. Mais c'est, aussi, un continent qui n'a jamais trop su défendre ce patrimoine et qui a toujours, quand on y attente, pour premier réflexe de s'incliner. Il ne bouge pas au moment du génocide arménien. Il ne bouge pas lors de la guerre d'Espagne. Il ne lève pas le petit doigt pour sauver les Juifs de la Shoah. Ni, non plus, quand tombe le rideau de fer. Ni en 1981, quand nous sommes quelques-uns à dire «Nous sommes tous des catholiques polonais» et qu'on nous traite de va-t-en-guerre. Alors, aujourd'hui, c'est pareil: l'Europe a des yeux pour ne pas voir et des oreilles pour ne pas entendre ; elle cherche toutes les échappatoires pour n'avoir pas à réagir ni à la mondialisation du djihadisme ni à l'offensive russe en Ukraine.
L'État islamique, est-ce le troisième totalitarisme?
Évidemment. Quand mon personnage parle de «fascislamisme», ce n'est pas juste un mot, c'est un concept. Derrière le «totalitarisme» d'Hannah Arendt, il y a quelque chose de plus profond qu'il appelle la «volonté de pureté», ou la «volonté de guérir», ou encore la négation du «mal radical» remplacé par l'idée que la société est «malade», juste «malade», et qu'il convient de «soigner» cette maladie. Pour les nazis, ça voulait dire éliminer le virus juif. Pour les communistes, extirper le mauvais venin de la bourgeoisie. Eh bien les islamistes, c'est la troisième version de cette volonté de pureté avec, dans le rôle de l'insecte nuisible, le Juif, le chrétien et les femmes. L'adversaire varie. Mais la mécanique reste la même. Le djihadisme est un fascisme, non par métaphore, mais par définition.
Retrouvez l'intégralité de l'entretien avec Bernard-Henri Lévy ici ou dans le Figaro du 4 septembre.