- English
- Français
Une journaliste d’investigation accuse le gendre du Chef spirituel du parti Ennahdha d’avoir trempé dans des affaires de mœurs et de malversations
Pauvre Tunisie...Voici qu’un de ses ministres, aux Affaires étrangères, membre du parti islamique au pouvoir, Ennahdha, et qui devrait donc être islamiquement irréprochable, apprécié par le Qatar où il étudié et travaillé dans le service diplomatique local, Rafik Abdessalem, qui a pour épouse la fille du Chef du parti Ennahdha, est accusé par une journaliste, Olfa Riahi, d’avoir non seulement fait payer ses notes d’hôtel, le Sheraton de Tunis, par son ministère, mais aussi celles d’une femme qui serait sa maîtresse et y aurait séjourné aussi. Olfa Riahi publie même des copies de factures de cet hôtel. Bon travail d’investigation.
Précision : en Tunisie la polygamie est interdite depuis la présidence d’Habib Bourguiba, mais l’adultère y est un délit passible de prison. Tout comme le sont les relations sexuelles entre personnes célibataires non mariées. - On se souvient de cette jeune femmes arrêtée puis violée par des policiers pour avoir eu des relations avec son fiancé dans la voiture de celui-ci -. La pratique qui consiste à louer deux chambres dans un même hôtel, pour sauver les apparences et surtout ne pas faire l’objet de poursuites judiciaires n’est donc pas rare...
Le ministre accusé nie, puis affirme qu’il doit loger à l’hôtel n’ayant ni habitation personnelle à Tunis, ni logement de fonction. Quant à la chambre occupée par une femme et payée aussi par son ministère, il explique qu’il s’agissait de loger une cousine pour une réunion de famille. La femme en question, SN, affirme être bien une cousine de Rafik Abdessalem. L’époux de la dame confirme qu’il ne s’agissait que d’une rencontre entre cousins.
Après avoir lancé ces premières accusations ayant fait grand bruit, Olfa Riahi avait annoncé d’autres révélations portant sur de « fortes présomptions de malversation et d’affaire de mœurs ». Voilà chose faite étant donné que le 29 décembre, s’exprimant dans le cadre de l’émission « Labès » de la chaine de télévision, Attounisia TV, elle affirmait pouvoir prouver qu’un million de dollars a été versé par le ministère du Commerce chinois sur le compte du ministère tunisien des Affaires étrangères en 2012, somme qui aurait dû être versée au Trésor public. Cette fois l’accusation est énorme. La journaliste réclame une autre enquête sur ce point. Et elle n’en aurait pas fini avec ses révélations...
Suites judiciaires
Quant aux suites judiciaires, selon Maosaïquefm, dans un premier temps, le 27 décembre, le ministre ainsi accusé niait avoir déposé plainte contre la journaliste, qui le défiait de le faire, puis le 29 l’avocat Fathi Laayouni déclarait avoir porté plainte contre celle-ci « pour atteinte à l’image du ministre des affaires étrangères et des institutions de l’Etat en diffusant de fausses informations ». Plainte a été déposée également contre le Sheraton, soupçonné, d’avoir fourni copie des factures à la journaliste.
Par ailleurs, une avocate islamique, Raja Haj Mansour, qui, autrefois, alors qu’elle était non voilée, avait soutenu le régime de Ben Ali, mais est aujourd’hui dûment voilée, se déchaîne contre la journaliste dans une vidéo postée sur sa page Facebook, la traitant de noms d’oiseaux divers, dénonçant la vie libre que mène celle-ci.
Aussitôt Olfa Rihai a porté plainte pour diffamation contre l’avocate et ce qu’elle a posté sur sa page Facebook. A la vidéo incriminée la journaliste ajoute, dit-elle, « deux publications diffamatoires (celle qui concerne le Mossad et une autre concernant mon parcours) sur le profil de leur auteur. Une des deux publications sus-mentionnées reprises par une autre page Facebook à grande audience (que les gens apprennent à ne publier que les choses dont ils sont sûrs) »
Mossad. Le « gros mot » est lâché. Que vient-il faire dans cette affaire ? Dans ce pays, comme dans nombre de pays arabo-musulmans qui veut noyer son chien ne l’accuse pas de la rage mais d ’appartenir au Mossad....Rien de nouveau sous le soleil. On peut donc supposer que l’avocate en question a sans doute accusé la journaliste d’appartenir aux services israéliens. Rien que ça...
Côté charia et Ennahdha, Rached Ghannouchi, Chef du parti au pouvoir, guide spirituel et également beau-père du ministre qui aurait fauté, vole au secours de son gendre, sans entrer dans les détails mais avertissant, dans un prêche, que ceux qui, dit-il, propagent des rumeurs, doivent être soumis à la punition islamique prévue dans le Coran pour ce délit, soit quatre-vingt coups de fouets....Il ne dira pas, bien entendu que, selon la charia, la peine prévue pour adultère est la lapidation – s’il y a quatre témoins...
Où l’on tape sur Israël les Sionistes et les Juifs…
Une autre partie du prêche du chef d’Ennahdha# ! a suscité bien moins de commentaires. Elle est pourtant tout à fait significative. En effet, ce personnage tunisien de premier plan encourage les musulmans à investir dans les médias car dit-il, c’est ce que font « les sionistes qui gagnent beaucoup d’argent et grâce à leur contrôle des médias, contrôlent les goûts et l’opinion des peuples et peuvent les corrompre... » En cherchant bien toute cette affaire serait donc « la faute aux Sionistes » même si, jusqu’à preuve du contraire, Olfa Rihai ne peut être accusée de sympathie pour Israël.
En effet, en avril 2012 celle-ci livrait ses commentaires à propos de prêts tunisiens devant être garantis par les États-Unis. Une garantie qui la dérangeait « un peu », ironise-t-elle, car « si vous voulez connaître le petit protégé de l’Oncle Sam en matière de garantie de prêt, et bien… Ce n’est autre que « Petit » Israël ». Elle ajoutait : « A vrai dire, la lecture de la dépêche de Reuters, il y a quelques jours, m’a étrangement rappelé un article que j’avais lu il y a quelque temps dans la presse internationale. L’article de l’Express s’intitulait « La colonisation sans effet sur l’aide des Etats-Unis à Israël ». Le ton était donné.
Compte tenu des conséquences qu’auront les enquêtes menées par Olfa Rihai et les remous qu’elles provoqueront il convenait d’ailleurs de mieux connaître les opinions de celle-ci. Son nom est associé notamment à une lettre ouverte envoyée à Charlie Hebdo en septembre 2012 lorsque l’hebdomadaire avait décidé de publier des caricatures mettant en scène Mahomet. Longue lettre dont les méandres déroutent parfois le lecteur. Il semble que la journaliste voulait protester contre cette publication qui, selon elle, risquait fort de provoquer des troubles dans une région qu’elle décrit comme « si instable et si fragile ».
Exprimer ainsi son inquiétude sur les conséquences potentiellement fâcheuses que cette publication pourrait avoir dans certains pays était tout à fait recevable. Même si on peut y opposer la liberté d’expression. Ce dont elle parle d’ailleurs. Mais c’est pour citer aussitôt Dieudonné. Et regretter que Charlie Hebdo ne l’ait pas soutenu lorsqu’il « a été condamné pour « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale ou religieuse »...
Ainsi met-elle au même plan des caricatures qui n’ont rien d’illégal, ne tombent pas sous le coup de la loi faisant du racisme et de l’antisémitisme un délit, et des propos qui, eux, tombent sous le coup de cette loi.
On ne pourra pas arguer qu’elle ignore les limites qu’impose la loi française en matière de racisme et d’antisémitisme à la liberté d’expression puisqu’elle écrit : « Je vous implore d’enfreindre le décret n°2003-1164 du 8 décembre 2003 ». Rappelons que par ce décret un comité interministériel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme était créé. Elle met en cause d’autres lois hexagonales également. Puis donne ce conseil à Charlie Hebdo : proposez « à Günter Grass d’être votre rédacteur en chef rien que pour un seul numéro. Un prix Nobel comme lui, cela vous fera certainement de la publicité ». Conseil à première vue étrange. Pourtant, il s’inscrit dans sa logique puisque en avril de cette année-là l’écrivain avait publié un poème d’une virulence anti-israélienne telle que le ministre de l’Intérieur d’Israël l’avait déclaré persona non grata...Il opposait, en effet, la puissance militaire israélienne, qualifiée de danger pour la paix du monde, à un Président iranien qui ne serait, selon lui, qu’une « grande gueule »...
Olfa Rihai ne s’arrêtait pas là en si mauvais chemin. Elle écrivait : « Je vous défie Charb, je vous défie de publier à votre « Une » quelconque caricature remettant en question l’holocauste. Appelons-la plutôt « Shoah » par respect aux traditions écrites et orales » et plus loin : « Je vous demande juste d’avancer d’autres thèses et de mettre en exergue d’autres versions de l’Histoire, comme cette version où l’on raconte qu’Hitler se serait fait aider par des juifs pour perpétrer ses crimes contre les juifs mêmes. Parlez au monde de ce pacte signé entre la Fédération Sioniste d’Allemagne et Hitler, six mois après l’arrivée de ce dernier au pouvoir. Parlez-leur de l’accord Haavara. Juste une petite caricature pour le plaisir de vous exprimer librement, Charb ».
Pour tout commentaire on dira que, d’une part, elle mélange tout, car que vient faire la Shoah ici, et que, d’autre part, s’il y a des collabos partout – y compris en Tunisie où d’aucuns se font islamistes pour faire la cour au nouveau pouvoir – cet accord Haavara auquel elle fait référence avait pour but de sauver ce qui pouvait l’être dans une Allemagne où montait le nazisme en permettant aux Juifs de continuer à émigrer dans ce qui était la Palestine mandataire
Où l’on croise Mediapart
Toutefois, pour mieux comprendre le sens de la lettre de Olfa Rihai on se souviendra que Charliebrown de Mediapart avait dit la même chose qu’elle le même jour, en des termes beaucoup plus simples : « Au nom de la liberté d’expression, y aurait-il 2 poids, 2 mesures, en France ?
On se moque des musulmans, on s’en prend à leurs valeurs sacrées, on a le droit de le faire et on se fait protéger par un cordon de policiers…On se moque des Juifs, et on a affaire à la justice, on se fait interdire les médias, les scènes, on se fait traiter comme un paria ? Alors que Dieudonné se moque d’absolument tout le monde en fait… et par là-même se bat pour la liberté d’expression. Mais lui n’a le droit à aucun cordon de sécurité. C’est tout l’inverse qui se produit, même… »
On ne sera donc guère étonné de trouver parmi les soutiens de la journaliste aujourd’hui un certain Pierre Puchot, un confrère Reporter Maghreb/Moyen-Orient à Mediapart. Ce dernier postait ceci, en effet sur le compte Twitter de la journaliste : « Ok,un coup de gueule :Les dernières attaques contre @Olfa_Riahi sont pénibles et ridicules,elle qui n’a jamais fait mystère de son parcours »
Olfa Riahi, qui se dit « humaniste », fait état du « mépris que [ elle ] voue » écrit-elle, « à la politique américaine », ou précise dans sa lettre à Charlie Hebdo : « le ton que j’ai pris... pourrait vous suggérer que je sois musulmane. Détrompez-vous. Nous considérerons vous et moi que je sois déiste et que ma religion ne repose que sur mon expérience individuelle et ma réflexion. J’ose espérer qu’une fois ce détail souligné vous pourrez considérer mes propos comme émanant d’un être humain normalement constitué, sain d’esprit, équilibré, libéré de toute névrose ou démence que lui incomberait quelconque dogme religieux ». Sur sa page Facebook on lira pourtant, parmi les éloges de ses admirateurs, ce commentaire : « elle a même appelé à la cohabitation pacifique et harmonieuse avec les islamistes ».
Une chose est sûre, elle a avec eux un terrain d’entente clair au moins. Il a pour nom antisionisme et antisémitisme...