Tribune
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Publié le 15 Juillet 2015

Alfred Dreyfus, Anouk, l’histoire et la mémoire

Le 12 juillet 1906, Alfred Dreyfus  est réhabilité par la cour de cassation de Rennes. C’était il y a 109 ans, autant dire une éternité.

Tribune de Virginie Guedj-Bellaïche, Journaliste-Blogueuse, publiée sur le Blog du CRIF le 15 juillet 2015
 
J’aime le dates-anniversaires, les éphémérides, l’idée qu’à la date du jour, il y a des années ou plusieurs décennies, un morceau de l’histoire s’est joué. Il s’en est passé des choses le 12 juillet. Rappelez-vous. 1998, les Bleus remportent la Coupe du Monde. Les français  descendent dans la rue pour fêter la victoire de la France Black Blanc Beur. Le lendemain, les journaux écrivent que l’affluence dans les rues de France était supérieure à la liesse de la Libération. Et puis c’est aussi un 12 juillet, en 1906 cette fois, que la vérité éclate enfin. Le capitaine Dreyfus est réhabilité. Condamné pour intelligence avec l’ennemi à 10 ans de travaux forcé, déporté à Cayenne et dégradé au cours d’une cérémonie militaire - un triste sort, qu’il partage, ironie de l’histoire, avec Philippe Pétain – Alfred Dreyfus retrouve son rang.
 
J’ai découvert l’affaire Dreyfus au collège. Dans mon manuel d’histoire, au détour d’une page, je me souviens de cette gravure de diner mondain. L’image était séparée en deux. En haut, une tablée calme et disciplinée où l’hôte déclare doctement « Surtout ne parlons pas de l’affaire Dreyfus ». En bas, la même table avec des convives qui se tapent dessus et la légende « Ils en ont parlé ». Symbole d’une France coupée en deux, divisée, déchirée. Dans  La France et les Juifs de 1789 à nos jours (Paris, Le Seuil, 2004, p. 379), l’historien Michel Winock rappelle que le philosophe Emmanuel Levinas aimait citer son grand-père qui louait l’hexagone comme une terre d’accueil pour les juifs, non pas en dépit de l’affaire Dreyfus mais au nom de la célèbre affaire. « Un pays qui se déchire, qui se divise pour sauver l’honneur d’un petit officier juif, c’est un pays où il faut rapidement aller » répétait-il à l’envi.
 
Adolescente, je pouvais laisser vagabonder mon esprit des heures devant ce dessin de presse du caricaturiste Caran d’Ache. Je me revois détailler chaque expression sur les visages crispés, scruter tous les plis des robes des femmes du monde s’écharpant comme des chiffonnières sans pour autant mesurer la dimension politique et sociale de cette affaire qui bouleversa profondément la France dans l’entre-deux siècles. Je ne suis pas une spécialiste de cette histoire, je vous renvoie volontiers à l’excellent article de Marc Knobel sur le sujet, mais je m’interroge sur la mémoire de cette affaire, ce que je peux en dire à ma fille. Comment en 2015, peut-on expliquer à une petite fille de bientôt 8 ans née en France et éduquée dans un cadre communautaire organisé qu’à l’époque on disait « israélite » et non juif ? Comment rendre perceptible à cet enfant installée en Israël depuis 2 ans, la suspicion de « double allégeance » ? Comment lui demander de trouver révoltant une erreur judiciaire, alors qu’elle sait qu’au cours du siècle dernier les juifs ont été l’objet d’une extermination systématique ? Comment expliquez le patriotisme français d’Alfred Dreyfus à une enfant qui a grandi en entendant ses parents, ses grands-parents se demander s’ils avaient encore une place en France ?... Lire l'intégralité.