Tribune
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Publié le 8 Avril 2015

Abdennour Bidar : «L'Islam est un homme malade de la civilisation moderne»

Pour le philosophe, beaucoup de musulmans de France souffrent d'une culture de «soumission à la tradition».

Propos recueillis par Marie-Amélie Lombard, entretien publié dans le Figaro le 7 avril 2015
L'agrégé de philosophie, fils d'une Française convertie au soufisme, ne prend pas de pincettes pour analyser les maux qui traversent l'Islam.

Vous décrivez cependant une jeune génération musulmane qui aspire à vivre sa religion autrement, à ne pas se contenter de la «soumission à la tradition»?
Elle souffre en effet de la dissociation entre la culture traditionnelle et l'évolution du monde. Elle veut être libre de ne pas prier cinq fois par jour ou de ne pas faire le ramadan. C'est ce que j'ai appelé le «self-Islam» - une autonomie vis-à-vis du religieux pour laquelle j'ai été beaucoup critiqué. Il n'empêche qu'il existe de plus en plus un fossé entre les générations de musulmans. Pour schématiser, les plus de 50 ans ont pu avoir des réticences à l'égard du mouvement «Je suis Charlie» au prétexte, disent-ils, que «l'Occident a aussi fait beaucoup de mal»… Mais émerge aussi toute une nouvelle génération qui sent bien que l'impasse est totale. Parmi elles, beaucoup de femmes qui veulent pouvoir pratiquer leur religion selon leurs propres aspirations, sans porter un voile, sans être forcément mariées à un musulman.
Davantage de femmes voilées, une poussée du courant salafiste dans les banlieues françaises depuis les attentats: les services de renseignement évoquent «une tentation de repli identitaire». Cela vous surprend-il?
Pas du tout. On a laissé se créer des ghettos en France. Je ne suis pas forcément d'accord avec le terme «apartheid social» de Manuel Valls, mais il a le mérite de pointer du doigt une réalité. Les Musulmans ont leur part de responsabilité. Tant qu'ils ne seront pas capables de faire émerger des figures fortes et non des représentants conservateurs… Tant que la religion se résumera au «halal» (ce qui est licite), et au «haram» (ce qui est interdit)… les Musulmans se maintiendront dans une «Sainte Ignorance», évoquée par le chercheur Olivier Roy, dans laquelle l'individu se cantonne à des marqueurs extérieurs, une façon d'être, sans culture religieuse. Toute une génération de penseurs a dressé la liste des maladies de l'Islam. À nous, désormais, de proposer un Islam compatible avec la République.
Quel poids a cette nouvelle génération?
On voit surtout, évidemment, les femmes voilées, les poches de conservatisme. Mais des milliers et des milliers de jeunes de culture musulmane, complètement intégrés, artisans, professeurs, avocats, conseillers de politique contribuent à former une classe moyenne. Elle n'éprouve cependant pas le besoin de descendre avec une pancarte dans la rue…
L'après-attentats a montré que beaucoup d'enseignants ne savaient pas parler de la laïcité, des valeurs de la République…
Leur formation a été laissée en déshérence pendant trop longtemps alors que le rôle de l'école comme creuset du contrat social républicain est décisif. Les anciens IUFM (instituts universitaires de formation des maîtres) ont leur responsabilité dans cet abandon progressif… Lire l’intégralité.