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Je pense qu’il faut raison garder. Analysons le vote du SEJM Polonais pour ce qu’il est et non pour ce qu’il peut représenter, c’est-à-dire, l’expression d’une hostilité envers les Juifs en Pologne.
A : Abatage rituel et circoncision : état de la question en Europe et dans le Monde
Notons d’abord, la polémique est ancienne. Déjà les Grecs considéraient que la pratique de la circoncision chez les Juifs était une tradition barbare. Les Rois Séleucides de Syrie interdirent, sous le règne d’Antiochos IV Epiphanes, la pratique de la circoncision, entre autres pratiques juives, ainsi que l’obligation de manger du porc.
En Alexandrie durant le 2ème et premier siècle A.D. des émeutes éclatèrent entre les populations Juives et Grecques, dont un des thèmes de la discorde fut la pratique juive de la circoncision et le refus du porc dans l’alimentation.
Aujourd’hui, concernant certaines pratiques religieuses juives et musulmanes, les faits nous montrent qu’en Europe et même dans le monde la réalité est la suivante.
- Menace sur la pratique de la circoncision, surtout dans les pays nordiques de l’Europe et en Europe de manière générale.
- Menace sur la pratique de l’abattage rituel en Europe, interdit déjà en Suisse, Suède, Nouvelle Zélande en 2010, Norvège, Islande. En Suisse, par votation les Suisses ont confirmé cette interdiction en 2002.
Ces campagnes sont récurrentes et dures depuis des dizaines d’années en Europe. Elles émanent de groupes d’extrême droite antisémites, d’associations de protection des animaux, d’associations de protection de l’enfant et aussi d’associations et esthètes séculiers qui s’élèvent violement contre les pratiques « barbares » de certaines religions.
A Cologne, au Printemps 2012, le Tribunal local a statué, précisant que la circoncision provoque une blessure corporelle et que, de ce fait, elle n’est pas protégée devient un acte hors la Loi ? Le Gouverneur de la province autrichienne du Vorarlberg a mis en garde des médecins sur ces mêmes pratiques les avertissant qu’en pratiquant la circoncision, ils ne seraient pas protégés par la Loi.
En Suisse, deux hôpitaux ont suspendu toute circoncision sans motif médical.
A l’instar du Parlement Allemand, en Décembre 2012, les Parlements Suisse et Autrichien ont eux aussi abrogé leur proposition d’interdiction (dossier publié sur le site JFORUM).
Dans plusieurs pays comme la Norvège, le Danemark et la Suède, il est interdit de procéder à la pratiquer de la circoncision en dehors du contrôle médical. Le Lobby anti circoncision continu, néanmoins sa pression contre cette tradition Juive et Musulmane.
Il est toutefois évident que des campagnes de type antisémite sont en cours. Elles visent à présenter les juifs et Israéliens comme des êtres assoiffés de sang s’acharnant sur les animaux et les enfants.
Certaines associations de défense des enfants, veulent « protéger » des enfants des souffrances qui leur auraient été infligées lors des circoncisions. En revanche, Elles ne s’élèvent pas contre d’autres pratiques de type invasif telles certaines vaccinations, piercings ou les tatouages, pratiques qui peuvent présenter dans certaines conditions des risques pour la santé.
Le Lobby contre la circoncision est composé des militants politiques antis immigrés, de militants radicaux pour les « droits de l’homme », de laïcs antis religieux et de membres des professions médicales et scientifiques. Un article publié par des médecins Européens de premier plan, attaque un rapport de l’Académie Américaine de Pédiatrie en 2012 déclarant que les « bénéfices de la circoncision l’emportent sur ses risques ». La plupart de ces signataires sont originaires de Scandinavie.
En Mai 2013, le quotidien National Norvégien Dagbladet a publié un dessin antisémite décrivant les juifs en train de torturer un enfant au cours d’une circoncision. Certains comparent donc la circoncision à la mutilation d’un membre du corps, comme l’excision (vraie mutilation).
En 2012 une porte-parole du parti centriste en Norvège a déclaré que la circoncision rituelle est « périmée, dangereuse et devrait être interdite…c’est une coutume que nous ne pouvons tolérer dans une société moderne et civilisée ». Au Danemark, un député du parti Rouge-vert a déclaré « Nous prônons une interdiction de la circoncision » (dossier publié sur le site JFORUM).
La jurisprudence en France sur le thème de la circoncision est la suivante : La pratique de la circoncision est admise pour des motifs religieux ou culturels. Il ne s’agit pas d’un acte thérapeutique, Son fondement est uniquement coutumier, le Conseil d’Etat dans son rapport annuel de 2004 consacré à la laïcité, la qualifie de « pratique religieuse dépourvue de tout fondement légal mais néanmoins admise ».
Dans ses articles 16 et suivants du code civil français il est stipulé « qu’il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui ». Dans la pratique ces articles concernent la pratique mutilante de l’excision.
Qui pourra dire quelle sera la décision que prendra un tribunal français suite à une plainte pour maltraitance à l’enfant ?
Concernant l’abattage rituel qui est encadré en Europe par la règlementation de la Commission Européenne. En voici les textes de référence:
La directive européenne n° 93/119 du 22 décembre 1993 sur la protection des animaux au moment de leur abattage ou de leur mise à mort a été posé en droit français en 1997. Les articles R. 214-65 et suivants du code rural disposent ainsi que « toutes les précautions doivent être prises en vue d’épargner aux animaux toute excitation, douleur ou souffrances évitables pendant les opérations de déchargement, d’acheminement, d’hébergement, d’immobilisation, d’étourdissement, d’abattage ou de mise à mort ».
Cependant, afin de garantir le libre exercice de certains rites religieux, la réglementation européenne a prévu la possibilité pour les Etats membres de ne pas imposer l’étourdissement préalable des animaux. La France a fait le choix de cette dérogation puisque l’article R. 214-70 du code rural précise qu’il est possible de ne pas insensibiliser les animaux lors de leur abattage si l’étourdissement n’est pas compatible avec la pratique de l’abattage rituel.
72% des français désapprouvent la dérogation permettant de ne pas étourdir les animaux :
Sondage IFOP « Les Français et l'étourdissement des animaux avant leur abattage », réalisé du 8 au 10 décembre 2009 sur un échantillon de 1015 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
Texte de l’UE du 5/06/03, Chapitre II, article 5 : « 2. Pour les animaux faisant l'objet de méthodes particulières d'abattage requises par certains rites religieux, les exigences prévues au paragraphe 1 point c ne sont pas d'application (étourdis avant abattage ou mis à mort instantanément conformément aux dispositions de l'annexe C). »
Enfin, le Règlement N° 1099/2009 du Conseil du 24/09/2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort qui est valable à partir de 1/01/13 stipule sur le sujet de l’abattage rituel «
L’article 18 de la directive 93/119/CE prévoyait une dérogation à l’obligation d’étourdissement en cas d’abattage rituel se déroulant à l’abattoir. Étant donné que les dispositions communautaires applicables aux abattages rituels ont été transposées de manière différente selon les contextes nationaux et que les dispositions nationales prennent en considération des dimensions qui transcendent l’objectif du présent règlement, il importe de maintenir la dérogation à l’exigence d’étourdissement des animaux préalablement à l’abattage, en laissant toutefois un certain degré de subsidiarité à chaque État membre. En conséquence, le présent règlement respecte la liberté de religion et le droit de manifester sa religion ou ses convictions par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites, tel que le prévoit l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
B. Le cas de la Pologne et le vote du Parlement Polonais du 12/07/13.
1- enjeux politiques
Présenté par le gouvernement libéral dirigé par le Premier ministre Donald Tusk, le projet de loi devait légaliser à nouveau l'abattage rituel, interdit en Pologne depuis le 1er janvier, après un arrêt de la Cour Constitutionnelle sur l'incompatibilité de l'abattage rituel avec la législation sur la protection des animaux.
Le Gouvernement Polonais, soucieux de répondre positivement aux demandes des communautés juives et musulmanes en Pologne, ainsi qu’au secteur d’exportation des viande (Halal 80% et Cacher 20%) a soumis au vote du Parlement un texte qui légalise ces pratiques rituelles.
Des associations, tel le Lobby de protection des animaux et des parlementaires jugeant l’abattage rituel et la circoncision comme pratiques nocives, ont mobilisé certains partis représentés au SEJM pour voter contre la Loi.
Le texte a été rejeté par 222 députés, contre 178 voix et 9 abstentions. Les députés ont jugé que le rituel était ‘’trop cruel’’ pour le bétail.
Environ 38 députés libéraux, dont la présidente de la Diète Ewa Kopacz, ont voté contre ce projet de leur gouvernement, le parti de la Plateforme civique (PO) n'ayant pas introduit de discipline de vote pour cette loi.
Le parti d'opposition Droit et justice (PiS) a aussi voté contre l'abattage rituel (sauf deux de ses députés), mais pas pour les mêmes raisons que celles avancées par les défenseurs des droits des animaux. Le chef de PiS Jaroslaw Kaczynski, cité par l'hebdomadaire Wprost, a déclaré que le Premier ministre Donald Tusk s'empressait d’autoriser l'abattage parce que c'était dans l'intérêt d'un "certain petit, mais très influent lobby".
« Le résultat du vote d'aujourd'hui à la Diète a été un choc pour nous, ont indiqué le grand rabbin de Pologne Michael Schudrich et le président de l’Union des communautés juives dans ce pays Piotr Kadlcik dans une déclaration ».
Le Rabbin Pinchas Goldschmidt, Président de la conférence Européenne des rabbins (CER), a rencontré le Premier ministre polonais, Mr. Donald TUSK. Il a affirmé que la Conférence des Rabbins allait examiner toutes les options légales possibles au niveau de l’Union européenne.
2- enjeux économiques
La question de l'abattage est également un enjeu économique de taille pour la Pologne, pays agricole et grand exportateur de viande halal vers les pays musulmans et de viande casher vers Israël.
Le ministre de l'Agriculture Stanislaw Kalemba (du Parti paysan) a expliqué que la Pologne était un grand exportateur de viande halal et cacher. "Pourquoi interdire l'abattage rituel chez nous puisqu'il est légal ailleurs ?", a-t-il demandé.
Avant l'interdiction, environ 90.000 tonnes de bœuf halal étaient exportées annuellement vers les pays musulmans, surtout en Turquie, et 4.000 tonnes de viande casher vers Israël. La valeur de ces exportations est estimée à 250-350 millions d'euros par an.
‘’On a rendu nos marchés aux Français, aux Hollandais et aux Allemands. Nous, on ne pourra pas gagner d'argent, faire vivre nos familles, ce sont des sociétés à l'étranger qui vont faire des bénéfices, bravo!’’, a déclaré un agriculteur venu manifester devant le parlement en faveur de la loi.
Au total, une vingtaine d'abattoirs en Pologne se sont spécialisés dans la production de viande halal et casher.
Selon les estimations du ministère de l'Agriculture, 6.000 emplois sont concernés (European Jewish Press).
Les responsables des communautés juives et musulmanes en Pologne se sont déjà adressés à la Cours Constitutionnelle, comme les a encouragé le Ministre Polonais de l’Administration, Mr. Michal BONI. Elle est seule à pouvoir dire si l'abattage rituel, interdit dans ce pays, peut néanmoins être pratiqué pour les besoins des communautés locales juives et musulmanes.
"La Constitution polonaise garantit la liberté de confession et le droit à réaliser tous les besoins et les rites qui en découlent", a déclaré M. Boni devant la presse, à l'issue d'une rencontre avec le grand rabbin de Pologne Michael Schudrich et le grand mufti Tomasz Miskiewicz. "En même temps, a-t-il poursuivi, la loi sur la protection des animaux ne permet pas, suite aux récentes décisions du Parlement, l'abattage rituel en Pologne".
3 -Les relations Juifs et gouvernent Polonais : la réalité du terrain
Il existe en Pologne aujourd’hui 8 communautés juives organisées. Elles se développent et bénéficient du soutien des autorités gouvernementales, municipales et régionales. Ces communautés ont des programmes sociaux, culturels et sont en lien avec les organisations juives en Europe et dans le Monde, ainsi qu’en Israël.
Le Gouvernement Polonais exprime à toute occasion son soutien aux citoyens juifs polonais, récemment, le 19/04/13 lors des grandes cérémonies à Varsovie pour la commémoration du 70ème anniversaire du Soulèvement du Ghetto de Varsovie.
Ajoutons qu’un grand Musée de l’Histoire des Juifs en Pologne a été créé à Varsovie. Une première en Europe et dans le Monde.
Notre association, AFPCJ (Association Franco-Polonaise pour la Promotion de la Culture Juive), associée avec le Gouvernement Polonais, les Villes et les Régions, développera un vaste programme pour l’apprentissage par la jeunesse polonaise de l’Histoire des Juifs en Pologne, grâce à notre Exposition nommée « 1000 ans des Juifs en Pologne ».
Le programme nommé « GUIBOUCH » (former un groupe soudé), a durant 3 ans fait travailler trois lycées, un polonais, un israélien et le troisième français sur un thème choisi par les partenaires : l’EAU. Il s’agit d’un travail de niveau scientifique dont les résultats seront publiés bientôt. Ce programme est soutenu par les trois gouvernements, régions et villes concernés.
A partir de 2014, ce seront dix lycées de chaque pays et trois universités qui feront partie du projet.
En Pologne, et cela depuis plusieurs années déjà, les pouvoirs publics rendent aux communautés juives des terrains, bâtiments et autres propriétés ayant appartenus aux communautés juives en Pologne avant la guerre.
Il ne s’agit pas à ce jour d’indemnisation ni du retour à ses propriétaires ou leurs ayants droits, des propriétés des personnes privées. C’est une question très douloureuse, non résolue à ce jour.
La Pologne et l’Etat d’Israël ont et développent des relations de grande qualité sur les plans économique, scientifique, culturel et politique.
En résumé, on peut constater que cette fâcheuse problématique de l’abattage rituel dépasse le cas de la Pologne. La problématique est plus vaste et bien plus préoccupante. Car au fond, Il s’agit du sort qui sera réservé en Europe à nos traditions millénaires : la circoncision et l’abattage rituel. Gare aux menaces qui grondent, et pas nécessairement du coté où nous regardons !
Le 1er Octobre 2013, la Commission des questions sociales, de la Santé et du Développement durable du Conseil de l’Europe de Strasbourg, dont la Rapporteur est l’Allemande, Madame Marlene RUPPRECHT, du groupe socialiste, par un vote de 78 voix pour et 13 voix contre, avec 15 abstentions a décidé dans son article 2 que :
« 2. L’Assemblée parlementaire est particulièrement préoccupée par un certain type de violations de l’intégrité physique des enfants, que les tenants de ces pratiques présentent souvent comme un bienfait pour les enfants, en dépit d’éléments indiquant manifestement du contraire. Ces pratiques comprennent notamment les mutilations génitales féminines, la circoncision des jeunes garçons pour des motifs religieux, les interventions médicales à un âge précoce sur les enfants intersexués, et les piercings, les tatouages ou les opérations de chirurgie plastique qui sont pratiqués sur les enfants, parfois sous la contrainte ».
Nous constatons donc, qu’il ne s’agit pas ici de mettre en cause tel ou autre pays et plus particulièrement la Pologne dont le gouvernement s’oppose à cette interdiction.
Il est question à ce jour, d’examiner les questions des traditions millénaires juives, à l’aune des offensives multiples et concertées portées par des milieux apparemment disparates mais qui se retrouvent dans leur haine antisémite. Cette haine n’épargne pas l’Europe et elle contamine d’autres parties du monde. Cette situation nous rappelle les années trente.
Soyons donc très vigilent. En réalité, les difficultés autour de l’abattage rituel renvoie à la question de l’avenir des Juifs à vivre dans une Europe devenant hostile à leur traditions et coutumes, rappelant, par la même, de très sombres moments de l’Histoire.
Ephraïm Teitelbaum
Président de l’AFPCJ
Association Franco-Polonaise pour la Promotion de la Culture Juive