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Jeudi 2 Décembre à 19h30, France 3 Paris Ile de France pose la question : « Faut-il interdire Al-Manar? ». L’invité est Dominique Wolton, directeur de recherches au CNRS. Si on en croit ce chercheur, le Hezbollah est un parti religieux, mais c'est surtout un « parti nationaliste ». Quant à sa télévision, il ne faut pas confondre critique d'Israël et antisémitisme, et dans cette confusion, « les Israéliens sont passés maîtres » ajoute-t-il. C'est, dit-il, « une télévision généraliste », qui a des informations comme toutes les télévisions. A l'avenir, continue-t-il, « nous aurons beaucoup à faire avec les différences culturelles », par exemple quand arrivera la télévision chinoise et « il faut savoir jusqu'à quel point on doit défendre nos valeurs ou être tolérants pour les différences culturelles. Car après tout, nous n'avons pas le monopole des valeurs..... ». La journaliste n’a pas fait le moindre commentaire.
Le dimanche suivant à 7h30 du matin, Catherine Ceylac invitait Leila Chahid sur France 2. Celle-ci, présentée comme s’étant battue toute sa vie pour la paix – ne fait-elle pas d’ailleurs « de la diplomatie citoyenne » en allant partout en France rencontrer les Français accompagnée de « pacifistes israéliens » comme Michel Warshawski ou Dominique Vidal ? - accréditait une fois de plus sans en avoir l’air la théorie de l’empoisonnement d’Arafat. Elle affirmait en outre qu’Al-Manar est une chaîne tout à fait respectable qui a juste fait une erreur (erreur qu'elle a reconnu et s'en est excusée), en diffusant un feuilleton basé sur les Protocoles des Sages de Sion. D'ailleurs, continue-t-elle, il y a en France des radios communautaires juives qui diffusent la haine contre elle et qui sont autorisées. Elle-même ne refuserait pas d'aller parler sur Al-Manar : elle accepte bien de parler à la TV israélienne !
Le 9 décembre, c’est Stéphane Bern et Ariel Wieseman qui recevaient sur Canal + un Djamel Bourras qui deux jours plus tôt participait à un rassemblement en faveur de la chaîne du Hezbollah. A l’occasion d’une émission « sur la religion », il était aux côtés de Rika Zaraï censée représenter le judaïsme et d’Alessandra Borghese supposée parler pour le christianisme. Sur la version Internet (coupée ?) de cette émission, seule Alessandra Borghèse semblait avoir été longuement entendue. Après trois phrases de Djamel Bourras faisant la publicité pour un film qui présente selon lui correctement l’Islam, Stéphane Bern lance un autre sujet. Si on en croit cette version Internet, à aucun moment les « sujets qui fâchent » n’ont été abordés.
Le 1er décembre, une dépêche AFP nous informait que l’Association de solidarité franco-arabe, qui regroupe des personnalités du monde politique et littéraire, a décerné ses prix 2004. Parmi les lauréats, Alain Ménargues dont on a déjà parlé ici, dénoncé par sa propre rédaction (RFI) pour avoir - dans un ouvrage comme sur les ondes de diverses radios ou télévisions - pris en exemple le ghetto de Venise pour prétendre que le « mur » dressé aujourd’hui entre Israël et la Cisjordanie ne serait qu’un épisode des murs dressés depuis 2000 ans par les Juifs entre eux et les « goyim » pour séparer le pur de l’impur. Outre Elias Sambar, un autre lauréat est Henri Laurens, professeur au Collège de France, qui a rédigé la préface de « 1948 – La guerre de Palestine, derrière le mythe », ouvrage collectif paru aux éditions « Autrement » en 2002 dont la présentation reprend, sans le nommer, les thèmes qui ont valu condamnation à Roger Garaudy (ouvrage dont on avait aussi parlé ici).
Mercredi 15, un autre journaliste de RFI, Richard Labévière, chef du service de politique internationale, parle d’Al-Manar dans son éditorial quotidien. Après avoir affirmé contre toute vérité qu’ « Al-Manar avait pourtant déprogrammé, en août dernier, un feuilleton syrien précisément antisémite qui avait suscité un tollé en France. » déclare : « Al-Manar est l'organe d'expression d'une organisation politique, le Hezbollah libanais, qu'il faut remettre dans son contexte d'une région en guerre où des mouvements politico-militaires sont confrontés à une des plus puissantes armées du monde », ajoutant « L'affaire Al-Manar est révélatrice d'une évolution significative de la société française où les communautés, sinon les communautarismes pèsent de plus en plus à travers des relais associatifs et autres outils d'influence drainant de plus en plus d'argent, afin d'influencer les choix des pouvoirs publics. Elle fera jurisprudence. Il est désormais nécessaire de voir appliquer la même rigueur à l'encontre des autres médias communautaires et communautaristes, - radios, télévisions et sites Internet -, notamment ceux qui continuent, en toute impunité, de cultiver l'arabophobie et la démonisation, sinon la criminalisation de la résistance palestinienne » reprenant donc à son compte les déclarations de Leila Chahid, mais aussi au passage les délires antisémites d’Al-Manar sur l’argent des Juifs. Le texte de cette chronique peut être lu en ligne sur le site de RFI (http://www.rfi.fr/actufr/articles/060/edito_chro_32446.asp).
Tout aussi alarmantes, les réactions de Reporters sans Frontières qui prétend que « Certes, Al-Manar a diffusé des propos antisémites inacceptables, mais la précipitation du CSA et des autorités françaises dans cette affaire n'a pas permis de donner le temps de la réflexion nécessaire avant de prendre une telle décision ». S’inquiétant de la procédure « expéditive » d'une interdiction d'antenne « inquiétante » l’organisation se demande si les autorités françaises vont « tenter d'épurer l'espace audiovisuel français ». La même association, dans un autre communiqué condamne la classification des la chaîne comme « terroriste » par les Etats-Unis. On avait déjà ici noté la grande confusion de cette organisation qui amalgame dans une même réprobation toute forme d’atteinte à la liberté des journalistes, du meurtre politique à la plainte pour atteinte à la vie privée en passant par l’emprisonnement pour incitation au terrorisme (voir par exemple http://www.crif.org/index02.php?id=1110&menu=&type=tout).
On aurait, dans ce climat, eu envie de remercier Thierry Ardisson pour avoir posé quelques bonnes questions à Dieudonné - en particulier sur son soutien à la chaîne du Hezbollah - et permis ainsi à tous ceux qui en auraient douté de juger en direct de la perte des repères qui menace notre société si ce n’avait été les messages que le modérateur du forum de l’émission (relevés par Proche-Orient.info) laisse passer sans le moindre état d’âme. D’autant qu’un message sans invective ni insulte envoyé au même forum a lui été rejeté pour cause de non conformité aux règles éthiques. Que disait donc ce message de si obscène ? D’une part il confirmait les citations d’un internaute concernant les propos de Dieudonné sur radio-méditerranée - dont la réalité était contestée par ses interlocuteurs - et d’autre part il signalait que l’interlocuteur de Dieudonné sur cette radio, Tawfik Mathlouthi, est un habitué des dérapages antisémites, étant d’ailleurs l’un des auteurs du faux intitulé « manifeste judéo-nazi d’Ariel Sharon ».
Signaler des faits aisément vérifiables, puisqu’ils avaient fait l’objet d’un article de Xavier Ternisien dans le Monde et avaient été dénoncés par le MRAP lui-même, serait donc moralement insupportable sur un forum de France 2 tandis que parler du lobby juif (ou communautaire) qui détient les médias et qui par son argent influence la politique du gouvernement est tout à fait acceptable.
Anne Lifshitz-Krams