Tribune
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Publié le 28 Mai 2004

Lorsque « Libération » envisage (et justifie) la destruction d’Israël

C’est un éditorial, comme il s’en publie des dizaines chaque semaine dans la presse française. Le Vendredi 21 mai, Patrick Sabatier, le directeur adjoint de la rédaction de Libération réagit à l’opération militaire israélienne à Rafah. Le journaliste, comme on peut le supposer, condamne sans réserves ni nuances le gouvernement israélien et l’action de Tsahal dans la bande de Gaza. Jusque là, Patrick Sabatier ne fait qu’exercer son droit le plus incontestable de critiquer – à tort ou à raison – la politique d’Israël comme celle de n’importe quel Etat à travers le monde.



Puis Sabatier écrit :

« Le Premier ministre israélien et ses partisans (…) devraient pourtant prendre garde à ne pas en arriver à écœurer le reste du monde par leur intransigeance et leur acharnement à briser la résistance des palestiniens à l’occupation.

Ni oublier que l’arme la plus puissante d’Israël reste le soutien international à son existence en tant qu’incarnation du droit de tout peuple d’exister et de vivre libre au sein d’un état démocratique, droit longtemps nié au peuple juif. Cette arme de la légitimité s’émousse au fil des assassinats, ciblés ou aveugles, des occupation de terre, des destructions, des implantations de colonies et du refus de toute négociation avec les palestiniens ».

En termes feutrés mais qui ne laissent la place à aucune ambiguïté, le directeur de la rédaction de Libération envisage sereinement que le droit à l’existence d’Israël puisse être remis en question. Aux yeux de Libération, l’Etat juif échapperait-il au droit commun des nations au point de se voir contester le droit de mener une guerre contre un ennemi qui a pourtant démontré qu’il ne reculait devant aucune violence à l’égard des populations civiles ? Certes, on a le droit de critiquer Ariel Sharon, de considérer que le bilan de quarante trois morts (dont une majorité de combattants palestiniens) est trop élevé, d’estimer que cette opération militaire n’était pas justifiée, une partie de la presse et la classe politique israélienne ne se sont d’ailleurs pas gênés pour le dire. Mais comment peut-on en arriver à contester « la légitimité » d’Israël et à justifier par là même son éventuelle destruction ? Jamais, à notre connaissance, les éditorialistes de Libération n’ont envisagé de telles solutions pour d’autres pays ayant mené des guerres autrement plus meurtrières et certainement moins justifiables. Libé a-t-il considéré que l’Irak devait être rayé de la carte à la suite de la guerre menée contre l’Iran et qui fit au bas mot plus d’un million de morts ? Monsieur Sabatier a-t-il préconisé le démantèlement de la Syrie en raison de la brutalité du régime syrien à l’égard de sa propre population (20.000 morts à Hama) et l’occupation qu’il fait subir depuis près de trente ans au peuple libanais ? Les bombardements sur la Serbie et les pertes civiles qu’ils ont occasionnées ont-ils permis d’écrire que le droit à l’existence des pays de l’OTAN était en passe de s’émousser ? On pourrait multiplier les exemples, tant les conflits sont malheureusement légion sur la planète. Au plus fort du conflit yougoslave, jamais personne n’a songé mettre en cause l’un ou l’autre des Etats belligérants dans ses fondements, qu’il s’agisse de la Serbie ou de la Croatie. Seul Israël se voit nié dans la légitimité. Au delà de la violence du propos, le seul mérite de l’éditorial du directeur de la rédaction de Libération est peut-être de nous livrer l’exacte réalité du fond de sa pensée.

Clément Weil-Raynal