Tribune
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Publié le 6 Décembre 2005

Le vocabulaire de l’Intifada. Une plongée dans Google

Quelle image véhicule le langage de chacun des acteurs qui participent de près ou de loin aux discours sur l’Intifada ? Quelle épithète est accolée aux sionistes, aux Juifs, aux musulmans, aux pro-palestiniens, aux Israéliens, aux Palestiniens ? On en a chacun une idée impressionniste qui diffère selon notre tendance idéologique, chacun ayant l’impression que les propos le concernant seraient « diabolisant » tandis que ceux concernant l’autre seraient plutôt édulcorés. On a donc voulu en avoir le cœur net. Pour cela, quoi de mieux qu’une analyse statistique des cooccurrences (acteur épithète). Pour cela nous avons choisi de nous en remettre à Google.


Google est un moteur de recherche, ce qui signifie que quand on l’interroge sur un mot spécifique, il va rechercher tous les sites qui comportent à un endroit ou à un autre le mot demandé, que ce soit dans le texte ou dans les liens. On peut donc obtenir une grande variété de sites dont certains n’auront aucun lien avec la problématique (ici l’Intifada). Un même site peut sortir plusieurs fois comme le même texte repris sur des dizaines de sites différents. Par ailleurs certaines pages repérées par Google peuvent ne plus être accessibles au moment où l’interrogation est faite. Il faut ajouter qu’étant donné le nombre important d’occurrences, il n’a pas été possible de faire la part de qui utilise quel vocabulaire.
Aussi imparfait soit-il, ce moteur présente cependant un avantage indiscutable : il permet d’obtenir en quelques secondes un état de la fréquence de différents champs lexicaux, à condition bien sûr que ceux-ci aient été définis à l’avance. Et ce qui a été décrit comme un inconvénient peut alors apparaître comme un avantage, car ce qui importe ici n’est pas de faire le tour de toutes les cooccurrences existantes, mais, une fois déterminé quelques cooccurrences significatives, quelle est leur importance relative et à partir de là quelles images de la réalité est transmise. Google propose ainsi un instantané de la vision du conflit que transmettent les sites Internet à travers le vocabulaire utilisé.
Google a donc été interrogé sur des groupes de mots (par exemple « pro-palestinien extrémiste ») toujours entre guillemets pour être certain de ne prendre que les cas où les deux mots sont accolés, au singulier et au pluriel et que l’épithète précède ou suive la désignation de l’acteur. On est ainsi arrivé au tableau I :
I- Les acteurs et leurs qualifications dans les discours tenus sur Google
extrémiste
Radical
Islamiste
Activiste
Militant
Résistant
Terroriste
Ultra
Colon
Pacifiste
Total
Google
Pro-palestinien
149
319
200
727
731
210
13
72
38.363
Pro-israélien
518
11
71
237
1
150
1
32.957
Sioniste
1.819
625
242
940
938
999
197
484.000
Musulman
18.611
1.950
716
1.126
431
4.070.000
Islamiste
15.370
47.626
889
50.300
1.467.000
Juif
24.926
977
678
855
36.150
1.377
4.800.000
Arabe
1.056
524
428
1.549
107
11.720.000
Israélien
1.907
232
693
1.148
569
41.592
18.629
3.440.000
Palestinien
1.454
21.958
2.847
25.737
15.420
1.311
28.124
956
4.830.000
Sur ce tableau, on voit immédiatement que les épithètes retenues ne représentent qu’une infime partie des occurrences concernant les acteurs.
Pro-palestiniens et pro-israéliens sont les acteurs qui apparaissent le moins souvent. Les premiers sont le plus souvent parés d’épithètes que l’on peut qualifier de neutres ou édulcorantes : plutôt militants, activistes ou radicaux qu’extrémistes ou ultra. Ils sont pourtant de façon non négligeables désignés comme terroristes ou islamistes. Les pro-israéliens sont eux indéniablement extrémistes et souvent le préfixe « ultra » leur est accolé. La même remarque peut être faite pour les « sionistes », terme qui remplace souvent celui de « pro-israélien » ou même d’Israélien qui sont en outre souvent qualifiés de terroristes. La palme de l’extrémisme revient certainement aux Juifs, même si les musulmans sont eux aussi souvent qualifiés ainsi. Quant aux islamistes, il est intéressant de voir que l’épithète « radical » que l’on peut qualifier de qualificatif « édulcorant » leur est presque aussi fréquemment attribué que celui de terroriste.
C’est la différence d’image entre Israéliens et Palestiniens qui est la plus intéressante. Le Palestinien sera terroriste, bien sûr, mais surtout radical, activiste ou même simple militant, parfois résistant. Beaucoup plus rarement pacifiste. L’Israélien s’il détient la palme du « pacifisme », sera surtout « colon ». Et de ce point de vue, on parle de façon assez indifférenciée de « colon juif » ou de « colon israélien ». En tout cas, il n’y a que très peu de nuances entre les deux.
Il n’est pas facile de tirer des conclusions de cette première approche, si ce n’est une tentation confirmée d’édulcorer par le langage une image du musulman ou du Palestinien assimilé au terrorisme alors que la vision du juif, du pro-israélien ou de l’israélien reste très manichéenne et peu susceptible d’édulcoration.
Cette vision est confirmée par l’examen du second tableau qui s’intéresse à la qualification « victimaire » des uns et des autres.
II- Quelques spécifications particulières sur les acteurs
Bébé
Enfant
Adolescent
Jeune
Réfugié
Déplacé
Victime
Nombre total
d’occurrences
Sur Google
Colon
307
323
Israélien
243
12.880
534
765
1.332
3.440.000
Palestinien
533
86.000
1.152
15.300
131.576
322
10.901
4.830.000
Juifs
19.251
134
4.800.000
Et pour commencer, les « victimes » sont presque uniquement palestiniennes. La référence à l’âge de ces victimes renforce le tableau. On parle à peu près aussi souvent des bébés israéliens que des bébés palestiniens que les premiers soient surtout des « colons » laisse supposer qu’un grand nombre de ces allusions soient pour critiquer l’absence de référence ou la mauvaise référence aux bébés israéliens. La différence en revanche est flagrante pour les autres termes : de 1 à 2 pour « adolescent », de 1 à presque 8 pour « enfant » et de 1 à 20 pour « jeune » : les victimes palestiniennes sont « jeunes ». On observerait probablement des écarts similaires si on cherchait la cooccurrence avec un âge précis.
Alors, il faut se garder de généraliser. Internet ne reflète pas l’opinion de l’ensemble de la population. Ceux qui s’y expriment dans un camp ou dans l’autre sont les plus motivés, parfois les plus extrémistes. Mais le public d’Internet est largement supérieur au nombre de ceux qui s’expriment. Et l’image qu’il propage n’est pas sans effet sur l’opinion du public « passif » qui y trouve ses sources.
Anne Lifshitz-Krams