Tribune
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Publié le 4 Mars 2010

La véritable histoire de Jo, le petit juif

Mercredi 11 mars 2010 prochain, La Rafle, de Rose Bosch sortira au cinéma. Le film retrace la rafle du Vel'd'Hiv' avec pour fil conducteur l'histoire du « petit Jo ». Le petit Jo, c'est Joseph Weismann, un enfant juif qui a réussi à s'évader juste avant d'être poussé dansle train pour Auschwitz. Sarthois depuis 1943, Jo raconte sa véritable histoire...




« Je me souviens de ce 16 juillet 1942 comme si c'était hier. Il faisait très beau et très chaud à Paris. C'était les grandes vacances. J'avais 11 ans. Je me revois à l'angle de la rue des Abbesses et de la rue Lepic, dans le XVIIIe. Une fillette s'est approchée de moi : « Tu devrais rentrer chez toi, m'a-t-elle dit. Il se passe des choses aujourd'hui pour les juifs... » Les rafles avaient commencé à 4 h du matin. Le bruit s'était sûrement répandu dans la ville. Je suis rentré.



Nous habitions un tout petit appartement au quatrième étage d'un immeuble de la rue des Abbesses. Nous vivions à cinq : mon père qui était tailleur, ma mère, mes deux soeurs et moi, dans l'unique pièce qui servait également d'atelier.



À 12 h 30, deux hommes ont frappé à notre porte. Il y avait un agent français en uniforme et un autre en civil. Nous avons pris quelques affaires et les deux hommes nous ont emmenés vers un autobus.



Comment décrire le Vel'd'Hiv ? C'était une immense pagaille, une cohue invraisemblable ! Il y avait là 13 000 hommes, femmes, enfants, vieillards... Nous sommes restés là trois jours, sans manger, en dormant sur les gradins, avec des cabinets impraticables. L'odeur était épouvantable. Il s'est d'ailleurs produit un phénomène extrêmement curieux lors du tournage de La Rafle. Pour les besoins du film, une partie du Vel'd'Hiv' avait été reconstituée à Budapest. Quand je me suis retrouvé sur le plateau, j'ai dit : « Qu'est-ce que ça sent la pisse ! » Ma fille qui m'accompagnait a été très surprise. Elle m'a dit : « Mais non papa. Ça ne sent rien du tout. » Alors j'ai demandé autour de moi. Ça ne sentait rien... L'odeur m'était revenue avec cette « image ».



Au quatrième jour, nous avons quitté le Vel'd'Hiv'. Direction la gare d'Austerlitz où nous voyions des Allemands pour la première fois depuis le début de l'opération. On nous a entassés dans des wagons à bestiaux. Nous avons roulé toute la journée. Nous sommes descendus à la petite gare de Beaune-la-Rolande (dans le Loiret, NDLR), où nous avons rejoint le camp.



On nous servait un repas par jour : une soupe et un morceau de pain. Pour faire nos besoins, on s'asseyait sur une grande planche de bois percée de plusieurs trous. En dessous, il y avait un grand bac qu'on appelait « la tinette ». Alors que j'étais un garçon plutôt chétif et que c'était un travail d'homme, on m'a demandé d'aller la vider avec un camarade. C'était lourd et le garçon était plus grand que moi, si bien que je recevais tout sur mes vêtements. C'est à ce moment-là que j'ai vu des billets de banque dans les excréments. Je reviendrais les chercher plus tard quand j'aurais décidé de m'évader.



Nous sommes restés là entre quinze jours et trois semaines. Et puis, un matin, à 5 h, on nous a emmenés à la baraque des fouilles. Nous devions remettre nos valeurs aux miliciens. Les Allemands sont arrivés en fin de journée. Comme il y avait trop d'enfants pour le nombre de wagons, les officiers ont désigné, au hasard, ceux qui resteraient là en attendant le prochain train. Je suis l'un d'eux !



Je ne vous dirai pas ce qu'a été ce moment, où on m'a arraché à ma famille. Je ne peux pas. Je ne veux pas y revenir... Cette scène... Je ne pourrais pas la décrire. C'était insupportable. C'était la dernière fois que je voyais ma famille. Ils sont montés dans les wagons. Destination : solution finale. (Silence. Monsieur Weismann a les yeux humides...)



(Mais il poursuit). On nous avait dit : « Vous reverrez vos parents dans une semaine au plus tard. » Moi, je ne voulais qu'une chose : retrouver ma famille. Mais, à ce moment-là, la raison ne fonctionne plus. Et, du moment où j'ai été arraché aux miens, j'ai décidé de m'évader. Je me suis mis en quête d'un compagnon. Et j'ai rencontré Joseph. Mon « copain Jo », qui avait mon âge. On a fait une première tentative qui a lamentablement échoué. Puis une deuxième, le surlendemain. Nous avons mis des heures à traverser les rouleaux de barbelés. Aujourd'hui encore, j'ignore si le gendarme du mirador dormait ou s'il n'a pas voulu nous voir...



Nous avons couru dans les bois où nous avons passé trois nuits. Grâce aux 300 F que j'avais récupérés ¯ et lavés ¯, nous avons pris le bus puis le train pour Paris. Là-bas, nous nous sommes séparés. Je suis allé chez un ami de mon père qui tenait un bistrot hôtel dans une petite rue voisine de notre ancien appartement. Je lui ai raconté notre histoire. Il m'a donné une soupe et m'a emmené chez une dame, sur la butte Montmartre. Il ne pouvait pas me garder parce que la police venait régulièrement dans son établissement. Alors j'ai été placé dans un orphelinat, rue Lamarck. Comme ça devenait dangereux pour moi, on m'a sorti de Paris. C'est comme ça que je suis arrivé dans la Sarthe. À Pont-de-Gennes exactement (près du Mans).



J'ai été placé chez une lavandière avec deux petites juives, Judith et Léa. Nous sommes restés là jusqu'à la fin de la guerre.



La guerre finie, on nous a conduits dans un orphelinat, au Mans, rue de l'Éventail. C'est là qu'une dame est venue me chercher. Je les voyais le week-end, elle et son mari. Un jour, je leur ai demandé de me garder avec eux. Ils ont accepté. Je n'étais pas très doué pour les études (même si j'ai eu mon certificat d'études), mais je me débrouillais bien dans la vente. J'ai fait carrière dans leur magasin de meubles.



Longtemps, j'ai cru que je reverrais mes parents et mes soeurs. Cela n'a plus été le cas, après mon service militaire en 1951. Je suis resté au Mans. La France est mon pays. Un pays que j'aime et que je respecte. Je n'ai jamais pensé à partir. S'il y a un combat à mener, c'est ici qu'il faut le faire. Ma grande frustration, c'est que les trois principaux responsables de la rafle du Vel d'Hiv' n'ont pas été condamnés pour ce qu'ils avaient fait. Deux d'entre eux sont morts riches. Et Bousquet a été assassiné en 1993, juste avant d'être jugé pour crimes contre l'humanité. »



(Propos recueillis par Olivier Renault pour Ouest-France, jeudi 4 mars 2010)
Photo : D.R.
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