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Dans son édition du 21 décembre 2004 le journal en ligne Proche-Orient Info revient sur quelques pathétiques péripéties qui, in fine, ont permis au congrès mondial « Imams et Rabbins pour la paix » de se tenir : «La seule annonce que ce congrès se tiendra bien, est une nouvelle étonnante, tant on finissait par douter qu'il pourrait avoir lieu. Car il en aura fallu des contretemps et des péripéties depuis la scène originelle d'où est née, il y a un an et demi, l'idée de cette rencontre à grande échelle. Au départ, une altercation toute bête, lors du pacifiant Congrès de Caux, entre un rabbin israélien et un imam palestinien d'Hébron venu à la tribune dire qu'il lui avait fallu plus de trente-six heures pour sortir d'Israël… Colère du rabbin scandalisé par cette plainte publique… Claquage de portes… Ruminations… Mais contre toute attente, le rabbin était revenu, s'était dit désolé… Et les deux hommes avaient fini par se serrer la main. Avait plané à ce moment-là sur l'assemblée le sentiment que quelque chose de décoiffant venait de se passer…»
Entamé le lundi 3 janvier 2005, le Congrès mondial « Imams et Rabbins pour la paix », n’en aura pas moins réussi à réunir, le temps d’une rencontre et pour la première fois, une centaine d’imams et de rabbins venus du monde entier dans le seul but d’établir un dialogue entre juifs et musulmans. Se déroulant sous le patronage de SM le Roi Mohammed VI et SM Albert II, Roi des Belges, l’événement a été organisé par la fondation « Hommes de parole », celle qui était à l’origine d’une manifestation similaire, mais à moindre échelle, de dialogue entre représentants des religions musulmane et judaïque, en 2003 en Suisse. Quatre jours durant, quelques hauts dignitaires de ces deux religions monothéistes ont discuté de tous les grands sujets ayant trait à la coexistence de l’Islam et du Judaïsme dans le monde.
L’ouverture du Congrès
D'entrée, Alain Michel, président d'Hommes de parole, a pressé ses invités de « délégitimer et mettre hors la loi toutes les violences commises au nom de Dieu et de la religion », rapporte Le Monde du 4 janvier 2005. Et d'agir pour combattre « l'ignorance de l'autre, génératrice de la haine et du rejet ». Prêtant le geste à la parole, l'ancien grand rabbin d'Israël, Bakshi Doron, et cheikh Talal Sedir, imam d'Hébron et ministre palestinien des affaires religieuses, se sont donné l'accolade. Dénonçant les attentats-suicides en Israël, le grand rabbin a stigmatisé « des actes qui n'ont rien à voir avec la religion », rappelé que la protection de la vie était la loi la plus sacrée des trois monothéismes et conclu sur l'urgence d'arrêter ces « guerres de religion ». A aucun moment il n'a mis l'islam en cause.
Sur le même ton, le ministre palestinien a expliqué l'échec des plans de paix au Proche-Orient par l'aveuglement des responsables politiques sur le sort d' « une Terre sainte souillée du sang de ses populations » que juifs, chrétiens et musulmans ont en partage, rapporte Le Monde du 4 janvier. Lui aussi a désavoué les actes de terrorisme commis pour des motifs religieux : « Les seuls qui se réjouissent de la mort d'un enfant israélien sont ceux qui ignorent tout de la parole de Dieu », a souligné Talal Sedir, très applaudi.
D'autres rabbins et imams se sont succédé pour dénoncer les amalgames politico-religieux, les interprétations fondamentalistes de la Torah et du Coran, les appels à la haine raciste, antisémitisme d'un côté, islamophobie de l'autre. Pour René-Samuel Sirat, ancien grand rabbin de France, il est temps de créer un Etat palestinien à côté d'un Etat juif, « car c'est de la paix de Jérusalem que viendra la paix du monde ».
De son côté, le rabbin de Norvège, Michaël Melchior, initiateur d'un processus interconfessionnel de paix à Alexandrie (Egypte) après les attentats du 11 Septembre, est venu demander à Bruxelles de faire cesser les « manipulations » sur le thème de la « sainteté » de la terre, souligne le quotidien du soir. Cet enthousiasme est celui de tous les commencements, mais de telles rencontres ne touchent souvent que des personnalités déjà convaincues de leur utilité. Au nom d'un œcuménisme bon teint, les aspérités sont gommées. "Evitons la naïveté", a averti Albert Dupont, ministre belge de l'intégration, conclut Le Monde.
Le message du roi du Maroc
C’est probablement au Maroc que l’on parle le plus de ce congrès mondial. La presse marocaine couvre très largement l’événement et de nombreux articles ont été publiés sur le sujet. Lors de la séance inaugurale, raconte Aujourd’hui le Maroc (3 janvier 2005), le ministre des Habous et des Affaires islamiques Ahmed Taoufik a donné lecture d’un message royal adressé aux participants. Dans ce message, le Roi a souligné la responsabilité qui incombe à tous, en particulier aux imams et aux rabbins, « à savoir être solidairement les chantres de la protection du droit des Palestiniens à vivre en paix, dans la dignité et la justice, côte à côte avec les Israéliens ». «Notre devoir à tous est de briser ce miroir mystificateur qui renvoie, depuis trop longtemps, de nos peuples et nos nations, une image erronée et hideuse, dénaturant et rendant méconnaissable la notion de guerre sainte», a affirmé le Souverain. Et SM Mohammed VI d’appeler également à la nécessité de mettre en place «une pédagogie raffinée qui soit contextuelle et structurelle -et non événementielle -, une pédagogie consistante et profonde, élaborée avec le recul et la patience qu’il faut et caractérisée par l’efficacité qui s’impose». Cette rencontre au sommet revêt selon le quotidien marocain une importance fondamentale dans un contexte mondial rendu difficile par le conflit israélo-palestinien, la situation en Irak ou d’autres évènements récents comme ceux de Madrid. «Aujourd’hui, plus que jamais, a souligné SM le Roi, il est impérieux que nous refassions nôtres, le nom et les paroles de Dieu et que nous leur rendions leur parure et la charge sémantique authentique qui était la leur initialement et qui est porteuse de valeurs d’écoute mutuelle, de dialogue, d’élévation morale et spirituelle et d’épanouissement », a affirmé Sa Majesté (Menara 6 janvier, Al Bayane 5 janvier 2005).
Le Maroc a été représenté par André Azoulay, conseiller de Sa Majesté, le ministre des Habous et des Affaires islamiques, Ahmed Taoufiq et le président de l’université Al Akhawayne, Rachid Belmokhtar. La Libre Belgique du 5 janvier 2005 a mis en exergue l’intervention d’André Azoulay, conseiller du roi Mohamed VI. «Selon sa propre définition, il est surtout «juif, arabe et homme du monde». Bien qu'étant ni rabbin, ni imam, mais proche de par ses origines des mondes précités, son intervention (lors du congrès des imams et des rabbins) a été longuement applaudie par l'ensemble des participants. L'homme, qui dit «être engagé dans le dialogue entre les religions depuis qu' (il a) un peu de conscience», manifeste de grandes craintes face au climat de haine actuel. «Jadis, on aurait rassemblé des milliers de personnes lorsqu'on décidait d'approfondir ce qui nous unit; aujourd'hui, l'équation a profondément changé et on est loin de l'esprit convivial et consensuel d'antan.» André Azoulay est aussi très préoccupé par le fait que «la parole de Dieu a été prise en otage par les champions de la fracture. Aujourd'hui, l'on doute et on ne répond que par la violence. Il est plus que temps que nous reprenions l'initiative pour dire quelle est la vérité. Il nous faut nous emparer de nouveau des causes justes et ne plus en laisser l'initiative aux guides de fausses croisades». Et de souscrire au fait qu' «il faut au plus vite sortir du débat théorique et accepter comme hommes de parole d'entrer dans l'arène».
Si une conclusion provisoire devait être formulée, elle reviendrait au quotidien marocain Le Matin du 5 janvier qui énonce cette vérité : « Pour la première fois, depuis des années, l'image des religieux qui prêchent la parole de Dieu, juste et équitable triomphe sur celle des fanatiques que nous renvoient les JT des télévisions du monde. »
Marc Knobel