Tribune
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Publié le 19 Octobre 2004

La presse en folie Revue de la presse : 5 – 20 octobre 2004

Et si nous parlions des déclarations de Michel Barnier à Roglit (région de Jérusalem) devant le mémorial de la déportation des Juifs de France ?




Pour sa première visite d'Etat dans le pays hébreu, le chef de la diplomatie française a affirmé le dimanche 17 octobre que la France ne transigera « jamais » dans la lutte contre l'antisémitisme. Le chef de la diplomatie française, Michel Barnier, était venu se recueillir à Roglit (région de Jérusalem) devant le mémorial de la déportation des Juifs de France.

« Nous ne transigerons pas, nous ne transigerons jamais » devant les actes d'antisémitisme, a déclaré Michel Barnier devant le monument sur lequel figurent les noms de 80.000 juifs français tués dans les camps nazis.» Les bourreaux de Treblinka, de Dachau avaient voulu effacer le souvenir même de leurs victimes, effacer l'humain dans l'homme, voilà ce qui rend leur crime indicible », a rappelé M. Barnier. « Mais nous sommes ici pour dire avec vous qu'ils ont échoué », a-t-il ajouté devant un parterre de plusieurs dizaines de parents de victimes de l'Holocauste.


En soulignant que la France mettait aujourd'hui « tout en oeuvre pour sanctionner » les actes d'antisémitisme qui sont en augmentation en France, le ministre a fait valoir que « rien ne saurait (les) excuser ». « Ni la situation sociale de leurs auteurs, ni parfois leur extrême jeunesse », a-t-il souligné. Le ministre qui entame en Israël une visite de plus de 48 heures, a écouté des témoignages de fils de déportés et un morceau de musique interprété au violon par un rescapé d'Auschwitz. Il a planté aussi un « olivier du souvenir » à la mémoire des victimes. (Le nouvel observateur, Le Monde, 18 octobre)


Et si nous parlions d’Alain Ménargues, directeur général adjoint chargé des antennes et de l'information de Radio France Internationale (RFI) ?


Alain Ménargues a présenté sa démission au président de RFI, Antoine Schwarz, qui l'a acceptée, a annoncé RFI lundi. Des propos tenus récemment par M. Ménargues sur les juifs et Israël sur l'antenne de Radio Courtoisie avaient provoqué de très vives réactions, notamment de syndicats de journalistes de RFI et de la Société des journalistes de la station.

Interrogé sur son livre « Le Mur de Sharon », M. Ménargues avait déclaré le 12 octobre, selon une cassette fournie par la station: « j'ai été très choqué par le Mur, j'ai été voir des gens, des rabbins, des hommes politiques, si vous regardez le Lévitique dans la Torah, qu'est-ce-que c'est? La séparation du pur et de l'impur. Un Juif pour pouvoir prier doit être pur, tout ce qui vient contrarier cette pureté doit être séparé (...) Lisez le Lévitique, c'est écrit en toutes lettres ».

« Quel a été le premier ghetto au monde? Il était à Venise. Qui est-ce qui l'a créé? C'est les Juifs mêmes pour se séparer du reste. Après, l'Europe les a mis dans des ghettos », a-t-il poursuivi dans La Libre Belgique du 10 octobre 2004.


En outre, M. Ménargues avait qualifié Israël d' « Etat raciste », le 6 octobre lors de la présentation de son livre au Centre d'accueil de la presse étrangère à Paris (CAPE).

Enfin, le 30 septembre, au cours d'un débat sur la chaîne française d'information LCI, il avait dit à l'un des participants : « Vous dites qu'Israël est un Etat démocratique, permettez-moi de dire très rapidement, c'est aussi un Etat raciste. Si vous prenez les lois fondamentales, (sont) citoyens a nationalité, mais la nationalité est divisée en termes de religion. La loi du retour, elle ne concerne que les Juifs. Qu'est-ce que c'est que la base du sionisme? C'est de faire un état pour les juifs ». Les organisations représentant les journalistes de RFI avaient vivement protesté et demandé à la direction de la station de « prendre ses responsabilités ». Elles ont invité le personnel à une assemblée générale lundi 18 octobre à la mi-journée au siège de la radio à Paris.


Rappelons simplement qu’Alain Ménargues a été longtemps le correspondant de Radio-France à Beyrouth (source : L'Express, Le Matin, France2)


Et si nous parlions de l’accumulation d’outrances ?


Dans son édition du 16 octobre 2004, Le Figaro Magazine présente quelques extraits en exclusivité du dernier livre du philosophe André Glucksman : «le Discours de la haine». Nous avons choisi de reproduire de cet ensemble, ce court extrait très significatif:


« Soyons clairs. Le propos n'est pas ici d'incriminer quiconque critique telle ou telle politique d'Israël. Que ce soit celle du gouvernement ou celle de l'opposition. Pacifisme ou bellicisme. Chaque citoyen, sur notre planète éclairée, dispose librement du droit d'exprimer une opinion négative touchant la ligne supposée trop militariste de tel leader ou trop angélique de tel autre. A l'exemple des électeurs israéliens qui perdent rarement l'occasion de contester impitoyablement leurs éphémères représentants, nul n'est tenu de soutenir sans conditions la majorité au pouvoir, sous peine de tomber dans l'absurdité de condamner, non moins sans conditions, l'opposition du jour, laquelle peut démocratiquement devenir la majorité de demain.


Marquer son désaccord avec une option stratégique, pour l'instant dominante dans l'opinion israélienne, ne mérite donc aucunement d'être taxé d'antisémite, antijuif ou judéophobe. Est-ce à dire que ces qualificatifs péjoratifs sont désormais hors d'usage ? Ou bien que de multiples exagérations et dérapages transgressent le champ des libres discussions et leur prêtent une nouvelle vie ? L'outrance signale communément que la passion est en train de l'emporter sur le bon sens. L'accumulation d'outrances témoigne que l'argumentation rationnelle ou raisonnable cède le pas à des pulsions inavouées parce qu'encore inavouables. »


Et si nous parlions des attentats suicides ?


Evelyne Guzy et Joëlle Melviez, auteurs de «Attentats Suicides. Le cas israélo-palestinien» (1) montre dans un article qui est publié dans La Libre Belgique (10 octobre) que, reposant sur les seuls ressorts de la compassion, une vision caricaturale de la réalité israélo-palestinienne mène à une impasse éthique : « Le terrorisme islamiste contemporain est une nouvelle forme de totalitarisme. Sa mécanique repose sur la primauté d'une vision du monde considérée comme indiscutable, sur la supériorité du groupe d'appartenance, au mépris de toute existence humaine, y compris celle du kamikaze. Dans la logique terroriste, seule compte la fin, peu importent les moyens. Les auteurs d'attentats suicides sont manipulés par de puissantes organisations. Au mépris du respect de la vie prôné par l'islam, de jeunes gens sont envoyés à la mort en échange d'une gloire posthume ou de l'établissement hypothétique d'un vaste Etat islamique. Ils pensent sanctifier leur combat du sang répandu par leurs victimes sacrifiées, avec le plus de cruauté possible, sur l'autel de leur idéologie mortifère. Et nous voilà médusés, face à nos écrans de télévision, nous demandant, quel «désespoir» peut provoquer un tel déferlement de violence aveugle, qui est «le coupable» de la haine terroriste. Nous nous prenons alors à penser: «Et si c'était sa victime?» Quelle vision avons-nous de cette guerre? »


Et si nous parlions encore des attentats suicides ?


Il a sur les attentats suicides un point de vue tranché. Dans son milieu d'intellectuels de gauche en Belgique, Mertens ne va pas se faire que des copains. Il n'en a cure.

Intellectuel engagé à gauche, Pierre Mertens l'est certainement. Il préface un livre consacré aux attentats suicides (2) qui frappent depuis des années Israël. Il est rédigé par un collectif de Belges qui entendent dénoncer de manière virulente ces attentats, sans cautionner pour autant la politique d’Ariel Sharon et sans nier les droits des Palestiniens. Et aussi pour nouer le dialogue avec les musulmans qui récusent ces actions mortifères. Car comment avoir le respect de la vie d'autrui quand on n'en a aucun pour la sienne propre ?

Extraits de l’entretien accordé au quotidien Le Soir (Belgique). Les propos sont recueillis par Philippe Brewaeys :

Le Soir : Pourquoi avoir préfacé ce livre rédigé par des inconnus ?

Pierre Mertens : J'ai beaucoup écrit sur le terrorisme tout au long de ma vie et plus autrefois qu'aujourd'hui. J'y suis cependant revenu de façon récurrente en changeant parfois un petit de point de vue. J'appartiens à une génération qui, au moment des agissements des Brigades Rouges, de la Rote Armee Fraktion et des fedayins d'autrefois, sans justifier aucunement le recours à de telles armes, cherchait à expliquer certaines réactions désespérées. Quelque fois, sans s'en rendre compte, nous n'étions pas loin de basculer dans une sorte de fascination pour ce mode d'autodéfense. Comme le problème du Proche-Orient a continué de me hanter et que je suis allé très souvent dans cette région, je me suis rapidement rendu compte que cette deuxième Intifada n'était pas à confondre avec la première. Que des points de vue radicaux que nous avons exposés dans les années 1970 ne sont plus du tout pertinents aujourd'hui. Que tout a changé et tout est à reprendre en considération à zéro. Que le terrorisme doit être condamné aujourd'hui avec beaucoup plus de lucidité et de fermeté que naguère.

Je cautionne donc ce livre en pensant qu'il est d'une grande salubrité, d'une grande hygiène. II n'a rien de manichéen, ce qui aujourd'hui est assez rare. Il ne bascule dans aucune simplification, dans aucun sectarisme, il n'ignore pas la complexité du problème palestinien mais il n'admet pas pour autant l'utilisation de « l'arme des faibles ». Je trouve cette expression ridicule car c'est plutôt «l'arme des lâches».

Le Soir : Ancien professeur de droit international, vous vous en prenez à la cour de la Haye. Elle détournerait le droit international sur la question du mur de sécurité construit par Israël dans les territoires occupés.

Pierre Mertens : J'ai trouvé le procès réducteur. Je comprends qu'Israël n'ait pas voulu même y comparaître, sachant que la cause était perdue d'avance, que les jeux étaient faits. J'ai horreur de la présomption de culpabilité, que ce soit dans un procès national et devant une justice internationale à plus forte raison. J'avais l'impression qu'il n'y avait guère de chance que des points de vue vraiment antagonistes puissent y être exposés « à armes égales », c'est le cas de le dire. Par conséquent, je trouve qu'on assiste à une dérive un peu triste parce que la Cour de la Haye a un plus beau passé qu'elle n'a un beau présent. Je comprends parfaitement l'attitude de dérobade volontaire d'Israël. En plus, j'ai trouvé d'un symbolisme assez fort le fait d'aller déposer à la Haye, le jour de la première audience du procès, des bus calcinés qui avaient été détruits lors d'attentats suicide quelques mois auparavant dans différentes villes d'Israël: c'était une réplique assez imagée qui s'imposait. Tout en restant un militant du droit international, je regrette vraiment l'évolution récente non pas du droit mais de l'application qu'on prétend en faire et qui n'augure rien de bon.

Le Soir : Vous vous en prenez aussi aux « esprits forts de l'Occident », aux intellectuels qui condamnent insuffisamment ces attentats. Vous en êtes un aussi. Vous crachez pour la deuxième fois dans la soupe ?

Pierre Mertens : Il ne s'agit ni de soupe, ni de cracher, ce n'est pas mon occupation favorite. Mais je m'en prends à une certaine forme d'intellectuels « despéradistes », grands amateurs de violence pourvu qu'ils restent en charentaises au coin du feu. Ce ne sont généralement pas des hommes de terrain car cela ne les intéresse pas. Ils ne se déplacent jamais et croient tout voir avec discernement mais de très, très loin. Ils sont effleurés par des rêves dostoïevskiens, nietzschéens, dont ils font une application assez navrante, qui n'est pas loin d'une espèce de névrose masochiste ou paranoïaque. Ces grands amateurs de violence entre la poire et le fromage ne sont pas des gens très fréquentables à mes yeux.

Le Soir : Vous allez jusqu'à les comparer à des fascistes.

Pierre Mertens : Ils ont une façon d'approuver le fait de donner la mort de n'importe quelle manière, la fin justifiant les moyens ! On n'est pas loin du « Viva la muerte » des franquistes pendant la guerre d'Espagne. C'est un slogan fasciste qui reçoit chez eux une caution qu'il m'est assez pénible de contempler.

Marc Knobel

Notes :

1. Auteurs avec Ouzia Chait, Liliane Charenzowski, Regina Cykiert, Eliane Feld, Pascale Gruber, Danielle Perez, Alain Reisenfeld, Dominique Salomon et Danielle Wajs de «Attentats-suicides. Le cas israélo-palestinien», sous la direction d'Evelyne Guzy, préface de Pierre Mertens, 144 pages, 2004, (Voix du jour. Éd. Luc Pire).

2. Attentats-suicides, Le cas israélo-palestinien, Éd Luc Pire, 140 p.