Tribune
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Publié le 20 Juin 2008

La bonne conscience est en marche : «circulez ! Y a rien à voir !»

Est-il possible, en France, en 2008 de commenter le conflit israélo arabe sans participer aux fureurs, aux insultes, aux délires qu’il suscite ? Est-il possible de mettre en cause des récits, des images, sans pour autant hurler à la conspiration, au complot d’où qu’il vienne ? Est-il possible d’admettre que l’on se serait trompé ? D’estimer que ce que l’on pensait vrai pouvait être faux ? Est-il possible de sortir des vérités idéologiques pour considérer la vérité des faits ? Peut-on ici, un instant, dire « pouce ! » Réfléchissons, faisons le pari de la bonne foi et mettons les choses sur la table. Ici, en France, nous ne craignons rien d’autre que des jets d’encre, pas de jets de pierre, pas de balles réelles, juste quelques crachats symboliques.


De quelle autorité morale se prévalent celles et ceux qui accusent de « lynchage médiatique » ceux qui veulent connaître la vérité d’une affaire dramatique, aux effets tous aussi dramatiques ? De quelle vertu autoproclamée se parent-ils pour prétendre à priori avoir raison et détenir la vérité ? Ne se sont-ils jamais trompés ? N’ont-ils jamais eu des certitudes démenties plus tard par des réalités qu’on ne voulait pas voir ? N’y a-t-il pas eu pendant des années un interdit de penser « l’avenir radieux » ou le «socialisme réel » ? N’a-t-on jamais été aveugle sur les bavures des « justes causes » ? La « cause palestinienne » n’a-t-elle pas engendré des cécités qui loin de la servir, ont contribué à l’enfermer dans une fiction idéologiquement enchantée?
Quelle est l’affaire ? La polémique Enderlin, Karsenty, Al Durrah.
Quels sont les faits ?
Ils sont simples. Le 30 septembre 2000 un commentaire de Charles Enderlin accompagnait les images de la mort d’un enfant palestinien à l’abri de son père sous le feu supposé de soldats israéliens. Images terribles, fascinantes, hypnotisantes car le spectateur sait que l’enfant va mourir. Images effrayantes de cet enfant hurlant de terreur, insupportables pour tous parents qui s’identifient à la scène, qui partagent la souffrance du père, sa terreur morale de sentir venir la pire des catastrophes. Images conduisant immédiatement à la détestation radicale des responsables de cette horreur. La mort avait pénétré chaque foyer-télé et avec elle le dégoût et la tristesse. C’est donc cela Israël ? La pureté des armes ? Les valeureux soldats juifs ? Des assassins comme les autres. Toute cette mécanique psychique s’est immédiatement mise en place dans des millions de cerveaux-télé.
Les choses étaient clairement dites : cet enfant était la victime choisie des tirs israéliens.
Aujourd’hui rien n’est moins évident.
D’autres personnes, d’autres journalistes, tous aussi compétents et responsables que Charles Enderlin ont émis des doutes légitimes. Le visionnage d’autres images ont montré des mises en scène de combats fictifs où des enfants et des adultes palestiniens jouent les blessés et les morts. A-t-on jamais montré ces images à la télévision ? Non, jamais. Pourquoi ? Par ailleurs, rien ne permet de conclure à une origine israélienne des tirs. De nombreuses expertises arrivent à cette conclusion.
On pourrait cependant estimer que les images filmées par le cadreur de Charles Enderlin à Netzarim ne correspondaient pas à ces mises en scènes et que la fusillade, bien réelle ce même jour, avait eu pour conséquence la mort de Mohamed Al Durah. Cependant d’autres rushs de la scène Al Durah restent troublants et posent des questions légitimes: on y voit l’enfant, supposé décédé, lever un coude et regarder la caméra. Un chiffon rouge y tient lieu de tache de sang. Le père de Mohamad, Jamal al Durah, présenté comme grièvement blessé ne laisse voir aucune tache de sang sur son vêtement. Pourquoi ? Deux jours plus tard cet homme est présenté à la presse. En guise de preuve, on fait voir ses blessures. Celles ci ne correspondent en rien à des blessures causées par des impacts de balles reçues ce 30 septembre 2000. Les cicatrices ainsi exhibées correspondent à d’autres blessures, provoquées par des armes blanches et soignées en 1994 par un médecin israélien à qui le blessé Jamal al Durah avait été confié par un hôpital palestinien. Ce chirurgien militaire a opéré Mr Al Durah, lui a rendu l’usage de son bras estropié par des coups de haches reçus à Gaza en 1994. Le dossier médical retrouvé atteste de ces faits. Enfin, Charles Enderlin prétend avoir coupé au montage les images de l’agonie de l’enfant, parce que jugées insoutenables. Ces images n’ont jamais été vues, jamais montrées au tribunal qui aurait été à même d’en constater l’authenticité. Ces éléments amènent à penser que ce qui a été donné à voir au téléspectateur d’Antenne 2 ne correspondait pas à la réalité des faits.
Il n’est pas question de dire ici que Charles Enderlin était l’organisateur d’une quelconque mise en scène. A-t-il pris soin de vérifier l’authenticité de ce que son cadreur avait rapporté ? L’urgence du scoop n’a-t-elle pas pris le pas sur le souci de vérité ? Il n’est pas question de conspiration, sinon au bout du compte de l’enfermement vaniteux de celui qui ne veut pas reconnaître les incohérences et qui use de son statut comme argument d’autorité, comme preuve suffisante de sa vérité. S’il y a « complot », c’est celui des complicités corporatistes. Celles qui couvrent et qui font silence sur les questions posées.
Sous d’autres latitudes une telle avalanche de questions aurait incité à montrer au public ou au moins aux juges, tous les éléments prouvant la bonne foi afin de couper court à ce qui est aujourd’hui présenté comme diffamatoire. Un journaliste, reconnu pour sa grande connaissance du sujet et du terrain, pour ses compétences professionnelles, est-il, pour autant et pour les raisons précédemment citées, à l’abri de toute erreur, de toute faute ? Est-il à l’abri de toute vanité qui lui ferait dénier toute erreur d’appréciation possible ?
Il y a sans doute, à Paris, des lynchages médiatiques, mais il y a eu bien pire ailleurs. Deux soldats israéliens furent lynchés à mort à Ramallah par une foule qui voulait se venger d’un crime dont ces soldats étaient solidairement responsables, celui de la mort d’un enfant palestinien le 30 septembre 2000 à Gaza.
Le « circulez ! Y a rien à voir », qui condamne tout commentaire, toute critique, toute mise en cause du travail de Charles Enderlin à propos d’une affaire précise, aux conséquences dramatiques, relève d’un interdit de comprendre, d’une insulte à l’intelligence de ceux qui prétendent vouloir réfléchir aux mécaniques qui construisent l’histoire. Ces images de la mort de l’enfant palestinien ont ajouté de la haine à la violence de la seconde intifada. Des centaines de personnes y ont perdu la vie. Nous ne sommes pas au sein d’un débat futile de la Rive Gauche ou de la susceptibilité narcissique d’un journaliste. Pour une affaire d’une telle gravité, l’argument qui consiste à présenter la vérité des images montrées à la télévision comme « correspondant à la réalité de la situation non seulement à Gaza mais aussi en Cisjordanie » (Charles Enderlin. Le Figaro 27 janvier 2005) est irrecevable : ce n’est pas parce que les choses auraient pu être qu’elles ont été.
Le lendemain de la diffusion de ces images, à la radio, une journaliste avertie, estimait que ces images annulaient, effaçaient symboliquement celle de l’enfant juif en culotte courte, mis en joue par un SS dans le ghetto de Varsovie. Si Mohamad al Durah était devenu le nouvel enfant juif, qui était le nouveau SS ? La réponse fut apportée dans les mois qui suivirent, quand dans des manifestations le signe « égal » fut mis entre la croix gammée et l’étoile juive.
Les pétitions qui dénoncent l’acharnement judiciaire sont le corollaire d’un acharnement à une dissimulation tout aussi acharnée. Qui des pétitionnaires a pris soin de regarder ces autres images ? Qui a considéré ces autres faits, ces autres arguments ? Ce sont des attitudes réflexes nourries d’à priori, de déjà pensé, au nom de raisons diverses, d’intérêts supérieurs qui ont trop souvent privilégié les croyances idéologiques au détriment de la vérité des faits.
Nous reposons la question : a t on le droit de savoir ? A-t-on le droit de voir ce qui n’a pas été montré? A-t-on le droit de contester la vérité supposée d’images montrées au vu d’autres images permettant de penser que ce qui a été donné à voir était incomplet ? Est-il intellectuellement obscène de penser de poser ces questions? A-t-on le droit de mettre en cause ce qui pouvait paraître à certains comme allant de soi, évident, de toute vérité, quand on peut connaître d’autres faits, d’autres informations, d’autres images qui corrigent ces à priori ? A-t-on le droit de demander des comptes ou bien au contraire il faut estimer que certaines personnes mises en cause seraient au dessus du droit commun ? Statut étonnant pour une entreprise relevant du sacro saint service public.
Les média ne sont pas des catégories morales et les journalistes ne sont pas des êtres de vertu structurellement habités par un souci constant de vérité, des personnes à priori au dessus de tout soupçon. Faut-il rappeler les fausses images du faux massacre de Timissoara, une interview télévisée bidonnée de Fidel Castro ou un article rapportant de faux viols commis par les soldats israéliens ? Si parfois les erreurs sont reconnues, imputables à de providentielles « erreurs techniques », la plus part du temps, la faute s’évanouit comme l’eau glisse sur les plumes du canard sorti de la mare.
Pour avoir osé analyser dans les années 2000, les raisons de la déferlante médiatique haineuse en France contre Israël et réalisé le film, Décryptage, les auteurs de ces lignes se sont vus disqualifiés, insultés, traités de menteur, d’imposteurs, de fascistes, d’agents du « complot-sioniste-international » . Nous pointions dans ce film les racines de ce mal français dont la relation tordue au « signe juif » est le symptôme. Nous pensions, naïvement, aujourd’hui, que le temps avait fait son travail thérapeutique. Nous pensions que monde avait cessé de croire aux contes idéologiques. Nous pensions que les mythologies politiques étaient tombées avec le mur de Berlin.
Nous nous sommes trompés. L’addition des vanités et de la bienpensance produit les mêmes effets. Le politiquement correct veut que les images de victimes imaginaires ou réelles leur donnent toujours raison. Peu importe si ces victimes ont été poussées devant pour faire de belles images au JT de 20 heures. Peu importe si les morts du « massacre de Jenine » remontaient seuls sur leur civière. En 1982 un journaliste avisé commentait ainsi le siège de Beyrouth par la soldatesque sanguinaire du monstre Sharon : « la solution finale de la question palestinienne est commencée par Israël ». Il ne fut pas sanctionné pour ce commentaire crapuleux mais pour s’être moqué de la princesse Grace de Monaco.
Certains, en France, ont pris connaissance, depuis peu, que la pensée du Président Mao n’avait jamais fait pousser le riz plus rapidement que la nature, la pensée d’Arafat non plus. Dans l’affaire présente, la « vérité du contexte » invoquée en défense ne saurait se substituer à la vérité des faits mais nous le savons, en France on adore toujours se tromper avec Sartre plutôt qu’avoir raison avec Aron.
Philippe Bensoussan et Jacques Tarnero, auteurs du film " Décryptages"