Tribune
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Publié le 17 Décembre 2007

Gérard Israël : la transmission de l'estime

A la mi-temps du siècle dernier, le Concile Vatican II a ouvert une voie originale : La déclaration sur les juifs, présentée, en 1963, à l’ouverture du Concile, a résonné d’abord en sourdine, puis plus intensément dans la conscience religieuse de ceux qui sont restés les tenants du judaïsme, mais tout autant parmi nombre de chrétiens d’aujourd’hui :


« Que tous aient soin de ne rien enseigner dans la catéchèse ou la prédication de la parole de Dieu qui puise faire naître dans le cœur des fidèles la haine ou le mépris envers les juifs ; que jamais le peuple juif ne soit présenté comme une race réprouvée ou maudite ou coupable de déicide. Ce qui a été fait dans la passion du Christ ne peut nullement être imputé à tout le peuple alors existant et encore moins au peuple d’aujourd’hui. »
Ce texte voté en première lecture par le Concile, exprime la véritable intention du plus haut de la hiérarchie catholique. Ainsi était révélé, un projet fondamental. Ainsi étaient affirmés des principes qui seuls étaient de nature à répondre à une attente inexprimée des juifs et à l’exigence de justice manifestée, après ce qui s’était passé, par de nombreux chrétiens.
Tout était dit, mais tout restait à faire.
Les Evêques de France, soucieux d’une mise en œuvre rapide des principes proclamés par l’Eglise, publiaient, dix ans après Vatican II, une déclaration audacieuse qui en particulier, réhabilitait les pharisiens souvent présentés de façon archétypique, comme hypocrites : « La doctrine des pharisiens n’est pas à l’opposé du christianisme ». Dans le même mouvement, les évêques soulignent que toute volonté systématique de convertir les juifs n’est pas de mise. De plus, l’épiscopat français fut le premier à reconnaître dès 1973 qu’une partie importante du peuple juif accordait une signification spirituelle particulière à sa réunion en Terre sainte. De même, les évêques de France insistaient sur les conséquences religieuses de la Catastrophe.
Ce texte, chaleureusement salué par les communautés juives, reste le premier à avoir tenté de mettre en œuvre et à amplifier les principes énoncés par la déclaration conciliaire. Mais surtout, l’intervention de l’Episcopat français dont le secrétaire était à l’époque, le Père Dupuy, avait ouvert une voie :
Rome était incité à aller plus loin encore dans sa recherche de clarification d’un certain enseignement chrétien concernant les juifs.
C’est seulement vingt ans après Vatican II que l’Eglise traite avec détermination les questions fondamentales qui ont marqué la séparation entre juifs et chrétiens et s’efforce d’en limiter les conséquences. Le plus importants était donc d’instruire les communautés catholiques, dans un souci pédagogique, qu’un changement d’optique s’imposait.
Dans un document intitulé « Notes pour une correcte présentation des juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l’Eglise catholique », il est affirmé qu’une meilleure connaissance mutuelle entre juifs et chrétiens « déteint sur l’identité chrétienne » ; ce qui signifie que le judaïsme n’est pas une survivance mais qu’au contraire il entre dans la qualification de ce qu’est vraiment aujourd’hui la religion de Jésus.
Les « Notes » abordent sans réticence la question fondamentale de la relation de Jésus à son peuple, le peuple d’Israël. Ce texte souligne « la difficulté (des juifs) à reconnaître Jésus » mais n’évoque ni un refus ni un rejet du Nazaréen par la plupart des juifs de son temps.
De plus les « Notes » reconnaissent que l’emploi du mot juif dans l’Evangile prête à confusion en cela qu’il apparaîtrait comme signifiant adversaires de Jésus.
Finalement les « Notes » regrettent le phénomène douloureux que représente la rupture entre juifs et chrétiens et souligne que « le lien qui les unit demeure intact »
Cependant, était-il compréhensible que l’Eglise passe sous silence l’existence d’un Etat hébreu qui, au lendemain du Grand Crime, avait conduit les quelques rescapés et nombre de désespérés à rejoindre le site de l’ancienne grandeur d’Israël et à intégrer un pays considéré par eux comme l’épicentre de l’existence juive ?
En 1994 alors qu’un espoir de règlement de paix entre Israéliens et Palestiniens se faisait jour, impliquant la reconnaissance d’Israël par l’Organisation de libération de la Palestine et celle de cette dernière par l’Etat hébreu, le Saint Siège reconnaissait sans réserve, juridiquement et religieusement, l’Etat juif.
Il ne s’agissait pas d’un simple acte diplomatique. Ce n’était pas l’Etat du Vatican qui avait reconnu l’Etat d’Israël, mais bien le Saint Siège qui en acceptait la légitimité. Ainsi était saluée l’existence d’une autorité juive sur la terre que Jésus avait foulé de ses pieds, sur laquelle il avait prêché et où il fut crucifié.
Et pour que personne ne s’y trompe, le pape Jean Paul II se rend à Jérusalem, aux pieds du Mur des Lamentations et, comme un simple fidèle, adresse une prière muette à son Dieu.
A ce moment là, le dernier geste attendu de l’Eglise restait le plus important : Comment les catholiques en particulier devaient-ils « traiter » du martyre des juifs d’Europe durant la deuxième guerre mondiale ?
Dans ce domaine surtout, les Evêques français devaient exercer une influence déterminante sur l’ensemble du monde catholique du moins en Europe et aux Etats-Unis.
En octobre 1997, voilà dix ans, l’Episcopat de France lançait, de façon solennelle, depuis le site de Drancy, en région parisienne, sur lequel ont été rassemblés les hommes, les femmes, les vieillards, les enfants voués à la déportation et à la mort, un appel d’une élévation qui a touché les juifs de toutes générations.
C’est donc à nouveau de France qu’est venu un appel incitatif vers une intervention religieuse face à la Choah, qualifiée d’ « Evénement majeur dans l’histoire du XX° siècle ». Cet événement ne saurait être qualifié comme « un simple détail de l’histoire ». Et surtout, est annoncé que le temps est venu pour l’Eglise de « soumettre sa propre histoire à une lecture critique ». « La Choah, drame planétaire, a modifié l’histoire même du christianisme ». Et se pose la question essentielle, celle de « L’influence de l’antijudaïsme séculaire » sur la perpétration du grand crime. Sur le terreau d’une tradition d’antijudaïsme « a fleuri la plante vénéneuse de la haine des juifs ». Et le texte français conclut : « Devant l’ampleur du drame et le caractère inouï du crime, trop de pasteurs de l’Eglise ont, par leur silence, offensé l’Eglise elle-même et sa mission ».
Finalement, en mars 1998, Rome publie un document intitulé « Souvenons-nous, une réflexion sur la Shoah », document qui avait reçu l’assentiment du pape Jean Paul II.
D’emblée le texte romain se refuse à établir un lien quelconque entre l’antisémitisme des nazis et l’antijudaïsme historique de l’Eglise : « La Shoah était le fruit d’un régime moderne tout à fait néo paganiste. Son antisémitisme a des racines en dehors de la chrétienté ».
Les auteurs du texte romain acceptent de poser une question déterminante : « Il est possible de se demander si la persécution nazie des juifs n’a pas été facilitée par les préjugés de quelques esprits et cœurs chrétiens ». Il y a sûrement dans cette formulation une certaine façon de reconnaître que les motivations ayant conduit au grand crime pouvaient être d’essence religieuse ou plus exactement que la question pouvait se poser.
Mais dans un assaut de sincérité et de clairvoyance, le document romain déclare l’enseignement de l’Eglise responsable des fautes et des péchés que ses fils même dévoyés, peuvent avoir accomplis. Et le texte, pour conclure qualifie la position ainsi exprimée d’acte de repentance (Téchouvah, en hébreu)… « Ce ne sont pas là de simples mots mais à vrai dire un engagement qui lie et engage pour le futur ».
L’Eglise est-elle allée assez loin dans l’analyse des « influences » multiples et complexes qui ont facilité la Catastrophe ?
Il était évidemment impossible pour le christianisme de se reconnaître directement ou même indirectement responsable d’un crime qui a révulsé l’humanité. Poser la question est déjà faire injure. L’invocation d’une responsabilité morale serait pire encore.
Mais en s’engageant pour l’avenir à faire Téchouvah, l’Eglise ouvre une voie, les chrétiens en ont sûrement conscience, qui doit étouffer les volutes rémanentes d’un enseignement qui ont pu, à distance, alimenter le brasier.
Cela est évidemment la leçon dernière et maximale que l’on peut tirer de la condamnation chrétienne, sans appel, des aspects multiformes du Grand Crime.
Concluons en soulignant qu’au lendemain des obsèques du Cardinal Lustiger, un grand journal du soir pouvait titrer en première page, « Le cardinal Lustiger symbolisait la filiation juive de l’Eglise ».
Gérard Israël *
Auteur de nombreux ouvrage d’histoire des idées religieuses, Gérard Israël a notamment publié « La Question chrétienne. Une pensée juive du christianisme ». Dernier ouvrage paru (octobre 2007) « Jésus est-il Dieu ? » (Editions Payot) Il est aujourd’hui président de la Commission du CRIF chargée des relations avec l’Eglise catholique de France.