Tribune
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Publié le 17 Octobre 2006

Dominique Strauss-Kahn : « La fameuse politique arabe de la France est une supercherie. »

Sous la direction d'Olivier Rubinstein, Le meilleur des mondes est une nouvelle revue dont le premier numéro remonte au printemps 2006. Le rédacteur en chef de cette revue est Michel Taubmann (1). Dans son second numéro (automne 2006), plusieurs collaborateurs de la revue (2) s’entretiennent avec Dominique Strauss-Kahn, député (PS) du Val d’Oise, ancien ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie de 1997 à 1999. Dominique Strauss-Kahn est candidat à l’investiture socialiste pour la présidentielle. Nous reproduisons ci-après quelques extraits de cet entretien, en renvoyant à sa lecture complète dans Le meilleur des mondes.


Marc Knobel
SUR L’IRAN :
Dominique STRAUSS-KAHN : La politique qui est aujourd’hui conduite en Iran sous la houlette d’Ahmadinejab comporte de nombreuses expressions du totalitarisme qui, en tant que telles, doivent être combattues. A ce propos, c’est pour moi une grave erreur d’avoir prétendu, comme l’ont fait Jacques Chirac et son ministre des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, que l’Iran jouait un « rôle stabilisateur » dans la région. Cela entraîne une confusion sur la nature réelle de ce qu’est le régime iranien actuel. Cela revient à adressé un message erroné à un pays qui use largement de sa capacité de nuisance –on le voit au Liban via le Hezbollah, en Irak avec le chantage nucléaire qu’il cherche à exercer. En revanche, il faudra bien engager avec l’Iran une discussion sérieuse - à laquelle les américains doivent être partie prenante – pour donner à ce pays les garanties de sécurité auxquelles il a droit, sans qu’il acquière l’arme nucléaire, conformément au traité de non-prolifération (TNP).
Dominique STRAUSS-KAHN : Ma conviction est qu’il n’y a pas d’issue possible dans les bras de fer diplomatique s’il n’est traité que par les Américains seuls, même avec le soutien des Européens. On ne sortira pas de cette crise iranienne sans l’implication de Poutine. Et il faudra être vigilant sur les contre parties qu’il demandera.
SUR LE HEZBOLLAH :
Dominique STRAUSS-KAHN : … le Hezbollah n’est pas seulement une organisation terroriste ; n’oublions pas qu’il participe au gouvernement libanais, et que cette participation constitue sa face légale. Mais c’est aussi une organisation terroriste dont on attend le désarmement par le Liban comme le prévoit la résolution 1559.
(…)
Nous avions un agresseur qui venait du Nord, le Liban, et qui a illégalement agressé un pays (Israël). Si cet agresseur constitue une partie de l’Etat libanais, c’est alors le Liban qui attaque l’Etat d’Israël. Je ne crois évidemment pas que l’on puisse retenir cette interprétation. Il s’agit donc bien d’une organisation terroriste et il faut que les Libanais désarment le Hezbollah. La présence de la Finul renforcée en fournit l’occasion. Ce sera un service rendu à tout le monde : à la démocratie libanaise et à la sécurité d’Israël. Il faut aussi qu’Israël se retire des fermes de Chebah pour cesser de donner un argument à la prétendue « résistance » du Hezbollah. Et chacun pourra se consacrer à la tâche essentielle dans la région : parvenir à la création d’un Etat palestinien viable dans les frontières de 1967.
SUR l’ANTISEMITISME :
Dominique STRAUSS-KAHN : On est habitué en France à un antisémitisme de droite et d’extrême droite. Or on est obligé de reconnaître aujourd’hui qu’il existe un antisémitisme d’extrême gauche. Je le reconnais et je le dénonce. Et ce n’est pas parce qu’il vient de la gauche qu’il ne doit pas être dénoncé.
SUR LES TOTALITARISMES :
Dominique STRAUSS-KAHN : Je n’aime pas la confusion des mots, et je n’aime pas utiliser le terme « fasciste » en dehors de son contexte historique. Restons donc sur la notion de « totalitarisme ». Cela ne me gêne pas de considérer le régime iranien, ou d’autres régimes politiques du Moyen-Orient, comme des totalitarismes.
(…)
Soyons clairs : tous les totalitarismes doivent être dénoncés.
SUR LA POLITIQUE « ARABE » DE LA FRANCE :
Dominique STRAUSS-KAHN : … Autre exemple ? La fameuse politique « arabe » de la France. C’est une supercherie que le Quai d’Orsay réussit à vendre depuis des décennies à l’ensemble de la classe politique ! Elle nous permet de croire que nous sommes ainsi à l’abri de toute menace terroriste, ce que laisse entendre très régulièrement le Chef de l’Etat. Cela me paraît tout à fait absurde.
LA POLITIQUE ETRANGERE ET LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE :
Dominique STRAUSS-KAHN : Faut-il que la politique étrangère soit une question qui concerne au premier chef le président de la République ? Ma réponse est oui : je pense que dans la répartition des compétences au sein de l’exécutif, la politique étrangère est un domaine important où le président à des orientations à donner. C’est un sujet dans lequel il est directement acteur, ne serait-ce que parce qu’il participe aux sommets internationaux : c’est lui, qui contrairement à d’autres chefs d’Etat, qui dirige la délégation française aux conseils européens.
Le meilleur des mondes est publié par les Editions Denoël, Automne 2006, 15 euros.
Notes :
  1. Lire le compte-rendu du numéro 1 du Meilleur des Mondes, par Jean-Pierre Allali, sur le site du CRIF
  1. L’entretien avec Dominique Strauss-Kahn a été réalisé avec Elie Cohen, Myriam Encaoua, Gérard Grunberg, Michel Laval et Michel Taubmann, pages 95 à 107 de la revue.